Le livre de Claude Forest est un magnifique hommage à cette grande dame qui apporta un soutien essentiel aux cinémas d’Afrique.
Voici une femme remarquable qui a marqué tous ceux avec qui elle a travaillé et accompagné les cinémas d’Afrique durant des décennies. Il est rare de rendre ainsi hommage par un livre d’envergure à une technicienne du cinéma ! Mais ceux qui ont connu Andrée Davanture ne penseront pas cela exagéré : son apport est considérable pour ces cinématographies.
Comme à son habitude, Claude Forest, qui ne l’a jamais rencontrée, a procédé à un méticuleux travail de fourmi pour réunir informations et témoignages ainsi qu’une très riche iconographie qui rendent ce livre très précieux pour la mémoire des cinémas d’Afrique.
Ecoute, générosité, don de soi, sincérité, technicité, transmission, passion, liberté… : les qualificatifs ne manquent pas pour décrire à la fois la femme et son travail. Ce livre ne porte pas sur la technique du montage mais sur l’impact qu’une telle personnalité a pu avoir sur les œuvres et les personnes.
Elle débute comme stagiaire en 1952 et sera chef monteuse en 1965. C’est en 1974 qu’elle rejoint la cellule montage du Bureau du cinéma au ministère de la Coopération. Après la fermeture de ce service en 1980, Andrée Davanture motive d’autres professionnels et techniciens pour créer ATRIA (Association technique de recherches et d’informations audiovisuelles) ainsi que l’année suivante une société coopérative de production : Atriascope, qui permettra à nombre de longs métrages de s’achever et à des réalisateurs de passer à la réalisation. Vingt ans plus tard, en 1999, avec la fin du soutien du ministère, Atria dût fermer ses portes. Celle que l’on appelait communément « Dédée » continuera encore son soutien à des films fragiles, jusqu’à son décès en 2014 au terme d’une carrière de 62 ans au service du cinéma. Elle travaillait alors sur le film de Souleymane Cissé O Ka, que le réalisateur lui dédiera.
Toujours, elle s’opposera à toute tentative de formatage, respectant autant que possible l’intention de l’auteur. Claude Forest offre une biographie détaillée de « Dédée » : de son enfance dans une famille corse et son engagement communiste à ses premiers montages, de son travail de chef monteuse à la télévision au montage de documentaires engagés (1963-1974). Engagée par Lucien Patry pour monter Sous le signe du vaudou de Pascal Abikanlou et Lettre paysanne de Safi Faye, elle avait mis le doigt dans l’engrenage : « C’est un cinéma qui m’a profondément bouleversée, un cinéma de l’essentiel ». La soif de comprendre de Dédée correspondait à sa conception du montage. Son engagement était total, ne comptant pas les heures supplémentaires.
Au ministère de la Coopération (1974-1980), elle jouera ce que Claude Forest appelle « un rôle atypique » : contrairement aux logiques administratives, elle contribua à l’altruisme et l’attachement particulier à l’Afrique du Bureau du cinéma, lequel sut résister aux pressions lui reprochant son soutien à des films « critiques ». Le service technique avait soutenu la réalisation de reportages destinés aux actualités filmées, mais aussi des films de Paulin Soumanou Vieyra et Sembène Ousmane, notamment Borom Sarret. De 1963 à 1975, 185 films ont été réalisés en Afrique noire, dont environ 125 l’ont été avec le concours technique et financier de la Coopération. Le directeur du Bureau du cinéma, Jean-René Debrix, regrettera cependant que « le cinéma africain reste un cinéma d’idéologues, un cinéma de festivals » (p. 92).
En 1979, l’Etat français demande à la SOPACIA (contrôlée par l’UGC suite au rachat des salles de la Comacico et la Secma six ans plus tôt) de se délester des salles pour permettre l’africanisation totale de la distribution en Afrique avec la mise en place du CIDC (cf. Les salles de cinéma en Afrique sud saharienne francophone (1926-1980), de Claude Forest). Ce désengagement entraîna aussi la fin de l’aide directe et personnelle aux créateurs, au profit de l’octroi d’une subvention au film, décidée par une commission. La fin de l’aide au fonctionnement de la section montage du service technique est actée à l’été 1980.
Refusant l’arrêt des productions en cours, Dédée ainsi que Marie-Christine Rougerie, monteuse également licenciée, crée le 9 septembre puis animera Atria, structure associative de postproduction. Ce sera « la maison des cinéastes », à la fois militante et professionnelle, qui devra faire face à une demande sans cesse accrue, « une structure unique dans l’histoire du cinéma en France en sa forme, son fonctionnement et son ampleur », écrit Claude Forest (p. 133). Outre ses fondateurs, les onze premiers adhérents furent des Africains, essentiellement réalisateurs, notamment Jean-Pierre Dikongué-Pipa, Paulin Vieyra, Souleymane Cissé, Alassane Diop, Ben Diogaye Beye, Safi Faye, Annette Mbaye d’Erneville… Atriascope assurera la prestation de services pour la gestion du budget des films et la post-production. Le matériel de montage, acquis en 1979 par le ministère de la Coopération après l’incendie de mars de la cellule technique, fut mis à disposition contractuellement à Atria.
Les diverses subventions d’Atria (Coopération et Relations extérieures, ministère de la Culture puis CNC) s’élèvent au total à 6 MF de 1981 à 1999. Par comparaison, le coût moyen d’un long métrage français était de 4,28 MF en 1980 et de 22,5 MF en 1990. L’évolution des subventions à Atria suit l’histoire politique du ministère de la Coopération (p.151). Celles du CNC seront liées à l’arrivée à sa tête de Dominique Wallon qui milite en faveur des cinémas du Sud (et a créé à sa retraite le festival des cinémas d’Afrique d’Apt qui en est à sa 19ème édition).
« Un fonctionnement militant, familial mais parfois acrobatique, caractérisera la structure » tandis qu’ « un besoin de financement récurrent y amena des tensions » (p. 159). L’audit de juin 1990 commandité par la Coopération fut laudatif sur l’utilisation des moyens. Dédée était rémunérée comme monteuse, mais jamais comme animatrice d’Atria.
Avec force témoignages, Claude Forest décrit « l’activité joyeuse et foisonnante d’Atria » où Claude Le Gallou et Annabel Thomas vont également apporter une grande énergie. Au total, Atria permit l’aboutissement de 42 longs métrages africains entre 1980 et 1999 mais son rôle dépassa largement ces titres. Plus de 600 projets ont été examinés, 60 % provenant d’Afrique sud saharienne francophone, dont les trois quarts en Afrique de l’Ouest.
Il faut lire les pages sur l’esprit d’Atria pour comprendre à la fois l’engagement et l’importance de son action. Cela n’alla pas toujours tout seul. « Le métier de monteur, c’est d’être à l’écoute », disait Dédée. L’essentiel, pour elle, était « les images dans lesquelles les Africains puissent se reconnaître ». Ce sera une divergence de vue notable avec les responsables du Bureau du cinéma des années 85-99, ce qui pousse Forest à étudier en détail cette relation et analyser les luttes d’influence entre les administrations (p. 190 sq).
Un sixième chapitre montre à quel point Dédée fut révélatrice de talents africains et leur apporta un soutien sans faille. Comme le montre le chapitre 7, elle ne s’intéressa pas qu’aux cinémas d’Afrique et accompagna des réalisateurs du monde entier. Au chapitre 8, Forest détaille « le don exemplaire » de Dédée, sa personnalité jouant « un rôle fondateur et constitutif dans la réussite, l’attractivité et la pérennité » d’Atria. C’était l’intérêt des films avant tout, au service d’un cinéma de l’offre et de l’imaginaire des créateurs. Cette éthique du respect marquera toute son action.
Le livre se termine par une série de témoignages enflammés qui suffiraient par eux-mêmes à rendre compte de l’apport de Dédée, mais l’ensemble de l’ouvrage apporte une pierre essentielle à l’Histoire des cinémas d’Afrique : cette étude exhaustive, illustrée et humaine, ne peut être ignorée de personne qui s’intéresse de près ou de loin à ces cinématographies et à l’Histoire culturelle de l’Afrique en général.