L’écrivain mauricien Malcolm de Chazal (1902-1981), prolifique et étrange créateur qui parlait aux fleurs et rêvait de la Lémurie engloutie, reste pour bien des lecteurs un personnage mystérieux qui s’est toute sa vie mis en scène aussi ces deux documents permettront-ils d’entrevoir la cohérence et les motifs de son attitude. Autobiographie spirituelle est la publication en fac-similé accompagné de sa transcription d’un document rédigé en 1976 qualifié par l’auteur de « confession ». Il permet enfin de comprendre quel homme se cachait derrière le fantasque poète-prophète au célèbre chapeau. En 7 courts chapitres, de Chazal retrace son itinéraire d’enfant seul dans son monde, prisonnier d’une « énigme », étranger à la société qui l’environne et l’assaille de contraintes sociales comme l’école, le travail ou la vie en groupe. Il raconte brièvement l’enfance où seules les couleurs, les parfums et les sons avaient de l’importance, les longues études en Amérique « mornes et inutiles » où tout « n’était que décor », le retour et le dégoût pour le carriérisme, la marginalisation qui fait de lui un « extradé » jusqu’au jour où il se sent « atteindre le cosmique » afin de poursuivre un but, révéler par tous les moyens le « Principe Homme ». Ce bilan de vie est enrichi par trois approches complémentaires. Le témoignage de Jeanne Gerval ARouff qui a reçu des mains de son auteur ce document fait revivre le désarroi de l’homme incompris. La très complète biographie établie par Robert Furlong constitue un document indispensable à toute approche de l’uvre. Enfin, l’inventaire par Christophe Cassiau-Haurie de cette uvre polymorphe et dispersée (chroniques de journaux, livres, objets, tableaux, manuscrits) ainsi que des études qu’elle suscite à travers le monde permet de réaliser le caractère provisoire des catalogues et l’intérêt suscité dans le monde par cette uvre originale.
Le volume Moïse présente une pièce de théâtre dont le manuscrit avait été brûlé par de Chazal après que celui-ci en eut confié une copie à un bibliothécaire de Maurice en 1970. Alors que sa reconnaissance littéraire en France vient des aphorismes de Sens-Plastique (1948) admiré par Paulhan, les pièces de de Chazal qui datent des années 1950-1956 et sont inspirées de la Bible (Iésou, Judas) et de l’ésotérisme qui le hantait (Les Désamorantes, Le Concile des poètes), sont restées totalement méconnues (une pièce, Judas, fut montée à Maurice en 1960). Moïse, qui fut lue à la radio malgache en 1951,développe sous forme dramaturgique le besoin inextinguible du poète d’expliquer le mysticisme au travers duquel il lit le monde et avec lequel il façonne la langue. Moïse discourt depuis un « Terremonde » au moment de la naissance de Jésus, expliquant sa « cosmogonie » à ceux qui l’interrogent, faisant allusion à son initiation reçue jadis à Memphis et aux diverses aspirations au grand Tout de l’Univers. S’il est difficile de trouver des qualités dramaturgiques à ce qu’il faut bien nommer « délire mystique », ce texte présente le grand intérêt d’illustrer l’Autobiographie spirituelle et donc de mieux comprendre comment a fonctionné ce touche-à-tout qualifié par beaucoup de génial qui reste une des figures majeures du patrimoine littéraire mauricien. De Chazal dramaturge ou poète, écrivain ou peintre, chroniqueur ou économiste, dandy et ingénieur, Robert Furlong répond : « Chazal écrit, peint, dramatise, crée donc en tant que poète » mais un poète-mage qui se pense chargé de révéler la secrète alchimie du Cosmique. Il faut donc aborder ces deux volumes ensemble et traiter avec un égal intérêt les textes réveillés de leur long sommeil et leur riche appareil critique. Les lire dans la perspective de l’histoire littéraire de l’île Maurice permet aussi de comprendre une part du paysage intellectuel de l’île aujourd’hui et d’accéder à une uvre francophone passionnante.
Autobiographie spirituelle et Moïse, collection « L’Afrique au cur des lettres », Paris, L’Harmattan, 2008///Article N° : 8054