À la mort du poète Congolais Tchicaya U Tam’si en 1988, Jean-Pierre Rémy écrivait : « La mort d’un poète est une infime blessure, et je ne suis pas ému par les catafalques dressées dans la cathédrale ; le poète meurt, il est encore parmi nous ». Il n’y a pas meilleure introduction à cette nécrologie.
Jean- Baptiste Tati-Loutard est né en 1938 à Ngoyo. Bachelier en 1959, il achève ses études supérieures à Bordeaux, où il obtient un doctorat en Lettres. De retour au Congo, il devient enseignant, puis doyen de l’Université de Brazzaville. À partir de 1975, il devient Ministre de l’Enseignement Supérieur, puis de la Culture, puis en 1997, Ministre des Hydrocarbures.
Cette vie de grand commis de L’État ne l’a jamais empêché d’assumer ses cours à l’Université ni d’écrire des poèmes et nouvelles.
Il nous laisse un héritage fécond. Deux romans, trois recueils de nouvelles, une anthologie, un essai et dix recueils de poèmes. Son empreinte sur la littérature congolaise est immense. Et son apport aux débats littéraires panafricains indéniable. Avec son Anthologie de la littérature congolaise, il a initié l’histoire des littératures nationales. Démarche perçue à tort comme une balkanisation par certains commentateurs distraits. Dans l’esprit de Tati-Loutard, cette idée de littérature nationale ne pouvait être comprise que dans le cadre de la critique de la Négritude. Au fond, cette anthologie complète sa postface aux Poèmes de la mer, publiée d’abord dans les Annales de l’Université de Brazzaville, et qui alimentera plus tard en 1969, le discours de la délégation congolaise au Festival Panafricain d’Alger.
Mais sa véritable contribution à la littérature africaine est sa production poétique construite patiemment autour de la fascination de la mer et la fuite du Temps. Mieux encore que sa poésie, c’est sa vie poétique à la fois exercice critique et méditation sur le statut de la poésie, qui distingue Tati-Loutard dans le champ littéraire africain. À la manière de René Char et Pierre Reverdy, Tati-Loutard nous livre pendant un quart de siècle aphorismes et médiations, qui peuvent sévir de viatique au jeune poète en herbe.
En voici quelques-uns récoltés au fil des lectures.
« Il faut charger les mots d’une énergie telle que le taux de déperdition ne dépasse pas 50 % sur un siècle »;
« La marche solitaire stimule l’intuition poétique. Le pied est un excellent instrument de musique »;
« Le mot vient au monde comme un animal qui sort du terrier. Au moindre bruit, il rebrousse chemin »;
« La poésie ressemble à la mort : elle vous atteint n’importe où et n’importe quand ; elle frappe souvent au lit et sur la route : lieux où guette aussi la mort »;
« La poésie engagée ne doit pas emprunter le ton de la harangue; autrement dit, elle ne doit pas uniquement créer l’action mais la susciter subtilement chez le lecteur. Il importe qu’elle soit plus engageante qu’engagée ».
Enfin, voici l’aphorisme à l’origine de cette vie poétique : « Au XXe siècle, le poète est très conscient d’être poète et le poème atteint un âge critique : d’où l’importance de l’aphorisme poétique. Pour la première fois, semble-t-il, l’art progresse en se regardant sans cesse dans un miroir. »
Tati- Loutard décrit ici un mouvement initié depuis le XIXe siècle par Baudelaire, qui connaît son apogée au XXe siècle avec T.S Eliot, Paul Valéry, Antonio Machado André Breton, Yves Bonnefoy, etc.
En Afrique seuls Senghor et lui ont été très tôt sensibles à cet aspect de la poésie moderne, qui consiste à se regarder dans le miroir et à dialoguer avec les arts.
Au Congo, Tati Loutard a écrit sur l’école de Poto-Poto, consacré une partie de L’ordre des phénomènes au Nu ; il a célébré Franklin Boukaka (un poète engagé), chanté l’amour courtois comme les troubadours. Voila autant de facettes d’un honnête homme, que Jacques Rabemananjara présentait en 2001 comme « un gentleman paisible, amateur d’ordre, peu de goût pour l’éclat, plutôt tourné vers le pastel, cursus universitaire complet et brillant, plusieurs langues étrangères en prime. L’élégance dans la modestie » (1).
1. ; Jacques Rabemanajara, préface à Joël Planque, J. B. Tati- Loutard, Editions Moreux, 2001, p. 14.///Article N° : 8755