Le documentaire d’Yvonne Welbon retrace, en 2003, l’histoire des cinéastes noires américaines.
L’adaptation au cinéma du bestseller de l’Afro-américaine Terry McMillan, Waiting to Exhale, réalisé par l’Afro-américain Forest Whitaker, a été traduite en français par « Où sont les hommes ? ». La réponse paraît assez évidente : derrière la caméra ! En effet, Terry McMillan souhaitait que la réalisatrice Julie Dash (Daughters of the Dust) adapte son roman, mais elle n’obtint pas gain de cause et malgré tout le talent qu’on connaît à Forest Whitaker, le résultat ne fait pas honneur à un roman qui s’il était quelque peu naïf, était beaucoup moins caricatural que son adaptation filmique.
Tout le monde en parle en ce moment : l’industrie du cinéma américain se complaît dans une domination masculine qu’aucune avancée sociale ne semble menacer. C’est démontré en chiffre sur le blog de la New York Film Academy. Les réalisatrices noires américaines sont donc, sans surprise, particulièrement invisibles à Hollywood. Elles s’expriment à travers le cinéma indépendant, dont l’impact est bien moindre auprès du grand public.
Le documentaire d’Yvonne Welbon fait le point, en 2003, sur l’histoire des cinéastes noires américaines. On y découvre les films ethnographiques de Zora Neale Hurston de 1928 (elle est connue pour ces romans, notamment Their Eyes Were Watching God publié en 1937), les efforts maintes fois contrecarrés de Maya Angelou pour devenir réalisatrice (elle réalisera Down in the Delta en 1998, Loin d’ici en français, à l’âge de 70 ans), et toutes les « premières » du cinéma des femmes noires américaines. Dans les 1970, elles sont entrées par la petite porte finalement plus ouverte de la télévision en réalisant des programmes éducatifs (Madeline Anderson) ou des sitcoms (Debbie Allen), alors que l’explosion de la blaxploitation les laisse sur le carreau (Maya Angelou ou Madeline Anderson abandonnent des projets dont elles perdent le contrôle).
Présenté au 3e festival international de la diaspora africaine en septembre 2013 à Paris ( voir l’article de Djia Mambu et Olivier Barlet), Sister in Cinema donne la parole à de nombreuses cinéastes noires qui racontent leurs espoirs le plus souvent déçus. Elles se remémorent ces déjeuners avec de grands producteurs après des succès critiques qui ne se concrétisent jamais en contrats de production. Euzhan Palcy témoigne de son expérience à Hollywood suite au succès de la Rue Cases-Nègres (1983). Ce fut un choc pour elle d’apprendre qu’elle était la première femme noire à réaliser un film à Hollywood, Une saison blanche et sèche (1989), sachant qu’elle n’était pas américaine et que des noires américaines capables et désireuses d’endosser ce rôle, elle en connaissait plus d’une !
Yvonne Welbon va à la rencontre de ces cinéastes noires indépendantes fort nombreuses en effet, où l’on découvre des dizaines de femmes jeunes ou plus expérimentées. Inspirées par les Robert Rodriguez, Kevin Smith et autres Quentin Tarantino dont les premiers films sont réalisés avec des mini-budgets, ces réalisatrices empoignent les caméras pour faire tout elles-mêmes, avec les moyens du bord. Cependant, elles ne connaîtront pas le succès de leurs idoles dont les films violents, provocateurs et drôles, correspondent à une formule hollywoodienne peu adaptée à la production féminine noire américaine.
À la fin des années 1990, quelques réalisatrices noires américaines parviennent à sortir des films comme Mixing Nia (1998) ou 30 Years to Life (2001) qui sont des comédies autour de jeunes noires de classe moyenne, souvent métisses, à la recherche de leur identité mais aussi plus généralement d’un équilibre professionnel et personnel auquel tout le monde peut s’identifier. Eve’s Bayou (1997), un drame historique, marque un tournant. Le film est soutenu par une mini-major (Trimark) et porté par Samuel L. Jackson, une star susceptible d’assurer le succès d’un film artistique. Mais la réalisatrice Kasi Lemmons, dont le film a rapporté de l’argent et a été très bien reçu par la critique, parle d’exception qui confirme la règle (a fluke). Le magazine américaine Cineaste publie d’ailleurs une critique qui résume bien la réception complexe du film : « Eve’s Bayou: Too Good to Be a Black Film ? (Eve’s Bayou, trop bon pour être un film noir ?).
Aujourd’hui, les femmes noires américaines continuent de tourner beaucoup, mais surtout pour la télévision, comme par exemple Cheryl Dunye (son deuxième long-métrage, Stranger Inside, est produit par HBO) ou Darnell Martin (elle a adapté Their Eyes Were Watching God pour la chaîne de télévision ABC), ou encore Angela Robinson qui a collaboré aux séries True Blood, Hung ou The L Word en tant que productrice, scénariste et / ou réalisatrice. Comme le rappelle à de nombreuses reprises les femmes interviewées par Yvonne Welbon, elles ne sont pas les seules à avoir du mal à infiltrer un Hollywood qui reste très masculin et où enfin, de nombreux hommes noirs américains semblent s’être fait une place au soleil, sans pour autant que les femmes y accèdent.
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