Zanzibar : un festival essentiel

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Avec sa 4ème édition cet été, le festival international du film de Zanzibar s’affirme comme un forum de portée largement sous-régionale.

Zanzibar est célèbre pour ses plages exquises et ses splendeurs qui en font un refuge pour les vacanciers, ses épices magnifient la cuisine des chefs de toute la planète et sa participation à l’Histoire de l’esclavage ajoute en mystère à un passé déjà illustre. Mais Zanzibar commence aussi a être célèbre pour son « Festival of the Dhow Countries ».
Depuis 1998, le ZIFF, incontestablement le plus grand événement culturel du genre en Afrique de l’Est, utilise le dhow – voilier commun dans l’océan Indien – comme une métaphore de l’échange culturel qui caractérise non seulement la vie quotidienne à Zanzibar mais aussi les relations historiques de l’île avec l’Asie, l’Europe, le monde arabe et le continent africain. L’impact du festival est tel qu’il réussit à attirer les cinéphiles africains, les media et beaucoup d’associés, tous conscients de son immense potentiel.
Nouvelle venue dans le festival, M-Net, principale chaîne de télévision payante en Afrique, émettant dans plus de 40 pays, a fait une arrivée remarquée, avec un atelier de rédaction de scénarios Directions II. Le festival s’est ouvert sur trois courts métrages – « Surrender » de Zanzibar, « A Barber’s Wisdom » du Nigeria et « The Father » d’Ethiopie – réalisés par la chaîne dans le cadre du programme New Direction Africa.
Les six courts métrages produits par la chaîne dans le cadre de la série Mama Africa ont été projetés pendant le festival, tous sélectionnés en compétition, laquelle proposait des films venus d’Afrique du Sud, Mali, Burkina Faso, Tchad, Tanzanie, Cameroun, Iran, Inde, Etats-Unis, France, Suisse, Grande-Bretagne, Finlande, Allemagne etc.
Guerres, religion, clash des cultures, problèmes des femmes… les films explorent des thématiques très diverses, mais aussi provocantes comme les relations et la sexualité : « Surrender » aborde ainsi courageusement l’homosexualité, question particulièrement sensible à Zanzibar.
« Nous ne sommes plus morts » (François Woukoache, Cameroun, cf Africultures 30 p.39), réalisé au Rwanda, a reçu un prix spécial du jury pour le montage et la perspective qu’il ouvre aux Africains de se saisir de leur propre Histoire. Le Kenya et l’Ouganda étaient pratiquement absents, un défi pour les réalisateurs étant donnée l’importance du festival pour la sous-région. La mort du vice-président tanzanien a troublé cet événement annuel, interrompant les projections pendant le deuil, qui ont repris ensuite.
Une grande place a été aussi donnée à la musique, au théâtre et aux arts plastiques. Plus de soixante groupes musicaux et théâtraux, avec des stars comme Oliver Mtukudzi du Zimbabwe, Ramazani Mtoro Ongala-Mungamba, plus connu sous le nom de Remmy Ongala « Sura Mbaya », de Tanzanie, Tata Dinding Jobarteh de Gambie, qui ont improvisé avec les étoiles montantes de la musique de Zanzibar et de Tanzanie. Remmy Ongala  » Sura Mbaya  » a reçu le dhow d’or pour l’ensemble de son œuvre.
« Comme les expositions et le colloque du festival l’indiquent, il y a une reconnaissance de la nécessité de consolider la créativité et l’innovation individuelles à Zanzibar et sur tout le continent« , rappelle Imruh Bakari, directeur du festival. « C’est important car la culture et les arts en Afrique commencent à être sérieusement considérés, pas simplement en termes de « tradition » mais comme activité contemporaine essentielle au processus de développement social« . Le colloque « femmes dans les media et la vie culturelle », une conférence de deux jours sur la culture et la violence contre les femmes ainsi qu’un atelier de films documentaires ont permis aux réalisatrices d’échanger et de se former.
« Le partage de nos expériences en développant nos qualifications est une façon d’établir les fondations solides pour la croissance de nos industries« , précise Salem Mekuria (Ethiopie), qui réalise des documentaires. « Accueillir de tels ateliers dans le cadre d’événements tels qu’un festival de film est l’une des voies par lesquelles nous pouvons continuer à créer une industrie cinématographique viable en Afrique. »
« Nous avons besoin de saisir notre capacité à inventer le futur en mettant en valeur nos origines et le chemin parcouru. Le cinéma et la télévision y contribuent« , note Gaston Kaboré, cinéaste burkinabè. « Nous devons conter nos propres histoires pour voir notre confiance grandir. Nous avons besoin d’histoires qui montrent une vue optimiste de l’Afrique, des films reflétant nos rêves et aspirations, des histoires qui nous aident à être nous-mêmes« .
« Le développement d’une industrie dynamique dépasse la question des ressources et de l’argent« , note-t-il. « Le Burkina Faso n’est pas bien doté mais nos décideurs pensent également que nous devons consolider notre patrimoine historique et avoir accès à nos propres mythes et légendes. Je crois que le problème réel du film africain vient de la cécité des politiciens devant la culture. Ils ne font pas les bons choix et ne s’engagent que très peu parce qu’ils sous-estiment la valeur de la culture dans le développement. »
Les organisateurs ont fait un pas décisif et radical en amenant le festival dans les villages : « Les animations du panorama village font partie d’un processus continu du développement culturel pour atteindre plus de 300 000 personnes dans les villages des îles d’Unguja et Pemba« , explique Imruh Bakari. Les villageois participent activement à la prévision, l’organisation et la mise en place du programme. « Chaque groupe de villages a un jour de fête où il reçoit la musique et le cinéma internationaux, et où il a l’occasion de s’engager dans des concours, jeux et ateliers. Le festival aide et véhicule le théâtre, les marionnettes, la musique et la danse, les arts et le développement manuel, les concours de bao et de cartes, les courses de dhow et de bicyclette aussi bien que des activités spécifiques pour les femmes et les enfants. En travaillant étroitement avec des ONG et le ministère de la Santé de Zanzibar, nous fournissons aux communautés rurales le moyen de s’engager dans les activités culturelles pour conscientiser sur la santé, les droits de l’homme, l’éducation et l’environnement« , note Imruh.
Comme on le dit en swahili, « Elimu ni bahari » (l’éducation est un océan), mais le festival n’en reste pas moins un forum essentiel pour la région des dhow et de l’Est africain tout entier.
Mama Africa
« Bintou » a le pouvoir de vous maintenir collé à l’écran de par son histoire amusante et instructive. Cette femme au foyer veut gagner l’argent nécessaire pour envoyer sa fille à l’école, contra la volonté de son mari. Le film met en valeur les frustrations de sa situation et les moqueries qui accompagnent sa décision d’entrer dans les affaires pour réussir. C’est un film émouvant qui saisit la situation difficile de beaucoup de femmes en Afrique, récompensé du Prix spécial du Jury lors du dernier Fespaco. Plus de 30 films mettant en évidence les problèmes de femmes ont ainsi été projetés à Zanzibar et le festival s’est mué pour les femmes en un espace de connaissance et d’échange, grâce à des ateliers et des débats dont le but était d’établir la présence des femmes dans le cinéma, les media et les arts. Le conte de Bintou a clairement été la figure de proue de la sélection courts métrages qui comptait au total dix films.
On s’attendait à ce que le challenger de Bintou soit l’un des cinq films de la série « Mama Africa » produite par M-Net d’Afrique du Sud, Zimmedia du Zimbabwe, WinStar et ITVS des Etats-Unis. La série, qui a marqué le festival, allie beauté, humour, fureur, anéantissement et spiritualité de la féminité africaine. Chaque histoire est radicalement différente, vibrant au rythme des différents pays et cultures des réalisatrices, de la riche tradition arabe de Tunisie à un village sahélien aride, aux cours de basket-ball du Nigeria, aux grands espaces du Zimbabwe, aux violences urbaines d’Afrique du Sud : « Une soirée de juillet » de Raja Amani (Tunisie), « Riches » d’Ingrid Sinclair (Zimbabwe), « Bintou » de Fanta Regina Nacro (Burkina Faso), « Hang Time » de Ngozi Onwurah (Nigeria), « Uno’s World » de Bridget Pickering (Namibie) et « Raya » de Zulfa Otto-Sallies (Afrique du Sud).
Tous ces films témoignent d’une nouvelle vague d’expression des réalisatrices africaines : les femmes y sont dépeintes comme des caractères forts et déterminés, en décalage avec ce qu’a été la norme jusqu’à présent. « Riches » s’inspire ainsi de l’auteur sud-africaine Bessie Head, suivant le trajet en avion d’un professeur et de son fils, de l’apartheid vers une école isolée du Zimbabwe. Elle y trouve une vie dure et des villageois hostiles et conservateurs. Un différend avec son directeur hypocrite la laisse sans emploi et désespérée mais le simple geste d’amitié de l’un des membres les plus faibles de la communauté l’inspire : elle se bat et réclame sa place dans sa nouvelle société.

///Article N° : 1911

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Bintou





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