Une entrée spectaculaire sur la scène littéraire française : la représentation des « Caffres » dans les Portugaiz Infortunez de Nicolas Chrétien des Croix

Université de Paris IV-Sorbonne(C.R.L.V.) / Middlebury College (Vermont)

Print Friendly, PDF & Email

C’est l’édifiant récit de la très célèbre perte du grand galion S. Joaõ et du calvaire endurés par Manoel de Sousa Sepúlveda et les siens, relaté par Fernandes (1) et publié en plaquette, qui inspire vraisemblablement ses Portugaiz Infortunez à l’auteur tragique argentenois Nicolas Chrétien des Croix. Lorsqu’il fait imprimer sa pièce, les auteurs tragiques parmi les plus prisés se nomment Claude Billard, Jean de Schélandre, Antoine Montchrestien, Alexandre Hardy. Le plus révéré est sans doute l’illustre Robert Garnier. Les sujets puisent à la légende, à la fable, à l’histoire antique ou biblique, éventuelle-ment à la tradition romanesque, plus exceptionnelle-ment à l’histoire moderne. Mais aux nobles tragédies d’antan sont bientôt substituées des tragédies dans lesquelles les dramaturges et le public cultivent et partagent non sans délectation et effroi mêlés un goût immodéré pour l’insoutenable, l’infâme, le répugnant. La scène devient le lieu de convocation des déviances, perversions et passions les plus viles (2) : « Où il y a effusion de sang, mort, et marque de grandeur, écrit Claude Billard, c’est vraie matière tragique. » Si l’efficace des Portugaiz Infortunez procède du traitement d’une matière exotique littéralement méconnue, elle ressort également d’une esthétique macabre à défaut d’être baroque, fondée sur une rhétorique et une dramaturgie dominés par la démesure. Si les Cafres font leur entrée sur la scène littéraire française dans cette tragédie, ils attestent autant de l’intérêt grandissant du public pour les nouveaux horizons que de l’ampleur des mutations qui s’opèrent au théâtre sur le plan esthétique mais aussi sur le plan dramaturgique. Avec Les Portugaiz Infortunez, Chrétien des Croix, séduit par le sens nouveau conféré au tragique, a peut-être moins pour secrète ambition de créer une pièce exotique que de confiner au paroxysme de la démesure en ostentant les mœurs des êtres les plus abjects qu il lui ait été donné de découvrir au fil de ses lectures : les « Caffres ».
Du bon usage du matériau exotique : la « Caffrarie », les « Caffres noirs », le « Demon du Cap de Bonne Esperance »…
En délaissant les sujets antiques ou bibliques pour des sujets résolument modernes, les dramaturges désacralisent la tragédie (3). Avec Alexandre Hardy, Nicolas Chrétien des Croix, Antoine Montchrestien, la tragédie délaisse la pourpre et l’hermine : « Elle descend sur la terre. Elle jette les uns contre les autres des hommes aux volontés exaspérées » (4). Les Portugaiz Infortunez est la tragédie d’une confrontation littéralement mémorable entre européens et primitifs. Les « Caffres noirs » de Nicolas Chrétien des Croix empruntent nombre de leurs traits aux Africains de la Renaissance dont l’image conjugue les résurgences des descriptions des Anciens et les perceptions des auteurs modernes. Cependant, pour que ces Cafres évoquent une réalité aux yeux des spectateurs et dans l’imaginaire des lecteurs, Chrétien doit les parer de signes distinctifs. S’il renvoie le lecteur à « ce qu’en escrit Jean Botero Benese, en ses relations universelles ; le docteur Camerarius au 2.volume de ses Meditations Historiques livre 3. chap.17. & Goulard en ses Histoires admirables », de nombreux détails révèlent qu’il s’est principalement inspiré des ouvrages de voyageurs et chroniqueurs imprimés en français à la fin du seizième siècle et au tout début du dix-septième. Parmi ceux-ci figurent les contributions de Fernão Lopez de Castañeda, de Jerónimo Osório da Fonseca, de Jan Huyghen Van Linschoten et de Willem Lodewijckz et de l’auteur anonyme du Journal du voyage de l’Inde orientale. Le portrait que ce dernier brosse des Sauvages du Cap – « c’est un peuple richement difforme et laid de visaige : quand ils parlent, ils glossent de la bouche comme cocqs de guinee: leur accoutrement est un peau fait comme vn manteau, couvrant la partie superieure du corps, et puent contre vent loin vne brassee » – est assez révélateur du regard porté par les voyageurs européens sur cette population durant le dernier tiers du seizième siècle.
C’est cependant essentiellement dans l’Historiarum Indicarum du Père Giovanni Maffei, où l’eloquentia le dispute à l’argumentatio, « en termes latins si choisiz et elegans, écrit Nicolas Chrétien des Croix qu’on ne les peut lire sans épandre des larmes de pitié » (« Sviet de la Tragedie ») (5) et dans les écrits de João de Barros et de Fernan Alvares que l’auteur tragique argentenois trouve matière à composer Les Portugaiz Infortunez (6). Dans le Livre X des Décadas figure une description du Monomotapa dont le Manica de Chrétien constitue une transfiguration littéraire (7). Chez Nicolas Chrétien des Croix, comme chez João de Barros, le souverain est polygame et les indigènes se montrent farouchement opposés à la conversion et décidés à ne vénérer que leur divinité : « percioche credono in vn solo Dio, che lo chiamono Mozimo, e non hanno idolo, ne cosa che adorino. » (8) Mais le roi Mocondez de Chrétien diffère du prince Benomotapa de Barros en ce qu’il s’oppose résolument à toute forme de domination et d’incursion étrangère, religieuse ou politique. Nicolas Chrétien des Croix semble puiser chez Barros d’autres détails. Ses allusions au respect accordé au roi, au culte des défunts, au sort réservé aux voleurs, aux meurtriers, aux sorciers l’attestent. Physiquement, les indigènes sont noirs et leurs cheveux sont crépus mais ces éléments sont présents dans d’autres textes. « Tutta la gente di questa regione generalmente è negra delli capelli ritorti » écrit João de Barros. D’autres auteurs l’ont noté avant lui : cette indication n’a donc rien d’original. A la différence de son compatriote Fernan Alvares, João de Barros ne traite pas des modes vestimentaires des indigènes. S’il s’applique à décrire les vêtements des épouses du roi, il demeure discret quant aux vêtements du roi lui-même et de ses courtisans. Fait beaucoup plus curieux : il élude totalement la question de la nudité. Ce sont les longues mamelles et leur singulière vocalité qui vont permettre à Chrétien des Croix de conférer une véritable identité à ses « Caffres noirs ». Les « tetins lons » auxquels la reine Melinde fait allusion réfèrent à une caractéristique physique signalée pour les femmes cafres par Fernan Alvares et pour les femmes mexicaines par Francisco Lopez de Gomara. « Lés jeunes vont mal en ordre, écrit Fernan Alvares, léquels étans paruenues en l’aage de vint, ou vint et cinq ans, se delectent à porter dés Tetins si lons, qu’il leur batent iusques sur la ceinture : reputans cela pour une chose qui lés embellit merueilleusement, et leur donne vn grand lustre : ayant le cors découuert, et orné, de la ceinture en sus, de pâtenotres enfilees auec cordes. » « Elles ont les mammelles grandes, écrit Francisco Lopez de Gomara, et si longues que par dessus leurs espaulles elles donnent à teter à leurs enfans. » Frapper l’imaginaire : telle est la fonction dévolue à cette particularité inesthétique et disharmonieuse (9). Inversement, la beauté de la voix des Portugais stupéfie Mocondez : « Qu’entenday-je parler ? Quel son mélodieux ? » (v.1167). Instrument divin par excellence, cette voix ne peut être que mélodieuse. Pour composer sa tragédie, Chrétien des Croix se fonde donc essentiellement sur des éléments avérés et relatifs à la « Caffrarie« . Le déploiement de ce matériau exotique n’est pas gratuit : il est destiné à accentuer le contraste physique et moral entre les Portugais et les Manicains.
Les « Caffres noirs » comme moteurs du renouvellement esthétique et dramaturgique de la tragédie
Montrer des morts rares, surprenantes, extraordinaires et non plus les narrer : telle est désormais la tâche que s’assigne l’auteur tragique. C’est donc tout naturellement que le tragique fondé sur l’action caractérise la tragédie nouvelle (10). Mais gnostique et oratoire, cette tragédie nouvelle demeure très proche dans sa forme de la tragédie à laquelle elle prétend hautement se substituer. Sur le plan strictement formel, elle s’inscrit dans la grande tradition tragique avec sa division en cinq actes, ses songes, présages, son chœur et son messager – ici le « Tuteur des voyagers » – directement hérités de la tragédie grecque. A l’action sont substituées les tirades sans fin du chœur et du messager. Si Chrétien des Croix choisit de porter sur la scène une action inédite dans un décor nouveau et s’il est assurément le premier à tirer profit des potentialités dramatur-giques que lui offre ce matériau exotique, il le fait dans le cadre d’une tragédie d’une facture a priori toute classique. Nicolas Chrétien des Croix suit la trame des événements telle qu’elle a été fixée par Giovanni Maffei à la différence près qu’il réduit à une seule le nombre des rencontres entre Portugais et Cafres. Chez Giovanni Maffei, la dépossession s’opère en deux temps : les Cafres dépossèdent les Portugais de leurs biens et de leurs armes lors d’une première rencontre avant de les déposséder de leurs vêtements lors d’une seconde rencontre. L’option adoptée par Chrétien trouve une explication logique sur le plan dramaturgique. Cette unique rencontre lui permet de souligner avec plus d’efficacité l’extrême perversité des Cafres. Maffei brosse des Cafres un portrait essentiellement moral, les décrivant comme voleurs et menteurs, et se contentant, pour leur portrait physique, de signaler qu’ils vivent « à demy nuds ». Mais à la différence de Giovanni Maffei (11) et de ses autres informateurs, Nicolas Chrétien des Croix prend le parti d’individualiser ses personnages et de leur donner un patronyme afin de leur conférer une véritable stature politique. Mocondez est l’égal d’un roi chrétien. Melinde est une reine vaniteuse. Au tournant des seizième et dix-septième siècles, les dramaturges s’appliquent à renouveler le théâtre en privilégiant des décors et actions plus réalistes. Les horizons révélés par la littérature géographique intègrent le monde sauvage auquel cosmographes et géographes opposent le monde civilisé. L’opposition n’est pas seulement spatiale, elle est aussi morale. L’Occident se juge au miroir de ces nouveaux mondes (12).Chrétien choisit également de faire relever par ses personnages certaines caractéristiques tandis qu’il laisse au metteur en scène et aux acteurs le soin de les montrer.
« Vos habits, vostre voix, et vostre poil aussi
Sont asseurez tesmoins que vous n’estes d’ici » (v.495-496)
s’exclame ainsi Pontife. « Quels sont ces vestemens ! » (v.484) s’écrie Pantaléon. Exprimant la stupéfaction des indigènes face à la couleur blanche des occidentaux, Pontife risque une explication :
« Elle ne s’en va point, je croy que la nature
Vous aporte naissans ceste blanche teinture. » (v.501-502)
Ce type de remarques où le bon sens se conjugue avec la naïveté permet à l’auteur tragique d’offrir à son public un exemple saisissant de la manière dont pensent les sauvages. L’oisiveté procède de cette pensée sauvage fantasmée (13). Ces Mores-là ne sont pas a priori des sauvages cruels et belliqueux. S’ils ne sont ni des meurtriers, ni des violeurs, ni des anthropophages, leur abjection n’en est pas moins patente : ils sont sournois, fourbes, captieux. Leur immonde cruauté n’a d’égale que leur extrême perversité (14). Le dernier acte confine au pathétique. La déchéance des Portugais confirme l’extrême inhumanité des Cafres. En dépit de leur éloquence et de leur courtoisie, ceux-ci sont des monstres. En dépossédant les infortunés naufragés de leurs biens et de leurs vêtements, ils les condamnent à mourir de faim. L’enfouissement d’Éléonore, l’agonie puis le trépas des enfants, leur enterrement, la mort d’Éléonore ses hâtives funérailles, la fuite éperdue de Sose dans les bois et sa dévoration par les bêtes sauvages… sont autant d’éléments qui contribuent à ancrer dans l’imaginaire collectif l’image d’un peuple des plus cruels. L’efficace de la représentation théâtrale procède nécessaire-ment d’un affrontement visuel et rhétorique. Le contraste est ici évident entre l’éloquence des indigènes et leur perversité. La scène n’a pas pour fonction de restituer le réel mais de produire un décalage. Les répliques suggèrent. L’imaginaire œuvre. Les Cafres fonctionnent comme moteurs du renou-vellement esthétique et dramaturgique de la tragédie : l’horreur est morale et non physique.
Parole, morale et nudité : Nicolas Chrétien des Croix et le traitement de la cruauté comme critère d’excellence
Plusieurs traits de l’écriture de Chrétien des Croix sont caractéristiques de l’écriture tragique du temps : recours au vers, prologue, récit développé, chœur. Elever la dignité du discours, expri-mer de hautes pensées, consigner le mémorable : tel est le sens de l’emploi du vers dans la tragédie classique. Son usage par Nicolas Chrétien des Croix n’a donc rien de surprenant. (15) En revanche, le volume prépondérant dévolu à la parole des indigènes est peu commun (16). L’Occident est avide de connaissances sur les mœurs et modes de penser des indigènes. Les propos d’Eleonor sur les canons esthétiques :
« Comme en divers climats diverses sont les mœurs,
Tout de mesme les teints variez de couleurs :
Chacun est en pareil de grandeur diferente,
De ce qui plaist à l’un, l’autre ne se contente. » (v.1615-1618)
mais aussi les descriptions des cérémonies entourant la réception de l’étranger (acte I, v.531-536 et v.563-568), les évocations des principes religieux des deux races (acte I, v.537-538 et v.552-554), de leur conception de la différence (acte I, v.505-506 et v.524-525) sont neufs (17). Si Nicolas Chrétien des Croix fustige l’expansion manuéline dans toute son orgueilleuse démesure (18), s’il tente de sensibiliser ses contemporains aux innombrables ravages de la colonisation, s’il fait le procès des conquérants dépourvus de morale et d’honneur, évoquant l' »ire du tout puissant » et leurs « fautes trop grandes », rejoignant en cela des moralistes comme Jean de Léry, Bartolomeu de Las Casas, et Montaigne, il s’attache moins à rédiger un pamphlet anticolonialiste qu’il ne s’applique à composer une œuvre des plus subtiles et des plus novatrices en érigeant dans sa tragédie la cruauté morale au rang des critères d’excellence. « Plus les tragédies sont cruelles, écrit Pierre de Laudun d’Aigaliers, plus elles sont excellentes. » Via l’évocation et la mise en écriture des us et coutumes des « Caffres noirs », Nicolas Chrétien des Croix brosse le portrait d’une nation fière, éloquente, intelligente, mais également dure, inflexible, intransigeante, dont l’inhumanité n’a d’égale que la cruauté dont elle fait preuve à l’égard des infortunés Portugais. La mort de ces derniers est misérable, piteuse, dépourvue de toute gloire. L’avertissement du Genie ou Demon du Cap de Bonne Esperance glissé dans le Prologue n’était pas à prendre à la légère :
« Je veux enfler les vens d’orages non ouis,
Faire mugir les flots, et remplir l’air de bruis,
Susciter la tempeste, et de la mer les rages
Pour de ces convoiteux empescher les voiages. » (v.63-66)
Mais Nicolas Chrétien des Croix ne cherche pas à surpasser ses prédécesseurs dans la peinture de l’horreur physique. Ce qu’il recherche, c’est un épisode neuf, une situation inédite, une histoire qui lui permette d’exceller dans la peinture de l’horreur morale.
Avec Les Portugaiz Infortunez les Cafres font une entrée spectaculaire sur la scène littéraire française. Que Nicolas Chrétien des Croix ait réuni une abondante documentation pour composer sa tragédie et qu’il l’ait fait imprimer avec ses autres Tragédies chez Théodore Reinsart à Rouen en 1608 –la Tragédie d’Amnon et Thamar ; Albouin, ou la Vengeance, tragédie et son divertissement, Le Ravissement de Céfale – tend à indiquer que cette œuvre a peut-être moins été écrite pour être mise en scène et représentée que pour être lue (19). Le « Monomotapa », la « Caffrerie », les « Caffres noirs », les « Manicains », le « Demon du Cap de Bonne Esperance » constituent un matériau exotique totalement inédit. Nicolas Chrétien des Croix tire bien la trame de sa tragédie du calvaire enduré par les naufragés portugais. Mais si à l’instar des auteurs non portugais qui ont écrit sur cet épisode, il voit dans cette fin un châtiment divin en réponse à l’orgueil démesuré des Portugais, sa tragédie est novatrice en ce qu’il a choisi d’exceller dans la peinture de l’horreur morale. Cependant, et sa pièce n’est pas moins novatrice en cela, Nicolas Chrétien des Croix ne se contente pas de mettre en vers les histoires mémorables et admirables dans lesquelles il a puisé son sujet. Exploitant avec beaucoup d’à propos ces topiques propres aux Cafres que sont leur couleur, leur physionomie et leur vocalité, il invite à son tour le lecteur, après Francisco de Gomara, Bartolomé de Las Casas et Montaigne, à porter sur l’autre – en l’occurrence ici sur les habitants des obscurs confins africains – un regard résolument neuf.
Dans la seconde moitié du seizième siècle et dans la première décennie du dix-septième siècle, les populations des côtes méridionales africaines font, dans les traduc-tions des œuvres des historiens portugais – l’Histoire des Indes de Portugal de Fernand Lopez de Castañeda, l’Histoire de Portugal de Jerónimo Osório… – et dans les cosmographies françaises – la Division du Monde de Jacques Signot, la Cosmographie Universelle de Guillaume Le Testu, la Cosmographie Universelle d’André Thevet…–, l’objet de descriptions laconiques (20). Le massacre du vice-roi d’Almeida et d’une soixantaine de ses hommes exerce sa puissante fascination sur l’imaginaire collectif européen. La mort tragique de Manoel da Sousa Sepulveda et des siens sur les côtes de la terre du Natal rejaillit également sur l’imaginaire collectif. Abondamment diffusée sous la forme de plaquettes bon marché, elle figure chez Simon Goulart dans l’une des histoires de son Thresor d’histoires admirables et memorables de nostre temps et inspire à Nicolas Chrétien des Croix sa tragédie des Portugaiz Infortunez. Avec cette histoire admirable et cette tragédie, les populations des côtes méridionales africaines font leur entrée sur la scène littéraire française. Cependant, ces sauvages du bout du monde font moins l’objet de descriptions que d’inventions, l’historien, l’auteur d’his-toires mémorables et l’auteur tragique ayant en effet en commun de livrer une image éloquente de ces populations. Fourbes, belliqueuses, abjectes, elles suscitent l’effroi et recorporalisent les vieux fantasmes des Occi-dentaux. Paradoxalement ces populations redeviennent monstrueuses. La noirceur de leur corps n’a d’égale que la noirceur de leur âme. On a donc moins affaire en cela à l’invention d’un être qu’à la réinvention d’une altérité (21).

1. Alvaro Fernandes, Relaçaõ da muy notavel perda do galeaõ grande S. Joaõ. Em que se contaõ os grandes trabalhos, e lastimosas cousas que acontecèraõ ao capitaõ Manoel de Sousa Sepulveda, eolamentavel fim, que elle, e sua mulher, e filhos, e toda a mais gente houveraõ na Terra do Natal, onde se perdèraõ a 24. de Junho de 1552, s.l., s.éd., s.d. [1554]. Sur la fortune de ce récit : William Graham Lister Randles, L’Image du Sud-Est africain dans la littérature européenne au XVIe siècle, Lisboa, Centro de Estudos Historicos Ultramarinos, 1959, p.106-108. Cette relation figure parmi les plus illustres et les plus édifiantes histoires tragico-maritimes qui ont été imprimées et diffusées au cours de la seconde moitié du seizième siècle. Elle sera réimprimée au cours de la première moitié du dix-huitième siècle par Gomes de Brito. Bernardo Gomes de Brito, Historia Tragico-Maritima. Em que se escrevem chronologicamente os Naufragios que tiverão as Naos de Portugal, depois que se poz em exercicio a Navegação da India, Lisboa, Na Oficina da Congregação de Oratório, 1735-1736.
2. Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, op.cit., p.181-183. Jean Rousset, La littérature de l’âge baroque, Paris, José Corti, 1954, p.86. Raymond Lebègue, « Le théâtre de démesure et d’horreur en Europe occidentale aux XVIe et XVIIe siècles » [in]Études sur le théâtre français, Paris, Nizet, 1977, p.361-374. Le contexte socio-politique exerce une influence décisive sur la production dramatique de cette époque. Les chroniqueurs rapportent des histoires de vengeances sanglantes, de meurtres abjects, de viols, d’anthropophagie. Raymond Lebègue l’a bien vu : « […] si les gens policés cherchaient dans les romans champêtres et dans les pastorales l’oubli de ces horreurs, le gros public éprouvait un plaisir inavoué à les retrouver sur la scène tragique. » Raymond Lebègue, « Le théâtre de démesure et d’horreur en Europe occidentale aux XVIe et XVIIe siècles », op.cit., p.372. Les comédiens de Francesco Andréini donnent en 1603 à l’Hôtel de Bourgogne la Forsennata Principessa. Un combat naval, deux suicides, sept morts violen-tes, une tête coupée, le cœur d’un jeune page épris de sa maîtresse figurent parmi les éléments dramatiques consignés dans le canevas et dont les comédiens espèrent tirer le plus d’effets. Voir aussi sur cette question : Henry Carrington Lancaster, History of french dramatic Literature in the Seventeenth Century, Baltimore, John Hopkins Press, 1929-1942 et Wilma Deierkauf-Holsboer, Histoire de la mise en scène dans le théâtre français à Paris de 1600 à 1673, Paris, Nizet, 1960.
3. Parmi les œuvres dont s’inspirent les auteurs de tragédies figurent entre autres les histoires tragiques et les plaquettes de faits divers. Les histoires tragiques sont des textes brefs assez mal écrits dans lesquels abondent les détails atroces destinés à heurter l’imagination du lecteur. Ils sont très proches d’un genre à la mode : celui des plaquettes de faits divers dans lesquelles sont racontées avec force détails des histoires de meurtres, de rapts, de viols… Ces plaquettes bon marché font florès. En revanche, les volumes d’Histoires tragiques sont plus rares. Antoine Adam en dénombre seulement six entre 1593 et 1610. Sur ce genre : Antoine Adam, Histoire de la littérature française, op.cit., p.101-102.
4. Pierre de Laudun d’Aigaliers, Art poétique, Paris, Adrien de Brueil, 1598. Cit. [in]Antoine Adam, Histoire de la littérature française, op.cit., p.194. En rompant sur quelques points essentiels avec la tragédie constituée par Robert Garnier, Pierre de Laudun d’Aigaliers redéfinit dans son Art poétique l’esthétique de la tragédie. Cette profonde mutation n’est pas seulement théorique. Elle illustre une conception différente de la dramaturgie sensible dans l’écriture tragique. Telle que les poètes de la Pléiade avaient défini ses règles, la tragédie devait consister en la peinture d’une illustre infortune. C’est ce qui lui conférait sa sacralité.
5. P. Joannis Petri Maffei, Historiarum Indicarum […], Libri XVI, Lugduni, ex officina Junctarum, 1589. Trad. fr. : P. Jean-Pierre Maffée, Histoire des Indes […] où il est traicté de leur descouverte, navigation et conqueste faicte tant par les Portugais que Castillans. Ensemble de leur mœurs, cérémonies, loix, gouvernemens, et réduction à la foy catholique, traduit par F. A. D. L. B. [Arnault de La Borie], Lyon, Pillehotte, 1603. « Cette calamité si grande de Sosa, écrit le Père Giovanni Maffei, fut publiée en beaucoup de lieux, excita bien quelque miséricorde des hommes : mais ne diminua pas leur convoitise et audace. » P. Jean-Pierre Maffée, His-toire des Indes […], op.cit., p.926.
6. Fernan Alvares, Historiale description de l’Ethiopie […], Anvers, Iehan Bellere, 1558. A la suite d’Alvaro Fernandes, Luis de Camões et Jeronimo Corte Real vont évoquer, chacun à leur manière, ce tragique épisode du règne manuélin ; le premier en en livrant une transfiguration poétique dans l’un des chapitres de son poème épique, Os Lusíadas, le second en lui consacrant tout un poème épique, Naufragio e lastimoso successo da perdeçam de Manoel de Sousa de Sepulveda. Luis de Camões, Os Lusíadas, Lisboa, A. Gonçalves, 1572, V, 46-48 ; Jeronimo Corte Real, Naufragio e lastimoso successo da perdeçam de Manoel de Sousa de Sepulveda, Lisboa, s.éd., 1594. Sur le cinquième chant d’Os Lusíadas : Eric Axelson, Portuguese in South-east Africa 1488-1600, Johannesburg, Struik, 1973, p.202-207. Sur la proximité du texte de Luis de Camões et de celui de Nicolas Chrétien Des Croix, Michel Bideaux signale l’existence d’une édition castillane d’Os Lusíadas imprimée en 1580 et rééditée en 1591 : Los Lusiades de Luys de Camoes, traduzidos de portugues en castellano por Henri-que Garces, Madrid, G. Drouy, 1591. Sur ce point :Michel Bideaux, « Les Portugaiz infortunez ; Nicolas Chrétien des Croix et la mémoire de l’ère des découvertes », op.cit., p.225.
7. Alexander Maynor Hardee fait figurer parmi les sources possibles de Chrétien des Croix les Décadas da Asia. João de Barros, Décadas da Asia […], Lisboa, s.éd., 1552. Trad. it. part. : Giovanni Battista Ramusio, [Primo volume delle] Navigationi et Viaggi, nel qual si contiene la descrittione dell’Africa, Et del paese del Prete Ianni, con varii viaggi dal mar Rosso à Calicut, & insin all’isole Molucche […], Venetia, Heredi di Lucantonio Giunti, 1554, 2e éd, vol.I. Seuls quelques extraits des Décadas da Asia y sont traduits. Cette édition comprend d’autres récits traitant des populations des côtes méridionales africaines et notamment le Viaggio fatto nell’India per Giovanni da Empoli. Giovanni da Empoli, Viaggio fatto nell’India […] fol.156-158. Ceux-ci figuraient déjà dans l’édition de 1550. L’Historiale description de l’Afrique […] étant une traduction partielle du premier volume des Navigationi et Viaggi cette édition, il ne s’y trouve aucun extrait des Décadas da Asia. Chrétien des Croix n’a pu lire João de Barros en français et aucun élément ne nous permet de soutenir qu’il savait lire le portugais. Il a pu, en revanche, du fait de sa maîtrise de l’italien, lire les extraits traduits et insérés dans l’édition des Navigationi et Viaggi im-primée en 1554 comme il a pu, par ailleurs, puiser dans ce volume un certain nombre d’in-formations dans les récits des autres voyageurs pour la plupart imprimés dans cette langue.
8. João de Barros, Décadas da Asia […] [in]Giovanni Battista Ramusio, [Primo volume delle] Navigationi et viaggi […], op.cit., p.393.
9. Fernan Alvares, Historiale description […], op.cit., p.114. Francisco Lopez de Gomara, Histoire Generalle des Indes Occidentales et Terres neuves, qui jusques à présent ont esté descouvertes, traduite en françois par Michel Fumée Sieur de Marly le Chastel, Paris, Michel Sonnius, 1568, II, ch.84, p.170 v°-171 r°. Autre éd. : Paris, Michel Sonnius, 1569. On lira avec intérêt la paraphrase de cet extrait de l’ouvrage de Francisco Lopez de Gomara qu’a livrée Montaigne dans le second livre de ses Essais. Montaigne, Essais […]. Cinquiesme edition augmentée d’un troisiesme livre […], Paris, Abel Langelier, 1588, II, 12. Sur la poitrine des sauvages : Bernadette Bucher, La Sauvage aux seins pendants, Paris, Hermann, 1977, « Savoirs ».
10. Aristote l’a énoncé dans sa Poétique, la tragédie doit susciter la pitié et la terreur. Aristote ne s’oppose pas explicitement à la provocation de la pitié et de la terreur par le spectacle. Il estime cependant que l’art réside dans la narration plus que dans l’exhibition. Le jugement d’Horace diffère quelque peu de celui d’Aristote. Dans son Epître aux Pisons, Horace reconnaît que la narration est moins apte à déchaîner les passions que l’exhibition. Il estime cependant que les actes horribles ne doivent pas être montrés sur scène : « Ne pueros coram populos Medea trucidet,/ Aut humana palam coquat exta nefarius Atreus, etc… » Sur ce point : Raymond Lebègue, « Le théâtre de démesure et d’horreur en Europe occidentale aux XVIe et XVIIe siècles », op.cit., p.365 et Jean Rousset, La Littérature de l’âge baroque : Circé et le Paon, Paris, José Corti, 1954, p.86-87.
11. « Pour les besoins de l’action scénique, écrit A. Maynor Hardee, Chrétien a dû chercher ailleurs des précisions anthropologiques et ethnologiques sur une communauté cafre, au moyen desquelles il a su structurer leur société et animer leur interaction avec les Portugais. » Alexander Maynor Hardee, « Introduction » [in]Nicolas-Chrétien des Croix, Les Portugaiz Infortunez, op.cit., p.11.
12. « Au-delà du tableau exotique que Chrétien des Croix présente à ses lecteurs ou spectateurs, observe Alexander Maynor Hardee, notre auteur vise à éveiller la conscience de ses contemporains aux problèmes de conquête auxquels les moralistes comme Jean de Léry, Bartolomé de Las Casas et Montaigne s’en étaient déjà pris. » Alexander Maynor Hardee, « Introduction » [in]Nicolas-Chrétien des Croix, Les Portugaiz Infortunez, op.cit., p.24.
13. « Les premiers récits de voyages faisaient croire à la naïveté, l’ignorance, la simplicité parfois « bestiale » des peuples le long des côtes, en Afrique comme dans le Nouveau Monde, note A. Maynor Hardee, et qu’il était facile de les séduire en leur faisant cadeau de bibelots, ou par contre, de les étonner et effrayer par la détonation des armes à feu. Chrétien n’oublie pas d’évoquer ces traits de ses indigènes dans leurs premiers contacts avec les européens qui recourent à ce que Montaigne appelle les « avantages empruntez » (Montaigne, Essais, op.cit., I, 31, p.209), pour les dominer. La curiosité naïve du Pontife, à l’égard de la blancheur de Pantaléon, se satisfait en la testant avec de l’eau. Les villageois qui dansent à l’acte II s’enfuient en voyant approcher deux hommes blancs qu’ils prennent pour des larrons. Ensuite, un groupe de Cafres armés de « leurs longs bois » paraît et les Portugais, croyant qu’ils vont les attaquer, tirent en l’air avec leurs armes à feu, ce qui épouvante les noirs qui se dispersent comme « moutons écornez ». Ces Noirs expriment bien leur innocence face aux armes des Blancs (les « avantages empruntez » de Montaigne) lorsqu’ils racontent l’incident à Mocondez ; ils ne savent même pas le nom de l’engin dont la détonation les a épouvantés. Ils ne peuvent que le décrire en termes de la nature qu’ils connaissent : « gresle », « flame », « éclers », « tonnerre ». A travers ces mots, le roi et le Serif peuvent connaître l’existence et les artifices des étrangers blancs, et ainsi se préparer à les repousser, mais le menu peuple les ignore et réagit à sa façon naturelle lors de la rencontre. » Alexander Maynor Hardee, « Introduction » [in]Nicolas-Chrétien des Croix, Les Portugaiz Infortunez, op.cit., p.20. L’oisiveté des indigènes est une topique de l’énoncé viatique avec la naïveté, l’ignorance, la simplicité… Aisés à séduire par les présents, verroteries et patenôtres, aisés à effrayer par les salves, les détonations des pétoires, les indigènes sont affublés d’une multiplicité de traits négatifs…
14. Il est encore plutôt inhabituel de lire dans des écrits concernant des populations des confins américains, indiens ou africains, des remarques faites par les indigènes eux-mêmes sur leurs visiteurs européens et rendant compte de la perception de leur altérité. Il est en revanche beaucoup plus courant de lire des propos portant sur les croyances supposées des sauvages. Sur la notion de pensée sauvage et sur la différence existant entre « la pensée sauvage » et « la pensée des sauvages » : Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962. Rééd. : Paris, Presses Pocket, 1990, « Agora ». Sur la perception des colons européens par les sauvages : Rowland Raven-Hart, Before Van Riebeeck. Callers at South Africa from 1488 to 1652, Cape Town, Struik, 1967. Item 24, p.22-25 ; Rowland Inskeep, The Peopling of Southern Africa, New York, Barnes and Noble, 1979 ; François-Xavier Fauvelle et Manuel Valentin, « L’image du Blanc en Afrique australe XVIIe-XIXe siècles » [in]Cahiers du Cra – Centre de recherches africaines. Autres sources, nouveaux regards sur l’histoire africaine, n°9, 1998, p.191-213.
15. « Les ressources formelles ont en commun leur mise au service de la représentation tragique, écrit Michel Bideaux, un rituel socialisé qui, au moyen d’un cérémonial hautement codé, récite une action prétendument advenue et censée provoquer, avec le plaisir et l’émotion produits par le spectacle lui-même, une révélation ou une célébration des mythes et de l’éthique reconnus par cette société. » Michel Bideaux, « Les Portugaiz infortunez : Nicolas Chrétien des Croix et la mémoire de l’ère des découvertes », op.cit., p.227. Sur la recherche de l’exposition parfaite, la question de la représentation, le privilège de l’action sur le récit et sur l’abandon du chœur par les auteurs au dix-septième siècle : Jacques Scherer, La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 1986, p.56-59, 156-160, 229-239 et 356.
16. Pour Alexander Maynor Hardee, Chrétien des Croix est proche, dans son apologie du bon sauvage et dans sa condamnation des injustices et cruautés infligées aux indigènes, de « Des coches » et des Tyrannies et cruautez des Espagnols. En prenant la défense des indigènes et en leur donnant la parole, Montaigne et Las Casas excipent de leurs droits naturels, fustigent les abus des conquérants et en appellent à la justice divine.
17. « Les relations de voyage, écrit Alexander Maynor Hardee, ont amplement rapporté – surprenante découverte – que les peuples d’Afrique et surtout ceux du Nouveau Monde (voir Benzoni, Gomara, Acosta), avaient leur mythologie, leurs idées historiques et religieuses sur leur origine, leur couleur, la création du monde, le Déluge, le monothéisme (en l’occurence Mosini pour les Cafres) aussi bien que sur le polythéisme, et même l’idée d’un Rédempteur entendu au sens vague, et sur l’immortalité, ce qui était d’autant plus étonnant pour les Européens que ces primitifs n’avaient aucune connais-sance de l’Europe, ni de la religion judéo-chrétienne. » Alexander Maynor Hardee, « Introduction » [in]Nicolas-Chrétien des Croix, Les Portugaiz Infortunez, op.cit., p.22-23.
18. Le Génie n’est pas avare en reproches au regard des entreprises conquérantes. Il se montre sans pitié envers les entreprises lusitaniennes : ce sont les Portugais qui ont doublé le Cap et décidé d’asservir les peuples du Midi. S’interrogeant sur les desseins des colons, il se fait porte-parole des indigènes, et s’exprime en ces termes : « Que vont-ils recherchant ? Leur païs n’est-il pas / Riche d’assez de fruicts pour leur donner repas ? » (v.99-100) ; « Que chacun ne se tient en son propre manoir ?/ Qu’a l’homme blanc à faire avec le rouge ou noir ? » (v.143-144) De semblables interrogations pointent dans les discours des indigènes de l’Histoire d’un voyage faict en la terre de Bresil de Jean de Léry. Jean de Léry, Histoire d’un voyage faict en la terre du Bresil, autrement dite Amerique. Contenant la navigation, et choses remarquables, veuës sur mer par l’aucteur. Le comportement de Villegagnon en ce pays la. Les mœurs et façons de vivre estranges des Sauvages Ameriquains : avec un colloque de leur langage […], La Rochelle [Genève ?], Antoine Chuppin, 1578.
19. Parce qu’elles ne peuvent être jouées, nombre d’œuvres dramatiques sont lues, chez des particuliers, au cours d’après-midi et de soirées sur lesquelles des indications précieuses ont été consignées dans des mémoires et des lettres. Plusieurs études passionnantes ont été consacrées à ce sujet ces dernières années. Parmi celles-ci figure notamment la contribution de Pierre Dumonceaux publiée par Patrick Dandrey dans le numéro de Littératures classiques consacré à la voix au dix-septième siècle. Pierre Dumonceaux, « La lecture à voix haute des œuvres littéraires au XVIIe siècle : modalités et valeurs » [in]Littératures classiques. La Voix au XVIIe siècle, n°12, 1990, p.117-125. Sur ce point, voir aussi : Henri-Jean Martin, « Pour une histoire de la lecture » [in]Revue Française d’Histoire du Livre, n°16, 1977, p.583-609 ; « Pour une histoire de la lecture » [in]Le Débat, n°22, 1982, p.160-177. Repris [in]Le Livre français sous l’Ancien Régime, Paris, Promodis, 1987, « Histoire du livre », p.227-246 ; Philippe Ariès « Pour une histoire de la vie privée » [in]Philippe Ariès Roger Chartier, Georges Duby, dirs., Histoire de la vie privée, 3. De la Renaissance aux Lumières, Paris, Seuil, 1986, « L’Univers historique », p.7-19 ; Roger Chartier, « Loisir et sociabilité : lire à voix haute dans l’Europe moderne » [in]Littératures classiques. La Voix au XVIIe siècle, op.cit., p.127-147.
20. Que ce soit chez Jacques Signot, Guillaume Le Testu ou chez André Thevet, il ne s’agit pas à proprement parler de descriptions des populations des confins africains. Comme l’a montré Frank Lestringant, les matériaux réunis sur l’Afrique par André Thevet sont issus du Périple d’Hannon et des voyages du marchand vénitien Alvise de Ca’da Mosto, et concernent principalement la côte occidentale. Ainsi que nous l’avons vu, André Thevet véhicule une vision globale et par conséquent réductrice des populations africaines. Sur l’Afrique d’André Thevet : Frank Lestringant, « Etrange Afrique : de Ca’da Mosto à Thevet » [in]Marie-Thérèse Jones-Davies, dir., L’Etranger : identité et altérité au temps de la Renaissance. Actes des colloques organisés par la Société Internationale de Recherches Interdisciplinaires sur la Renaissance (S.I.R.I.R.) les 8 et 9 décembre 1995 et les 15 et 16 mars 1996, Paris, Klincksieck, 1996, « Publications du Centre de Recherches sur la Renaissance », p.37-47.
21. Dans son Discours de l’abus des nuditez de gorge paru en 1677, l’abbé Jacques Boileau écrit : « Dieu a de l’aversion pour toute sorte de nudité de corps […]. » « On aura beau faire, on aura beau dire, écrit Christian Biet, ces comédiens sont nus. Même en objectant que l’idée qu’on peut se faire de la nudité n’est pas la même en 1606 et en 1677, même si elle est probablement mieux tolérée, voire plus « innocente » sous le règne du roi Henri et sur les planches de Rouen qu’à Paris sous Louis XIV, même si elle n’est que proposée par le texte et peut-être juste bonne à être lue, elle est quand même là, infiniment présente, aveuglante pour quiconque lit la pièce, en 1608 comme en 2002. Car la réserve qui consisterait à dire que cette tragédie n’a jamais été jouée, ou qu’on n’a même jamais envisagé de le faire, ne tient pas devant le fait que ce texte est publié sous la forme du théâtre et que le lecteur doit imaginer une représentation précise des corps nus. » Christian Biet et Sylvie Requemora, « L’Afrique à l’envers ou l’endroit des Cafres. Tragédie et récit de voyage au XVIIe siècle », op.cit.
///Article N° : 4021

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire