« Une poésie nécessaire, celle de l’inspiration vive »

Entretien de Boniface Mongo-Mboussa avec Gabriel Okoundji

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Gabriel Okoundji occupe dans la poésie congolaise une place particulière. Il n’est pas un poète baroque, charnel comme Tchicaya U Tam’si ; il n’écrit pas la poésie engagée, digne d’un Maïakovski de Maxime N’Debeka (du moins de Maxime N’Debeka des années 70), ni encore moins les vers méditatifs de Jean-Baptiste Tati-Loutard, le poète miroir de tout un génération. Il s’inspire de la tradition orale tégué, se revendique des berceuses téké. Il est un Mwènè. En ce sens, sa démarche est très proche de l’anthropologue malinké Sory Camara, auteur de Gens de Parole, ou des poètes occitans à cheval entre deux cultures. Comme eux, il puise son inspiration de l’oralité, tout en restant ouvert à la modernité. D’où l’impression d’aphorismes qui se dégage de certains de ses vers. En un mot Gabriel Okoundji est un poète interprète qui écoute la rumeur du monde avec ses yeux.. BMB

Le titre de votre dernier recueil est intrigant :  » Vent fou me frappe  » ! Comment l’entendre ? Y a-t-il un clin d’œil intertextuel entre  » Vent fou me frappe  » et  » La marque du fou  » ?
Et une autre question par rapport aux titres : alors que les premiers étaient lumineux, gais, littéraires :  » Cycle d’un ciel bleu « ,  » Second poème « , etc., les deux derniers sont assez sombres. Qu’est ce qui justifie ce décalage ?
Chacun des titres de mes ouvrages est conçu comme un point de repère le long d’un cheminement. Ce cheminement est né, il y a quelques années, avec mon ouvrage  » Cycle d’un ciel bleu « , qui a marqué mon entrée en littérature, du côté de la poésie. Ce livre est donc un livre de commencement. Or, au commencement de l’existence, le ciel nous apparaît lumineux, bleu, dans la majorité des cas.
Non pas qu’il serait dépourvu, à ce moment-là, des autres couleurs du cosmos. En réalité, les conditions du début ou du commencement du regard, ne permettent pas, aux pauvres mortels que nous sommes, de percevoir l’ampleur de leur signification.
Aussi,  » Cycle d’un ciel bleu  » renferme t-il des poèmes dont certains, dans leur élan d’irruption, semblent dire avec fougue, l’insouciance du souffle malgré la brûlure du mot.
Et la terre a tourné, emportant dans son mouvement, l’insolence poétique de jeunesse qui a inexorablement laissé place à la nécessité de recherche d’une parole fondamentale. Je veux dire la parole qui féconde la lumière qui aide au cheminement.
 » Second poème  » a été écrit dans l’ardeur du geste d’un retour à l’enfance. Ce livre est un voyage parmi les énigmes du temps. Ce livre est une inscription après coup sur la terre et les lieux d’où j’ai appris à prendre langue. Ce livre m’a permis de redécouvrir, entre autres, la parole des Tégué, touffue dans sa splendeur et nombreuse dans son expression.
J’ai appris à voir l’immensité de cette parole. Elle n’a que le souffle de sa lumière pour étayer tout mortel qui sait écouter. Cette parole est nécessaire pour supporter l’abîme, car elle dynamise le lien spirituel de l’être humain à sa terre, à son socle, à sa racine, à son univers, à son cosmos.
La parole vivifie l’esprit de celui qui l’entend. C’est par elle que pénètre la lucidité dans l’âme. Et, tout le monde sait depuis René Char, que la lucidité est :  » la blessure la plus rapprochée du soleil « . Cette blessure est nécessaire, parce qu’elle est dans la danse de la vie. Le geste n’atteint la perfection qu’au prix d’une fissure.
Mon quatrième ouvrage  » Gnia ma moni mè « , qui est un témoignage à la gloire du tumulte, le dit sans détours. Ce livre est le proverbe de la douleur. L’écriture de ce long poème unique m’a imposé, par nécessité impérieuse, la voie de ma quête poétique actuelle.
J’apprends désormais à observer une parole dans ce qu’elle contient de réellement parole, c’est-à-dire, dans ce qu’elle a d’authentique, parce que dépouillée des feux de la fascination qui n’ont que les flammes de la naïveté et des volcans de l’empressement.
La 4è de couverture de  » Gnia  » annonce un texte conçu comme le signe d’une graine semée sur une page avec l’espoir de voir germer cette graine en une parole fondamentale.
Et, justement, ce sont ces mots de terre et de ciel frappés sans bruit qui deviendront, un an plus tard, la source qui a alimenté le souffle de  » L’âme blessée d’un éléphant noir « .
Le poème qui ouvre ce livre, est un appel d’espérance adressé aux vents, qui seuls connaissent la vertu des grands sommets. Mais il faut le savoir. Tout ce que les vents portent dans l’honneur, dans la passion vers le sommet, finit par connaître l’état de vertige ou d’agonie qui prépare au destin de la chute. Il y a quelques années, dans  » Second poème « , je formulais à peu près ceci :  » La bouche qui aujourd’hui chante ton éloge, c’est la même qui demain, renversera ton honneur « . Face à la chute, l’Homme garde malgré tout la liberté de son cri. Le mien a été  » Vent fou me frappe  » !
Bref, tous ces titres se tiennent les uns aux autres, soudés comme les cinq doigts d’une main et connaissent le chemin d’un sens qui se situe quelque part sur les rives de l’existence.
Vous évoquez l’ouvrage de Mbourra Mam Kandet qui est pour moi un visionnaire. Un homme qui était capable de tenir l’infini de l’univers au bout de sa pensée. Et comme tous les visionnaires, il n’aura eu qu’une existence de météore. J’ai lu son livre, mais bien longtemps après avoir écrit l’essentiel de  » Vent fou me frappe « . Il n’y a donc pas à voir, entre nos deux titres, de rapport intertextuel. Mais je lui rends hommage dans ce livre, en reconnaissance et en souvenir de nos années de lycée.
Je sais que vous considérez  » Gnia « , comme votre recueil le plus personnel, le plus intime. Ne peut-on pas dire la même chose de  » Vent fou me frappe « , ne serait ce que par l’épilogue consacré au décès de celle pour qui vous devez votre vie ?
Oui, c’est vrai. Votre regard est juste. Dans ces deux recueils, il y a la problématique de la perte. Toute perte est toujours une perte d’amour. On a beau savoir depuis Anaximandre que tout ce qui naît, dans la mesure où cela a une essence, mérite de mourir ; il n’empêche qu’il est douloureux et vain d’oublier. Le poète est avant tout celui qui n’oublie pas. Alors, il reste le mot et le verbe pour nourrir la nostalgie du futur. On ne peut réussir à célébrer que ce que l’on n’a pas. Ce qu’on a plus. Mais le mot qu’il suffirait de nommer pour que vienne la paix de l’âme me manque toujours. Il me semble qu’on ne peut l’atteindre. Du moins, dans mon cas, je le cherche encore. Avec obstination. Non sans épuisement. Voilà pourquoi je demeure, à ce jour, un apprenti de la poésie.
Ce qui frappe dans  » Vent fou me frappe « , c’est la récurrence des motifs liés à la chute, mais aussi à la résistance. La poésie est-elle pour vous une forme de résistance ?
Tous les chemins mènent, non pas à Rome, mais à la mort. Rome n’est qu’une escale parmi d’autres. Marc-Auréle disait :  » dès l’aurore, dis toi d’avance : je rencontrerai un indiscret, un insolent, un fourbe, un envieux, un égoïste « . La poésie est plus qu’une forme de résistance, elle est la vie. Hors la vie exige la résistance. Et la poésie nous indique que l’une des voies de cette résistance se situe dans le signe. Sans doute la voie la plus noble. La plus efficace aussi. Parce que le signe aide à saisir ce que contient l’horizon, jusqu’à l’indicible et l’impalpable. Car, il appartient à l’Homme qui connaît le signe et la métaphore, de donner à lire l’émotion au-delà du tumulte, de marcher lorsqu’il faut marcher, et de s’asseoir, lorsqu’il faut demeurer assis. Surtout de ne pas hésiter à libérer le souffle. De ne jamais hésiter. C’est la vie. Nous n’avons que la vie avant la mort. Car,  » vivre, c’est insister « , pour parler comme Ben Salem Himmich.
Une autre constance de votre poésie : la part du mystère, de l’existence, je dirais sa dimension philosophique. Pour vous un poète est-il un philosophe ? Un initié ?
Je ne sais pas exactement ce qu’est un philosophe. Je ne le suis pas. Tout ce que je sais dans ma quête de l’inconnu, je le dois à deux personnes : Bernadette Ampili et papa Pampou. Ma tante-mère Bernadette Ampili savait dire dans ses pleurs et dans ses contes, l’essentiel de la parole cachée dans l’énigme existentielle. C’est elle qui m’a dit que toute racine n’a qu’un tronc, et que l’arbre qui se consume dans l’épreuve du feu n’ignore pas le recueillement. C’est elle qui m’a dit qu’un arbre sans écorce est un arbre blessé et qu’un arbre blessé est un arbre sans écorce. C’est elle qui m’a dit que l’arbre abattu ne choisit pas le sol de son repos ni les vents qui guident sa chute, etc. Bernadette Ampili avait une mémoire riche et un souffle qui constituait une source de paroles éclatantes et profondes.
Quant à papa Pampou, il est devenu quelques années plus tard, mon obéla (mon proche conseiller). Il a éclairé mon chemin demeuré jusqu’alors sous l’emprise inflexible de l’énigme de l’errance. J’ai dit de lui, qu’il est l’homme qui remue la forêt. Qu’il est de la race des seigneurs qui ne savent pas pourquoi la terre tourne, mais qui pourtant la feraient tourner à l’heure de leur volonté. papa Pampou ne m’a rien révélé. Il m’a simplement indiqué la direction de l’horizon. Là où le temps se rapproche du soleil c’est-à-dire là où l’Homme doit apprendre à répondre à un écho. Pour ce faire, il faut un cheminement nécessaire. Or dans le cheminement, on est seul, nul ne peut nous accompagner. Ni personne, ni un savoir. Voilà pourquoi, au cours de l’initiation, on ne transmet pas le savoir en terme de recettes de vie. On privilégie le signe, la métaphore, le symbole et le proverbe qui sous-tendent la valeur de l’énigme. Ceci, afin que chacun parvienne, de lui même, par sa propre interrogation, à trouver son chemin d’existence. Car l’initiation conduit chaque être humain, confronté à son propre parcours, à redevenir un Homme ordinaire. C’est-à-dire, un être accompli qui n’a rien d’exceptionnel. Néanmoins, cet Homme sait que l’éclair est nécessaire à la nuit, qu’une parole sans détours ne se détourne pas, que derrière la montagne il y a une montagne. Il sait aussi que l’Homme doit mourir pour qu’il mûrisse, que la mort n’a pas d’héritier et, du mystère de la mort, l’Homme ordinaire ne sait rien d’autre.
Si aujourd’hui j’écris une poésie que l’on peut nommer :  » poésie d’initiation « , celle qui invite le lecteur à se poser sa propre question existentielle, c’est en mémoire à tante-mère Bernadette Ampili et en honneur à papa Pampou. C’est à cause d’eux, si je peine à désigner l’émotion fondamentale qui donne à l’Homme sa dimension d’Homme ; c’est grâce à eux, si l’un de mes vers réussit un jour à apporter au lecteur la vision nécessaire pour cheminer dans le brouillard de l’horizon existentiel. Je ne suis qu’un interprète.
Quels sont les poètes qui vous ont marqué ? Vos livres de chevet ?
De nombreux poètes m’ont beaucoup marqué. Je cite par exemple : Isidore Ducasse, notre doyen Senghor, Mbourra Mam Kandet, Tchicaya U Tam’si, André Breton et tous les surréalistes, René Char, Bernard Manciet avec qui j’ai longtemps collaboré. Par dessus tout, il y a la figure emblématique de Césaire. L’indépassable Césaire. C’est lui, Aimé Césaire qui, je crois, détient entièrement la clé de l’énigme poétique.
Vous avez signé vos premiers textes Gabriel Okoundji. Depuis, vous êtes devenus Mwènè. Pouvez-vous nous justifier les raisons de cette  » métamorphose  » ?
Cette question m’a été souvent posée au cours des discussions littéraires. Parfois avec un ton moqueur de certains de nos écrivains africains. Comme si c’était une tare. D’autres ont cru voir en moi un être régressif aux pratiques instinctivement sauvages et primitivement barbares.
En réalité, leur étonnement révèle une grande ignorance de l’histoire de notre continent. Car les uns et les autres ne savent pas par exemple que le nom Zimbabwe signifie la grande maison en pierre. Cela évoque bien sûr avant tout, la magnifique muraille du grand Zimbabwe aux constructions si imposantes dont on dit qu’elles ont demandé autant de travail que les pyramides d’Egypte. Savez-vous que ce travail titanesque qui a duré un millénaire, du VIIè au XVIIè siècle, est l’œuvre exclusive des Mwènè ? Eh bien, ce sont les Mwènè qui bâtirent la civilisation la plus raffinée de cette partie de l’Afrique. Le plus connu des Mwènè, ainsi que le rappelle Joseph Ki-Zerbo, fut Nzatsimba qui prit le nom de guerre de Mountoba Shourou Chamoutapa, ou plus simplement Moutapa. On l’appelle aussi le Mambo. C’est son titre de Mwènè Moutapa (roi Moutapa), qui est à l’origine du mot Monomotapa. Son fils et successeur, Matopé, une sorte de Soundjata, est à considérer comme le vrai fondateur de l’empire des Mwènè Moutapa qui allait de la Zambie actuelle au Zimbabwe, de la Tanzanie au Mozambique. C’est lui qui par une série de brillantes campagnes, rassemble toutes les terres conquises entre le Khalari et la région de Sofala sur l’océan Indien. L’administration des provinces était confiée aux fils et neveux du souverain.
Les Mwènè relèvent donc d’une grande et honorable civilisation, dont le règne a connu son apogée aux alentours du 15è siècle, date des grandes constructions dont la renommée a atteint l’Occident, allant jusqu’à influencer Jean de La Fontaine.  » Deux vrais amis vivaient au Monomotapa « , écrit-il.
A partir du 16è siècle, l’invasion destructrice des Portugais a amorcé le crépuscule de cet empire. Dès lors, les Karanga, peuple du Monomotapa, connaissent le chemin de la migration à travers l’Afrique centrale et leur pouvoir se réduit en quelques chefferies.
Le déclin politique et économique s’est mué en une éclatante force spirituelle. Le Mwènè est de nos jours l’homme qui incarne la pondération, la maîtrise de soi, et l’éloignement des passions, qui marquent un être accompli et purifié. Il est le chef spirituel qui toutefois n’enseigne pas. Car, comme autrefois au Monomotapa, la parole du Mwènè se doit de se faire rare. Sauf quand la gravité de la situation l’exige. Il doit introduire un sujet, le traiter et le conclure toujours en faisant référence aux symboles, aux adages, aux mythes, à l’histoire du clan, aux proverbes et aux maximes. Dans tous les cas, sa parole est incontestée, incontestable, indiscutable.
Le Mwènè est le Nkani, le Nkumu (le u se lit ou), le Okundji, le Mokundji, garant du pouvoir traditionnel moral et judiciaire, il est celui qui assure le lien entre les mondes du visible et de l’invisible, vénéré par les Ebaniki (ses hommes de main et messagers), par les Obéla (ses proches conseillers, initiés dans l’art des audiences judiciaires et de délibération des assemblées rituelles, dépositaires de l’histoire orale du clan), par son peuple tout entier.
En ce qui me concerne, il n’y a pas eu métamorphose, il s’agit de la continuité de l’histoire humaine nécessaire à l’équilibre social du peuple Tégué du Congo. Mon père était Mwènè, titre qu’il avait hérité de son oncle, lequel fut un éminent Mwènè.
Je suis un Okoundji, ce qui signifie : chef, dans beaucoup de langues bantoues. Mon nom de naissance confirme ma fonction de Mwènè. Quelques années avant la mort de mon père, c’est moi parmi mes frères, qui étais désigné à prendre la succession. Etant donné que j’étais encore mineur, je ne pouvais ni assumer les lourdes charges et obligations rituelles, ni exercer tous les pouvoirs relevant de ma fonction. L’ensemble de mes prérogatives a donc été mis en veilleuse jusqu’à une période récente où enfin, les Obéla et les Ebaniki qui forment la cour d’un Mwènè, ont accepté de me  » mettre sur la natte « , c’est-à-dire de me révéler la plénitude de ma tâche. Je suis donc un Mwènè, un Okundji, du rang égal des Mwènè que l’on peut rencontrer dans certaines régions des deux Congo, au Gabon, en Angola, au Zimbabwe, etc.
Ma fonction de Mwènè ne m’empêche d’ailleurs nullement de vivre ici en France, d’avoir une étroite collaboration avec mes contemporains, mes compagnons en poésie ou d’exercer ma profession de psychologue clinicien dans les hôpitaux de Bordeaux et, de donner des cours à l’université. Il n’y a donc pas de repliement ou de renfermement dans mon cheminement, bien au contraire. Je me situe dans la modernité, étant entendu que la modernité consiste en une recherche d’un mieux-être, d’un équilibre de vie.
Aussi, lorsque je le pourrai, je consacrerai un ouvrage sur l’univers encore mal connu des Mwènè. Un ouvrage qui sera poétique et littéraire. Car les rares études sur ce sujet demeurent malhabiles.
Vous avez consacré un ouvrage à l’anthropologue Sory Camara. Faut-il voir un signe de complicité intellectuelle et littéraire ?
Absolument. Car nos discussions sont toujours pour moi, d’intenses moments. L’originalité des recherches du professeur Sory Camara sur les maîtres de sentier que sont le griots Mendenka, avait toujours suscité en moi, intérêt et admiration. Mais il se trouve que certains de nos intellectuels ignoraient son travail. Je vous précise qu’à Bordeaux où je vis, j’ai un passé de militant pour la cause culturelle. Un jour de 1996, lors d’une discussion avec Ibrahim Ndiaye, président de l’association Déclic Europe-Afrique noire, nous sommes parvenus à l’idée de programmer une manifestation d’envergure en l’honneur de Sory Camara. Une année plus tard, le 10 mai 1997 à Bordeaux-Pessac, fut organisé, en présence de Sory Camara, un colloque sous ma direction. Il fut question, au cours des débats, de recueillir les points de vue de ses collègues universitaires, ceux de ses anciens étudiants, bref, d’interroger la valeur, l’influence et la place qu’occupe l’œuvre de ce grand professeur dans la communauté scientifique. L’ouvrage auquel vous faites allusion est le fruit de ce colloque. Ma tâche fut de coordonner les diverses contributions, de les réunir, d’harmoniser leur contenu et d’écrire la préface de cet ouvrage auquel j’ai librement donné le titre de  » Palabres autour des paroles de Sory Camara « . C’est une faute grave que d’ignorer celui qui vous a précédé sur un sentier. Voila le sens de ce livre. Sory Camara est un aîné.
Dans  » L’âme blessée d’un éléphant noir « , vous avez rendu hommage à la poétesse Bernadette Ampili. Dans  » Vent fou me frappe « , vous célébrez Ezobolo. Quels rapports la poésie d’Okoundji entretient-elle avec la  » poésie populaire  » de son terroir ?
Je ne sais pas ce que vous voulez dire par poésie populaire. Pour moi, il y a deux types de poésie. La bonne, c’est-à-dire une poésie nécessaire, celle de l’inspiration vive, celle du souffle qui a du sang dans les veines, et peu importe le mode de son cheminement. Et la mauvaise, c’est-à-dire, une poésie qui manque du feu dans sa langue, qui se contente de la phraséologie ondulante, qui toussote, et qui gémit.
La construction de  » L’âme blessée…  » était ternaire, rigoureuse, faisant d’ailleurs penser à un conte, celle de  » Vent fou me frappe  » est plus éclatée. Y’a t-il une raison à cela ?
J’avais 40 ans lorsque j’ai écrit  » L’âme blessée d’un éléphant noir « . 40 ans pour l’Africain que je suis, c’est l’âge du don de la parole qui fait apparaître l’éveil, c’est l’âge de la transmission de l’héritage du savoir, celui qui fait grandir, qui rend l’Homme tout à fait adulte. J’ai fait la somme de ce que j’avais capitalisé en savoir et en expérience. Cela a donné ce petit livre. Autrement dit, pas grand chose. Je me suis rendu compte à quel point, tout en sachant que l’enfant est le nœud de l’existence et que le plus grand bonheur de l’Homme c’est l’Homme, il m’était malgré tout difficile d’atteindre la parole qui engage et dynamise le lien spirituel de l’être à sa terre. Dans  » Vent fou me frappe « , je prends conscience de ce manque en moi, de mon incapacité à nommer la graine nécessaire à la transmission, de mon impuissance à empêcher l’énigme de retourner son ombre au ciel. Et, face à l’apesanteur du tumulte engendré par pareille évidence, il faut se résoudre à accepter que tout mortel, qu’il soit Mwènè ou pas, se doit de composer avec les dénivellations de son destin. Voilà pourquoi ces deux chants, nés du souffle d’un éclat d’âme au cœur de mon cœur, ne révèlent ni le même rythme, ni la même forme, ni la même cadence.

///Article N° : 3264

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