Fiche Spectacle
THéâTRE
Cauchemars du gecko (Les)
Jean-Luc Raharimanana
Contributeur(s) : Thierry Bedard

Français

Texte
Raharimanana
commande d’écriture notoire / de l’étranger(s)

mise en scène
Thierry Bedard

création musicale
Rija Randrianivosoa

scénographie
Marc Lainé

réalisation sonore
Jean Pascal Lamand

d’après les reportages effectués à Tananarive /
Madagascar

création lumières
Jean Louis Aichhorn

Assistante à la mise en scène
Tünde Deak

avec
Rodolphe Blanchet, Mame Fama Ly, Mélanie Menu, Moustapha Mohamed Mouctari, Phil Darwin Nianga, Véronique Sacri et Rija Randrianivosoa


Note d’intention

Commande d’écriture notoire / de l’étranger(s) / un état du monde

« Je vous dis un monde … Nous naissons dans le noir, vivons le temps d’une couleur, retournerons dans le noir, dans le silence qui nous a créés. Seul nous semble compter le temps où furent suspendus les ténèbres et l’incompréhension, le reste se dilue dans la douleur des vivants. Alors que nous ne rêvons que d’illusion, que de douceur et de légèreté. Les paroles rentrées et le silence qui s’esquisse sur les lèvres …

Les mots sont complices de la mémoire, creusent gouffre, s’y précipitent et vous y entraînent. Et folie garder pour dérision salvatrice de ce réel bien trop sombre … »

Dans le cadre du cycle de l’étranger(s), j’ai passé une commande d’écriture à Jean Luc Raharimanana, auteur malgache. Un « état du monde », vu d’un des dix pays les plus pauvres de la planète, vu de Madagascar. Un état du monde vu du continent noir, mais peut-être aussi de tout autre endroit confronté à l’occident …

Nos premières discussions tournaient autour d’une fable, d’une certaine manière universelle, énoncée par une figure de « sage », et commentée avec hargne par des « spécialistes » d’abord du discours, puis du sens, puis de la pensée dominante, malmenant par inconscience ou par bêtise, voir par choix politique une autre pensée du monde … Mais ce cadre de travail était certainement trop rhétorique, trop raisonnable …

Nous avons donc décidé, d’un commun accord, d’en rester à des fragments, des dizaines de fragments, de quelques lignes à quelques pages, sans présager de qui parle : homme ou femme, animal, éléments de la matière, dieux et autres olombelona. Ni du comment « ça parle ». Sans présager de quelles figures se nourrissent les fictions, figures de notre modernité philosophique, figures de notre actualité politique, dictateurs, corrupteurs, inventeurs d’axe désaxé (ou simple dirigeant occidental actuel qui répand une morgue insupportable à propos de l’Afrique). Figures animales, comme les geckos. Et surtout figures déclassées, abandonnées. Figures en lutte. Figures proches de Za, héroïque personnage de folie dans un monde ravagé par la misère.

Figures révoltées contre l’ordre du monde.
Figures du désordre … Et du désordre théâtral.
Je rêve maintenant (!) d’un long cauchemar de quelques heures, de toute une nuit, avec nombres d’acteurs dans une Planet of Slums… Un cauchemar chargé d’une ironie désespérée, mais pas désespérante, et en musique …

Thierry Bedard


Extraits de texte

Danses
Tant de méandres pour perdre le sens …
J’ai pris de vous les ténèbres et les jours, j’ai pris de vous les pleurs et les rires, j’ai pris les chaines, j’ai pris les
licols, j’ai pris les jougs, j’ai pris l’exil, de vous la barbarie, ma honte comme seul butin, ma douleur comme seul
élixir, j’ai pris de vous un soleil trop brillant, et les rêves inaccessibles, la réalité où l’on me dépouille, la réalité où
l’on me spolie, la réalité où l’on m’humilie, j’ai pris ce qui me restait de vous, les rires et encore les rires …
Mes pensées sont lianes sensuelles contre barbelés bien réels
Mon pays est en guerre Vous
ne le saviez pas, non, vous ne pouviez pas le savoir, vous n’étiez que le bâillon sur ma bouche, le bandeau
contre mes yeux, vous n’étiez que la balle dans ma tempe
expulsée de l’arme, vous n’aviez rencontré que sang et ruine dans ma tête.
Je n’étais plus et vous, vous ne serviez plus à rien

Kratos
avec le choeur
De ma face boursoufflée des enflures des siècles mon rire enfoiré, je vous contemple de mon fumier où la mort
nègre se déroule en masse…
Sur mon tas
Que soit maintenant la modernité !
Que soit maintenant la prospérité !
Que soit maintenant la liberté !
Vous pouvez maintenant vous développer, émerger, pousser, consommer
Voyez
Vous progressez, prospérez, resplendissez, dêmokratie, terre des dieux humains …
Scandez maintenant :
Dêmos
Kratos
Dêmos
Kratos
Dêmos
Répétez après moi !
Kratos
Dêmos
Kratos
Puissance du peuple sur la mort nègre
Du fond de la cale, démos !
Du fond de la plantation, démos !
Du fond de la colonie, démos !
Du fond de l’indépendance, à racler dans les bas-fonds des républiques, républiques des nègres, indépendance
mon cher, démos !
Et racle la puissance
Et racle l’abondance
Le chanvre de la modernité
Le luxe et la profusion pour ressources des nations
On m’a tout donné, l’abolition et l’indépendance
On m’a tout donné, aides, faveurs, assistance et dons humanitaires,
Je coopère
Je collabore
Je me bilatérale
Je me forme, je m’informe, je m’instruis, je rattrape mon retard, je me civilise
Je m’infrastructure moderne, up to date
Je me libéralise
Je me lutte corruption
Je me lutte ethnique
Je …
On m’a tout donné, je ne prends pas, non, ça ne me prend pas …
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