Soumis à critiques autant qu’à louanges, le programme Africadoc fait couler de l’encre et de la salive. Il m’a semblé important de profiter de la présence au festival de Cannes de quatre réalisateurs ayant réalisé leur film dans le cadre du programme pour tirer ensemble un bilan des actions menées. Sont ainsi autour du micro Mamadou Sellou Diallo (Sénégal, Le Collier et la perle), Gentille Menguizani Assih (Togo, Itchombi), Elhadj Sani Magori (Niger, Pour le meilleur et pour l’oignon) et Rama Thiaw (Sénégal, Boul Fallé, la voie de la lutte).
Merci d’accepter mon invitation à réagir sur les critiques formulées envers le programme Africadoc que vous vivez toutes et tous de l’intérieur. On parle de contrôle, de formatage, de néocolonialisme,
Quelle est votre réaction ?
Sellou Diallo : L’accueil du projet Africadoc est à la fois très favorable et soumis à des critiques qui tournent autour du fait qu’un animateur français vienne mettre en place des formations en Afrique tiendrait du néocolonialisme. Cette nouvelle génération, cette nouvelle vague, n’est pas une terre vierge. Nous avons un âge et une expérience similaire, avec déjà un ou deux ou trois films à notre actif, et donc un désir de cinéma présent avant même de rencontrer Africadoc. Ce ne sont pas que des Européens qui forment des Africains : nous avons des séances où chacun dit ce qu’il pense du film de l’autre ou comment il le rêve, et cela peut être très fort, parfois violent. Mais il faut reconnaître que nous avons besoin de formation qui a été satisfait par un programme, lequel a pu donner une génération qui a trouvé des outils lui permettant de donner libre cours à son besoin de cinéma. Il y a fédération des énergies, avec un réseau extrêmement solidaire du Sénégal au Congo, permettant des échanges et des circulations. Nos petites rencontres réfléchissent sur des modes de production et de diffusion alternatifs, des programmes de cinéma à l’école, de créations de petits festivals dans nos quartiers, et ces projets prennent corps.
Sani Magori : Récemment au FICA à Abidjan, le président du jury Moussa Sene Absa m’a dit qu’Africadoc était en train de nous formater. Ce qui me choque, c’est que ça vient souvent des Sénégalais. Mais Africadoc est ancré dans différents pays : critiquer Africadoc de cette façon, c’est comme de dire que nous nous formatons nous-mêmes. Il dit que dans le film il sent des mains et un regard extérieurs. Cela m’a amené à répondre qu’Africadoc est un programme d’encadrement mais que mon film reflète mon entière vision. Il n’y avait pas avant un programme qui fasse du concret. On met notre nom sur internet et on le retrouve partout du fait du travail effectué : c’est une vraie reconnaissance internationale. Agronome, je suis venu d’un autre monde. A la résidence de Tombouctou, j’ai écrit mon film. Cela m’a donné goût et je suis allé faire le master de réalisation documentaire à l’université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal. Je suis maintenant sans doute le seul Nigérien intervenant dans des formations de cinéma. Nous avons créé la collection Lumières du Niger qui a produit dix films, dans la même lignée qu’Africadoc mais sans aucune main étrangère. Six d’entre eux ont été sélectionnés au marché du Louma. Trois autres seront projetés au festival de Poitiers. Cet effet de transmission est concret. Le master est devenu une fierté de l’université Gaston Berger.
Sellou Diallo : Le film primé au festival du film de quartier de Dakar vient de ce master documentaire.
Sani Magori : A Clermont-Ferrand, mon film, issu du master, était le seul film africain en compétition. Le recteur en est fier. On a pris Africadoc en cours, des aînés l’avaient déjà fait. C’est un réseau d’entraide. Quand je suis allé au Burkina pour tourner un film de commande, j’ai téléphoné avant à Mamounata et ai pu disposer d’une équipe complète. Elle a été mon assistante. Revenu au Niger, il me manquait des images. Je l’ai appelée et elle les a tournées. Ce master, on l’a fait sans bourse. On a combattu. Cela nous a rapprochés, il y avait une chaleur magnifique. Ceux qui jettent de la mauvaise salive sont en fait en train de récolter les fruits de ce master. Je mets un point : je vais revenir.
Rama Thiaw : je n’ai pas le même parcours car j’avais déjà rencontré un producteur franco-ivoirien, Philippe Lacôte de Wassakara productions, avec qui on avait déjà commencé un travail d’écriture, d’échange et de transmission. C’est ce qui me manquait au Sénégal. Les boites de productions existantes ne nous reçoivent pas si on n’a pas un nom dans le milieu. Le cinéma est une affaire d’élite à laquelle nous n’avons pas accès sans notoriété. C’est ce qui manque à la nouvelle génération. Arrivée à Africadoc, le projet était déjà assez écrit. Cela a permis de l’inscrire dans un réseau de financement. Dans le documentaire africain, c’est ce qui manque. Le fait de sortir de cette résidence était un gage de qualité. Il y a des gens comme Philippe qui ne font pas forcément partie du circuit Africadoc et qui font ce même travail. Le réseau permet à tous ces gens de se rencontrer.
Sur mon deuxième projet qui est en train de se mettre en route, j’ai fait une résidence à Africadoc où le projet s’est entièrement écrit. L’échange à deux avec le producteur est devenu un échange à cinq avec les autres participants de la résidence et le formateur. On vit là une expérience collective qui fait qu’on pourra s’entraider sur nos projets puisque les connaissant bien, quelquefois bosser sur nos films.
Pour ce qui est des attaques formulées, je voudrais qu’on puisse avoir une discussion avec ceux qui les formulent. Qu’on les rencontre, qu’ils voient nos films et qu’on en discute. On a besoin de leur reconnaissance, eux qui sont connus et font des films de qualité. Qu’on se voie et qu’on en parle sainement !
Sellou Diallo : Jean-Marie Teno tenait les mêmes propos. Ce sont les aînés qui s’expriment ainsi. Il y a une certaine irritation devant l’expression « nouvelle génération » de documentaristes. Je l’ai rassuré au cours d’une table-ronde en insistant bien sur le fait que nous ne sommes pas une coquille vide mais tenons compte des acquis, réfléchissons et pensons le cinéma. Ce qu’on porte au fond de soi, sa culture et ses désirs, personne ne peut le formater. Nous avons ensuite discuté en tête-à-tête et j’ai l’impression qu’on s’est bien compris pour relativiser cette idée de formatage. Jean-Marie donne des cours aux Etats-Unis, Moussa Sene Absa à Cuba, Samba Félix Ndiaye donnait des cours au Maroc, qu’est-ce qui les empêcherait de venir donner des cours au Sénégal ? Il s’agit simplement de partager. C’est vrai que ce qui m’intéresserait le plus serait qu’on parle des uvres, qu’on puisse me dire : « attention, là, ça ne va pas, là tu es formaté, etc ». Qu’on parle du cinéma et qu’on aille au-delà des suspicions et des personnes : il y a un gros malentendu là-dessus.
Il nous faut revoir comment les coproductions fonctionnent en terme de répartition des fonds pour que les partenaires africains puissent s’en sortir et faire d’autres films. On va rediscuter des pourcentages au Louma. Le mérite d’Africadoc est d’avoir mis un cadre qui permet ces discussions et de faire avancer les choses. Tout peut trouver une solution. Dans le cadre de la charte de coproduction, on envisage que le producteur africain puisse être présent au montage pour participer sur toute la chaîne de production. Si le budget ne le permet pas, on peut envoyer les rushes, cela marche maintenant avec l’électronique.
Gentille Assih : La critique ne vient pas des Européens mais de nos aînés. Beaucoup de cinéastes sont arrivés à la célébrité mais n’ont pas pensé à la relève. Nous avons près de 20 années de fossé entre leur génération et la nouvelle. Ont-ils jamais pensé à cette transmission et travaillé à un cadre de formation ? Ils n’ont pas à se plaindre qu’une personne venant d’une autre planète vienne sur un terrain qu’ils ont délaissé. Je prends comme une insulte qu’on nous définisse comme formatés. Africadoc n’a pas démarré avec des gens venant de nulle part. Chacun a son bagage. Sellou était professeur. Il sait faire des choix. Sani est un ingénieur en agronomie qui vient enrichir ce qu’il fait. Africadoc est un cadre. Une fois outillés, nous sommes assez intelligents pour savoir ce qui est bien pour nous ou pas. Africadoc ne nous impose rien. Quand je présente mon film dans un festival, ce que je dis n’engage que moi. Quand le film est primé, c’est grâce à sa qualité, pas au programme. Le public juge le film et non la personne qui initie le programme. Personne ne fait nos films à notre place. Des producteurs sont formés et ils ont leur mot à dire. Il y a des conflits. A la dernière rencontre, nous nous sommes affrontés et cela fait évoluer les choses vers davantage d’équité.
Rama Thiaw : Africadoc n’existerait pas sans les réalisateurs, les producteurs, mais aussi les techniciens africains qui se battent sur le terrain. Les structures créées dans les différents pays ont été impulsées par les gens du pays. C’est plus un échange, un soutien, des transferts de compétence que quelqu’un qui vient pour dire comment il faut faire. Les films sont extrêmement différents : comment parler de formatage ?
Sellou Diallo : Sembène et Sissako ont été formés en Russie, Samba Félix Ndiaye en France, nous sommes tous formatés à ce niveau !
Gentille Assih : Si bien que ce reproche est de l’ordre du mépris qui ne fait rien avancer. Nous ferons des films, le réseau se structure, il faudra que tous fassent avec. Nous devons renforcer ce réseau pour rester soudés. Africadoc m’a ouvert les portes mais je ne m’y enferme pas. J’ai rencontré par le réseau de bons techniciens avec qui je viens de finir un court métrage de fiction. Je n’avais pas l’argent nécessaire, mais ils sont venus avec leur matériel. Sans le réseau, je n’aurais jamais eu cette facilité. C’est une confiance qui naît d’un réseau. On n’attend plus la fatalité !
Sellou Diallo : On bénéficie du contexte favorable lié au numérique qui rend la production meilleur marché. Je n’ai jamais vu une caméra pellicule à Dakar ! Je n’ai aucune nostalgie pour ce matériel : je n’y ai jamais touché ! La réflexion sur le cinéma évolue avec.
Rama Thiaw : On s’approprie les choses selon une idée d’entrepreunariat basée sur l’idée que le cinéma est aussi une économie à mettre en place. Ce n’était peut-être pas la priorité de l’ancienne génération. Si Jean-Marie Barbe se tournait vers la Chine, le réseau persisterait ! L’aspect industrie est important : on crée des festivals, des structures techniques se mettent en place, etc. C’est toute la chaîne qui bouge.
Sellou Diallo : Ce qui fera les films, c’est le désir et la pensée. On fera les films parce qu’ils sont là. Les séminaires et colloques favorisent cette pensée du cinéma.
Rama Thiaw : Mais si les structures de postproduction sont au Nord, l’argent reste au Nord.
Sani Magori : Il faut voir ce qu’on importe et exporte. Malam Saguirou hésitait à participer au Louma car il trouvait injuste le partage des bénéfices. Je l’ai encouragé à venir en discuter. Ce que nos aînés n’avaient pas, c’est ce cadre qui nous permet de discuter régulièrement les yeux dans les yeux. Je bénéficie d’un avantage médiatique au Niger car j’ai intégré des partenaires qui me sont reconnaissants. Nous ne roulons pas avec des millions mais nous essayons de poser quelque chose de concret et d’essentiel. Nous avons maintenant un Centre national de la cinématographie doté d’un matériel performant où je pourrai monter mon film dans de bonnes conditions. A force d’inviter la télévision nationale au Tënk/Louma, elle fait un reportage solide qui me permet d’aborder tout le monde au Niger. Cet effet d’entraînement se voit aussi dans les formations : des masters 1 se montent au Mali, en Mauritanie, au Niger
Africadoc n’y a pas mis un rond : ce sont des décisions nationales. Cette communication les motive.
Gentille Assih : Il fallait faire partie d’un clan pour accéder au métier du cinéma. Les aînés devraient revenir sur leur manque de transmission et nous aider à construire les choses.
Sellou Diallo : Je montre leurs uvres dans le master où j’enseigne. Nous ne sommes pas coupés de l’histoire passée. Il y a un tournant dont nous sommes les acteurs.
Rama Thiaw : Nos films ne sont pas faits à la va-vite. Il y a une vraie éducation à l’image qui fait que l’esthétique est pensée, le rapport entre la forme et le fond.
Au Sénégal, il y avait ou il y a des initiatives : le Média Centre où Samba Félix Ndiaye s’est investi avant de le quitter pour initier son propre suivi de formation, Moussa Touré forme également des jeunes
Le reproche n’est-il pas d’avoir négligé ces formes existantes et de créer quelque chose de nouveau sans en tenir compte ?
Sellou Diallo : Je suis de la première chaîne et ai donc assisté à tout cela. Je suis entré au Média Centre avec As Thiam, première édition du festival du film de quartiers. Mon ami Gora Seck était déjà au Média Centre et acteur au cinéma et m’avait invité à une session d’écriture de scénario. C’est ainsi que j’ai découvert le documentaire de création. C’est lors d’une autre formation à la scénarisation que Jean-Marie est venu comme intervenant sur le documentaire. Cela m’intéressait car j’écrivais beaucoup pour le théâtre et le cinéma. Je n’avais vu que très peu de films. Les générations qui précèdent Africadoc, tous les techniciens qui travaillent aujourd’hui à la télévision, ont été formées par le Média Centre. Cela a donné parfois des films audacieux qui portaient quelque chose. Africadoc est venu après, tout comme Samba Félix. Ce qu’il nous reprochait, c’était d’être dispersés, chacun avec nos soutiens ou nos contacts. Cet éclatement des énergies.
Rama Thiaw : La majeure partie des jeunes vivant en banlieue comme moi n’avaient pas accès à la formation, ni au matériel qu’il fallait louer, même au Média Centre. Les jeunes se réunissaient dans les maisons de quartier, demandaient de l’argent au maire sans succès, et ce sont les festivals comme Banlieue Rythmes qui les aidaient et projetaient des films faits à l’arrache par les jeunes des quartiers. Il y a des talents
Sellou Diallo : Effectivement, des films se faisaient dans les quartiers. La démocratisation du cinéma a donné à tous l’envie d’en faire. Tout cela n’était pas structuré. Entre 1999 et 2003, il y avait au Média Centre six bancs de montage Avid, autant de caméras, perches, etc. Le potentiel de formation des techniciens était réel, mais cela s’est perdu. Africadoc apporte une ampleur, une structure et est ouvert à tous, en s’installant sur la durée sans rester éphémère. Nos films portent l’empreinte de notre culture et trouveront une reconnaissance nationale et internationale de par leur inscription sociale. C’est un travail qu’on ne peut faire tout seul : il faut être en équipe, en réseau.
Gentille Assih : Notre réseau est ouvert à tous, quels que soient l’âge ou l’origine. Je serais heureuse qu’un grand cinéaste me demande de l’assister en tant que technicienne. Les aînés peuvent bénéficier de nos compétences. Ils seront gagnants. Qu’ils cherchent à comprendre comment nous fonctionnons plutôt que de détruire ce qui est en train de se construire.
Sellou Diallo : Jean-Marie est assez adulte pour savoir se défendre. Ce qui nous importe est l’existence et le développement de ce réseau.
Rama Thiaw : On aura vraiment gagné quand on parlera de cinéma et non de cinéma africain. Et qu’on réalise dans la fiction ce qui se construit dans le documentaire !
Et quelles sont vos perspectives actuelles ?
Sani Magori : Beaucoup de centres de recherche sont intéressés par la formation pour produire des documentaires scientifiques. Jean-Marie est venu pour nous aider pour la structuration et le master 1 de Niamey débutera en octobre. Le ministère de la femme a demandé à ce qu’on forme des jeunes femmes et a mis le budget nécessaire. Deux films collectifs sont réalisés, avec pour thèmes la femme et l’enfant. Ils seront montrés en décembre au forum. On met aussi en place avec le ministère de la Culture un fonds de soutien à la production avec le soutien des différentes coopérations. Personnellement, je travaille sur un projet de long métrage sur les étudiants en Algérie où j’ai passé cinq années d’études. C’est un regard personnel sur une réalité que j’ai connue et sur son évolution aujourd’hui. Je voudrais aussi faire un doctorat sur l’édition et la distribution des films africains.
Gentille Assih : Je vais bientôt débuter le tournage d’un long métrage que j’avais commencé à écrire avant les résidences Africadoc. Elles m’ont permis de le mûrir avec l’apport des camarades africains. Je prépare aussi une maîtrise à Montréal. Nous avons nos ailes pour voler !
Rama Thiaw : J’ai un projet de long métrage sur le reggae africain qui a été développé en résidence. Lors de la dernière résidence au Togo, nous parlions de la diffusion des films. L’idée a germé de faire un festival itinérant de documentaires et de courts métrages qui touchera une zone sahélienne (Sénégal, Niger et pourquoi pas le Maghreb), une zone d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Togo, Burkina, Côte d’Ivoire), une zone Afrique centrale (Congo, Cameroun) et une zone internationale. Une sélection internationale sera aussi présente. On envisage de démarrer de façon biennale en s’appuyant sur le réseau Africadoc qui est présent dans tous ces pays. On espère faire la première édition en 2012 au Togo et cela s’appellera le FIIC (Festival international itinérant de cinéma).
Sellou Diallo : Je prépare activement le colloque du groupe de recherche avec des collègues universitaires, des journalistes etc. sur le documentaire. Sinon, j’ai un projet de long métrage, La Gardienne des étoiles, qui prolonge Le Collier et la perle. Avec quelques amis, nous voudrions aussi mettre en place un séminaire autour de l’ancien et le nouveau : nous allons rechercher les premiers films faits par des Africains sur l’Afrique et mettre les productions actuelles en perspective. On m’a dit par exemple que Le Collier et la perle était proche de Pérantal, le premier film de Samba Félix Ndiaye, que je n’ai jamais vu
Cela fera naître autre chose au niveau du cinéma.
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