Une histoire de l’outre-mer

De Christiane Succab-Goldman

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Deux ans et demi de travail, neuf mois de tournage, 300 heures de rushes : cette série en trois épisodes est un événement. Mais pas seulement par les moyens mis en œuvre : elle participe de ce mouvement essentiel aujourd’hui d’une écriture endogène de sa propre Histoire par les populations marginalisées dans le monde. Cela ne va pas sans inverser des visions. En allant à la rencontre des Outre-mer, la Guadeloupéenne Christiane Succab-Goldman sollicite des femmes et des hommes des Antilles à la Guyane, de la Nouvelle-Calédonie à Wallis et Futuna et la Polynésie française, de Mayotte à la Réunion, et même à St Pierre-et-Miquelon. Elle donne certes la parole à quelques personnalités connues comme Maryse Condé ou Françoise Vergès, Daniel Maximin ou Paul Vergès, ou encore Elie Domota, le syndicaliste guadeloupéen porte-parole du LKP. Mais ce sont aussi des historiens du cru et non des sommités parisiennes qui retracent les grandes lignes d’une Histoire mouvementée en apportant leur propre analyse. Et ce sont également des témoins qui ont vécu ce qu’ils racontent.
Le tout est d’une grande clarté malgré la somme d’informations : destiné à la télévision, l’exercice est pédagogique mais de qualité. Des cartes placent la géographie et les déplacements, des archives marquantes illustrent un commentaire précis qui sait ne pas être omniprésent. Les interviews ne sont ni trop longues ni trop courtes, permettant aux idées d’être exprimées sans être hachées.
Situés aux quatre coins du monde, qu’est-ce qui unit les DOM-TOM ? Leur rapport à la France bien entendu, que ce soit durant l’esclavage puis la période coloniale, ou bien aujourd’hui, dans le tumulte de la mondialisation, les trois étapes temporelles de cette série. Le générique démarre donc naturellement sur des phrases marquantes des présidents de la République : De Gaulle, Giscard, Chirac, Mitterrand tandis que Sarkozy apparaîtra lors des concertations sur l’avenir statutaire des départements et leur évolution vers plus d’autonomie.
Car l’autonomie reste la question fondamentale : quelle voie suivre ? On retrouve ici ce qui frappe dans Afrique sur Seine, l’acte fondateur de l’Histoire des cinémas d’Afrique (cf. France, je t’aime ; France, je te hais : les cinémas d’Afrique dans le trouble de la coopération [article 9865]) : la revendication d’une égalité de traitement, être des citoyens à part entière. Revendiquée par Aimé Césaire, la départementalisation sera dès lors la garantie d’une réelle application des lois qui étaient bafouées durant les colonies.
Ce n’est que parce que la pratique ne suit pas le droit et que le marasme économique et social persiste que la revendication d’autonomie resurgit régulièrement. De Gaulle opérera une nette reprise en mains pour préserver l’unité française mais aussi les intérêts français : les essais nucléaires à Mururoa jusqu’en 1996, la base spatiale de Kourou en Guyane. Les affirmations culturelles identitaires sont dès lors perçues comme déstabilisantes, le créole étant depuis toujours une langue de confrontation des cultures. On verra ainsi le maloya interdit d’antenne à la Réunion.
Du drame de la grotte d’Ouvéa en Nouvelle Calédonie en 1988 aux 44 jours de grève contre la vie chère du mouvement contre la profitation de 2008, c’est encore le rapport avec la France qui est en cause. « Le malaise va resurgir car le problème de fond n’est pas résolu », indique Maryse Condé. Cela ne changera que lorsque les pays de l’Outre-mer français seront acteurs et non plus sujets : être, comme le conclut cette passionnante série, pleinement du monde et non plus du bout du monde.

///Article N° : 10090

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