Le Festival Racines rend hommage à celles sans qui le cinéma serait sans mémoire. Bribes de paroles tous azimuts.
« Et ta beauté me foudroie en plein cur, comme l’éclair d’un aigle.
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fait lyrique ma bouche.
Savane aux horizons purs, savane qui frémit aux caresses ferventes du Vent d’Est. »
Léopold Sédar Senghor, Poèmes, Ed. du Seuil, 1964 et 1973, p. 14.
Zalika Souley (Niger) – Nous avons ouvert le chemin et celles qui vont venir pourront mieux faire du cinéma. Elles auront davantage de chance car lorsque nous avons commencé, les réalisateurs étaient sans moyens et les responsables non-intéressés. Actuellement, les choses changent. J’ai commencé à faire du cinéma en 1966 et c’est seulement en 1998 que le ministère de la Culture m’a fait un passeport de service et a participé financièrement à mon déplacement dans ce festival. Il m’est arrivé de jouer gratuitement dans des films !
Zalika Souley est la star du cinéma nigérien. Elle a tourné avec Oumarou Ganda dans Le Wazzou polygame, Saïtane, l’Exilé, mais aussi avec Mustapha Alassane, Mustapha Diop, Djingareye Maïga… Elle a également fait du théâtre et de la télévision
Isseu Niang (Sénégal) – J’ai travaillé avec presque tous les réalisateurs sénégalais. Le travail avec Safi Faye a été formidable : elle a été humaine tout en étant exigeante ; elle nous a respectées et nous a ainsi aidées à être à l’aise. J’espère que de nombreuses femmes pourront tourner à l’avenir ! Mais pour ce qui est de l’argent, après plus de vingt films, j’ai des difficultés financières : le barème n’est pas le même. Cela m’a toujours choqué : pourquoi un Européen gagne-t-il davantage sur un tournage ?
On connaît Isseu Niang pour ses rôles marquants dans Le Mandat et Guelwaar d’Ousmane Sembène, Diègue-Bi, Lambaye et Fann Océan de Mahama Johnson Traoré, Le Certificat d’indulgence de Moussa Bathily, Jom d’Ababacar Samb Makharam et récemment Mossane de Safi Faye et Tableau Ferraille de Moussa Sene Absa.
Lidia Ewande (Cameroun) – » Pour le cinéma, les femmes noires… On m’avait demandé de venir jouer la nounou pour Autant en emporte le vent et j’ai dit : » Non, je ne fais pas les nounous « . On m’avait demandé de faire la nounou dans une publicité et j’ai dit : » Ça m’agace, mais je vais le faire parce qu’il ne faut pas qu’on pense que je ne peux pas le faire « . Mais après je me suis dit : » C’est terminé avec les nounous « . Aujourd’hui on n’a pas grand chose parce qu’on n’écrit pas pour nous, parce qu’on ne nous connaît pas. On ne nous connaît pas parce que l’on ne nous voit que comme des sujets de rire. Et quand on prend de l’âge, il ne reste plus que des mamas, des nounous… »
Elle a brûlé les planches des théâtres européens avec Les Nègres de Jean Genet ou les pièces d’Aimé Césaire. Elle jouera aussi dans des productions françaises commerciales, notamment de Sacha Guitry. Rebelle aux rôles faciles, elle a préféré le théâtre jusqu’à ce que le Zaïrois José Laplaine lui offre l’occasion de tourner pour la première fois en Afrique dans Macadam Tribu.
France Zobda (Martinique) – » Je suis quelqu’un qui a toujours eu des conflits intérieurs avec l’Afrique. Parce que lorsque j’étais petite, c’était pour moi quelque chose de totalement inconnu, de totalement mal vu, mal perçu chez moi. Et puis, pendant des années, lorsque j’ai croisé l’Afrique en France, je me suis rendue compte de la proximité des Africains, de l’approche et du rapprochement qu’on avait, de la même éducation, des choses similaires. J’étais très touchée parce que j’avais l’impression, en jouant un rôle comme celui de L’Exil du Roi Behanzin de tenir le rôle de quelqu’un qui va lier l’Afrique et les Antilles, d’avoir quelque chose à dire, à prouver aux Antillais. »
» On ne peut pas dire qu’on connaît les acteurs antillais. Alors on ne sait pas vraiment où est notre place. Nous sommes complètement déchirés entre l’Afrique, les Antilles, la France, l’Europe. On a la sensation d’être complètement méconnus et de n’avoir pas encore cette totale liberté de s’exprimer. »
Elle fut la mulâtre sensuelle dans Les Caprices d’un fleuve de Bernard Giraudeau mais aussi l’esclave dont s’éprend le roi dans L’Exil du roi Behanzin de son compatriote Guy Deslauriers.
Naky Sy Savané (Côte d’Ivoire) – » Nous parlons de façon plus vivante. Dans le cinéma européen, les acteurs nous semblent souvent jouer comme des robots ! »
» Les êtres humains sont comme les cinq doigts d’une main qui ne se ressemblent pas. On est toujours au milieu ; on est pas avant ou après les autres. La gloire est éphémère : il faut garder la tête froide ! »
Après le rôle léger de Bal poussière de son compatriote Henri Duparc, elle joue la folle dans Au nom du christ de Roger Gnoan M’Bala, ou représente le lyrisme du continent noir dans Afrique mon Afrique de Idrissa Ouedraogo. Elle tient le premier rôle dans La Jumelle de Diaby Lancine.
Félicité Wouassi (Cameroun) – » L’Afrique, c’est spirituel, c’est ma terre. Il est important pour moi d’y tourner, d’être aimée par cette terre, d’être désirée. Il est important pour moi qu’un réalisateur africain me désire pour travailler. »
Elle a percé avec Black Mic Mac de Thomas Gilou, et rejoué dans Black Mic Mac 2. Mais la comédienne a su échapper aux stéréotypes en obliquant vers le théâtre. Elle est revenue au cinéma pour Le Journal de Lady M. du Suisse Alain Tanner avant de retrouver l’Afrique pour Rue Princesse, la comédie ivoirienne d’Henri Duparc. Elle joue ensuite un personnage plus grave dans Le Cri du coeur d’Idrissa Ouedraogo.
propos recueillis parMichel Amarger et Olivier Barlet
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