Balbutiements et amateurisme fragilisent encore les Rencontres internationales des arts de la rue (Rar) dont la troisième édition s’est tenue du 8 au 13 juillet dans les rues de Yaoundé au Cameroun.
On a cru que la meilleure partition sera servie à la fin. Mais c’était sans compter avec l’incompétence qui marque la majorité des évènements culturels locaux. Et si la fête a manqué de saveur, c’est à cause de l’éternel problème de la professionnalisation des métiers des arts et de la culture au Cameroun. Le spectacle de clôture de la troisième édition des Rar a été un flop aussi bien sur le plan artistique que sur le plan technique. Plusieurs disciplines (danse, conte, théâtre, musique) ont été programmées sur le même plateau et certaines ont ravi la vedette aux autres si bien que lorsque les conteurs ou les comédiens montaient sur la scène après le passage d’un musicien, le public réclamait à tue-tête la musique. Un manquement qui a provoqué le courroux de Jean Shaka, directeur du Festival international de l’acteur (FIA) de Kinshasa, qui a refusé de présenter le conte intitulé Désir fatal devant une telle attitude. Du côté technique, la sonorisation a aussi porté un coup dur à l’évènement. L’absence de matériel approprié aux spectacles de rue a dénaturé les spectacles de contes ou de théâtre présentés. La veille déjà, le passage d’un grutier avait cassé le fil électrique qui alimentait l’espace scénique, provoquant la fin des spectacles. Et pour couronner le tout, le non-respect des horaires tout au long du festival a entraîné l’interruption des prestations de quelques artistes par un présentateur qui allait dans tous les sens C’est ainsi que durant quatre jours, certains spectacles programmés sur les autres sites (Cathédrale Notre Dame des Victoires, Carrefour Pakita et Madagascar) n’ont pas eu lieu. Les organisateurs ont tout consacré au podium central sis au carrefour Iptec, à Nkolndongo.
Pourtant, l’événement était riche et varié : danses, musique, conte et théâtre. Un public fidèle a honoré à toutes les soirées du Carrefour Iptec, malgré par exemple ces micros grésillants qui obligeaient les artistes à s’en éloigner. Cela n’a pas empêché la majorité des artistes de rendre belle la fête :. Kareysse Fotso, le duo Elokk-Racyn de Pointe-Noire (Congo Brazzaville), Marino, Abiali Percussions, le groupe Kalangou, les Percussions nomades du Bénin, le Collectif Scen’art connection du Gabon, Kharr Théâtre, la Compagnie Nkode, Boli Bolingo, Rodrigue Barbe.
En musique, Kareysse Fotso, chanteuse du groupe Korongo jam, a offert au public un show arrosé de sonorités groove. Collectif Scen’art a fait découvrir les musiques gabonaises à travers la corde à arc ; Racyn et Elokk ont baladé le mélomane en rap dans les miasmes de la société congolaise et africaine en une multiplicité de langues (français, anglais, ewondo, lingala, lari, swahili). Boli Bolingo, chansonnier local a décrit le quotidien des Camerounais sur un ton satirique grâce à son rire si singulier. Abiali percussions a entraîné les spectateurs dans les mélodies envoûtantes de l’Afrique.
Rythmes et danses sahéliens étaient à l’honneur avec le groupe Kalangou. Grâce au Kountounkourou (le plus petit tambour qui rythme les danses haoussa et peulh), les danseuses ont esquissé des pas de danse du septentrion. Au théâtre, la pièce Chez nous c’est comme ça mettait à nu les dérives de la société camerounaise. Le Kharr théâtre présentait Les morceaux choisis où mystère et mystique côtoient le conte initiatique dans l’humour avec en toile de fond une société africaine toujours en quête de mutations. On n’oublie pas la mascotte (déesse conçue et confectionnée par un marionnettiste congolais), qui de temps en temps enthousiasmait le public.
Malgré l’absence de quelques compagnies étrangères (Atelier de théâtre de marionnette du Tchad et Tongolos de Centrafrique), les conteurs étaient bons et les spectacles de bonne facture.
Les Rar sont nés à la suite d’un projet dénommé » Spectadom » (spectacles à domicile) et a pris forme grâce à la ferme volonté de la directrice, Annick Ayissi, de créer un public à partir de la rue, de l’initier ainsi à la chose artistique et le ramener dans les salles de spectacle. » C’est l’absence des lieux de diffusion au Cameroun et la carence des spectateurs qui m’ont incité à amener l’art dans la rue, explique-t-elle. Les Rar rencontrent encore d’énormes problèmes aussi bien au niveau financier qu’au niveau des sponsors. Je suis satisfaite de l’implantation du projet « .
La première édition (2003) de ce festival s’était déroulée à Yabassi ; les éditions 2005 et 2004 à Yaoundé. Les Rar ont pour objectif de promouvoir et de diffuser les spectacles de rue en Afrique et dans le monde. L’initiative d’Annick Ayissi est louable et prometteuse, en dépit des problèmes financiers et de l’absence de sponsoring qu’elle rencontre.
L’édition 2005 a débouché sur une tournée dans les capitales sous-régionales en Afrique centrale (Bangui, Brazzaville, Kinshasa, Libreville, N’Djaména), avec le spectacle Sangalo de la Compagnie de danse Tabonka. Mais les balbutiements observés cette année freinent l’envol de l’événement : » Les Rar ne pourront atteindre la vitesse de croisière que si elles se dotent d’une bonne équipe d’organisation « , remarque Jean Shaka.
Cela n’empêche pas les Rar d’être essentielles car non seulement elles représentent un événement culturel important dans un pays qui ne mise pas assez sur la culture mais aussi par la véritable adhésion du public. Leur défi est maintenant de régler les problèmes d’organisation.
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