Y a-t-il une vie avant la mort ?

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Ce texte en guise de manifeste mêle les voix poétiques de Tanella BONI, Célia ELAME, Denis POURAWA, Yvon LE MEN, Rohan HOUSSEIN et Marc Alexandre OHO BAMBE, sur une idée originale de ce dernier. Cette question, brutale et douce à la fois, « à quoi sert la poésie ? » appelle une réponse. En voici, une, collective et offerte. En partage !

Y a-t-il une vie avant la mort ?
Oui, assurément, définitivement.
Oui, parce que la poésie.
Oui, par ce que peuvent les poèmes.
A savoir, faire advenir la beauté des choses, comme disait Aragon.
Y a-t-il une vie avant la mort ?
Oui, assurément.
Définitivement, oui.
Oui parce que la poésie.
Oui par ce que peuvent les poèmes.
Mais que peuvent les poèmes ? Et les poètes ?
Rien, et c’est déjà beaucoup.
Alors à quoi sert la poésie ?
A rien je le répète, et à tout à la fois, c’est en cela même qu’elle est absolument nécessaire, urgente et vitale.
Les poètes témoignent du monde, et de la nature de l’Homme, exposé, intense, brûlé. Les poètes (sur)vivent sur la brèche, en (r)allumant ici et là, des mèches d’humanité.
Glissant est là, comme Hessel, comme Morin, Fanon, Eluard, et Césaire professeurs d’espérance, soleils de nos consciences.
La poésie invite à « agir dans nos lieux et penser avec le monde », à refuser de rester les « bras croisés en l’attitude stérile de spectateurs » d’une catastrophe annoncée, pensée, élaborée chaque jour par des « assassins d’aube » qui nous plongeront dans les ténèbres si on les laisse faire.
Les poèmes ont un pouvoir et le devoir d’être alliés aux actes, fondateurs de lien, instigateurs de beauté. Et de bonté.
Les poètes ont un pouvoir et le devoir de bouleverser le désordre du monde. Comment ? En refusant de renoncer, en continuant à énoncer la beauté, même fugace des choses.
Holderlin est là. Mahmoud Darwich aussi.
Depuis toujours, dans toutes les langues du monde, les poètes chantent les possibles, dessinant les contours du jour, qui viendra toujours après la nuit.
Depuis toujours, les poètes souffrent et s’offrent.
En paroles.
De liberté…
La poésie sublime quoiqu’elle effleure.
Elle donne de la musicalité aux sens, éveille la sensualité.
Mère porteuse de toutes les émotions, violence, amour, sagesse, la poésie est révélatrice de l’être …
Armistice pérenne, (con)quête d’homme, supplément d’âme sublimant, ensemble harmonique de mots qui s’assemblent dans l’éther à l’instar des notes de la sitar, pour faire naître le doux vacarme d’une rébellion du cœur qui nous libère sans arme et sang, des fléaux de la terre.
La poésie élève au rang de guerrier de lumière et de paix, contre vents et marées, contre l’obscurantisme. Elle est passeport, pour l’autre monde, visa d’accès aux abysses de l’identité.

A quoi sert la poésie ?
A rien, ou à tout.
La POésie née langue est peau invisible, eau nue qui boit l’aveugle, encre salvatrice de veines nouvelles, dessin chanté, étoile au parfum serein, nourricière au lait inédit.
Et les poètes osent tout, pour dire le monde et mourir de l’avoir dit pour tous. René Char est là. Entre ces lignes.

Que peut la poésie ?
Rien, et c’est déjà beaucoup.
Le pouvoir de la poésie est un non-pouvoir, qui ne soumet pas, ne violente pas, ne peut rien sauf me laisser libre d’être moi, avec mon histoire singulière, en butte à d’autres histoires tout aussi singulières. On n’est jamais seul(e) en poésie, on participe, sans le vouloir, sans le savoir peut-être, en sa propre langue, à ce grand chambardement qui nous touche de si près, qui pourrait s’appeler la vie.
La poésie éloigne de la guerre sous toutes ses formes, et de cette sempiternelle « lutte des places » qui caractérise notre époque opaque. La poésie est un non-pouvoir, à partir duquel nous tissons nos propres forces, en partages, en construction de passerelles, en rapprochements essentiels.

Que peuvent les poètes ?
Autant se demander que seraient la Russie sans Pouchkine, l’Espagne sans Lorca, le Portugal sans Pessoa dont les poèmes traînent dans les rues de Lisbonne, sans ce chanteur de fado à la gueule de Reggiani qui balance son chagrin, notre chagrin, avec sa voix par dessus les murs de la ville ? Il crève tout doucement de presque froid et de presque faim. Il lui manque des dents. Il touche à peine les quarante-deux ans et il dit qu’il est vieux.
C’est un artiste. Et quand il chante, par les paroles d’Adamo, « Elle ne viendra pas ce soir », il parle au nom de tous ceux qui l’attendaient. Il fait du bien à notre mal. Il est très pauvre comme je l’ai été. Il ne vivra peut-être pas jusqu’à l’année prochaine. Peu importe alors qu’elle revienne ou ne revienne pas !
C’est un artiste, comme moi. Ce chanteur est mon frère et quand il chante, il est le frère de nos frères ! Il est celui qui est allé à la mine à notre place et au ciel en notre nom.
A quoi sert un artiste ? Que seraient la Bretagne si elle n’était dansée, les Caraïbes si elles n’étaient racontées, l’Algérie si elle n’était chantée ? L’esclavage s’il n’y avait le blues ? Ne resterait que l’esclavage !
Ceux qui vivent de l’audace des autres manquent-ils à ce point de respect pour leurs frères humains, les saltimbanques, pour si peu considérer ces hommes et ces femmes qui accompagnent leurs enfers et entrouvrent leurs paradis en disant, chantant, et dansant leurs morts et leurs vies ?
A quoi servent les artistes dans ce monde qui préfère les chiffres aux lettres et dont la folie des chiffres menace de nous faire chavirer dans le chaos ?
Que celui qui n’a besoin ni de chansons, ni d’images, ni de poèmes, ni de romans, ni de films, ni de pièces de théâtre, ni de musique, pour que se dise sa vie quand il ne sait plus la dire, pour que s’écoule son chagrin quand il ne sait plus pleurer, que celui-là tranche la gorge aux oiseaux.
Que celui qui n’a pas besoin d’artiste retienne ses larmes à jamais et brise par avance ses éclats de rire.

Y a-t-il une vie avant la mort ?
Oui assurément.
Vous le savez, maintenant.
Définitivement.

Alors vivez !!!

///Article N° : 12795

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