Pour la quinzième année consécutive, l’Angleterre a célébré l’histoire du peuple noir. Expositions, débats, concerts, lectures le Black History Month fait appel aux talents et savoirs en tous genres. Il donne l’occasion aux Africains, Caribéens et Black British de retrouver la trame d’expériences partagées. Et surtout, il est la reconnaissance officielle de la contribution d’un peuple à l’histoire d’un pays.
Le Black History Month est l’uvre d’un homme : Carter Godwin Woodson (1875-1950). Né en Virginie, il a grandi dans une Amérique qui acceptait la pauvreté des Noirs, la discrimination et le lynchage. Bien qu’il ait été contraint à travailler à la mine pour soutenir ses parents anciens esclaves, il a réussi à intégrer l’école à l’âge de l’adolescence et a poussé ses études jusqu’au niveau universitaire. Passionné d’histoire, il est entré à l’Université de Chicago en 1907 où, après avoir suivi une formation doctorale, il a obtenu son diplôme d’Harvard.
C’est en côtoyant le milieu académique que Woodson a été marqué par les distorsions et les omissions d’une histoire manipulatrice. Y étaient absents les citoyens d’origine africaine qui ont construit l’Amérique au prix de leur sueur et de leur sang. Lorsqu’un Noir figurait dans un quelconque média, il était ridiculisé ou placé dans une position sociale inférieure.
En quête de vérité, Woodson monte en 1915 l’Association pour l’Etude de la Vie et l’Histoire des Noirs (ASNLH). Un an après, il fonde le Journal of Negro History, un des périodiques qui allaient redonner fierté aux Noirs, et leur permettre de réaliser leur influence dans la sphère intellectuelle.
1916 est aussi l’année où le Jamaïcain Marcus Garvey émigre aux Etats-Unis. Après avoir créé l’Association Universelle pour l’Amélioration de la condition des Noirs (U.N.I.A) en 1914 (Jamaïque) puis 1917 (New York), il lance le journal Negro World en 1918.
Lorsqu’il arrive à New York, Garvey s’installe à Harlem qui, loin d’être un ghetto, est le véritable centre de la culture noire. C’est l’endroit où les Noirs peuvent construire leur vie et aspirer à un certain confort. C’est l’époque du « New Negro », citadin et intellectuel. Les historiens appellent cette période située entre le début des années 20 et la fin des années 30, la Harlem Renaissance*.
On y vibre au son du jazz, on y swingue le samedi soir dans les salles de bal. Mais avant tout, Harlem est le berceau de la littérature afro-américaine. De talentueux auteurs en émergent. Parmi eux, le poète Langston Hughes (1902-1967) qui influencera toute une génération d’écrivains noirs. Des dramaturges et des acteurs y créent un théâtre authentique, écrit par et pour les Noirs, traitant de thèmes jusque-là inédits.
Un homme en particulier encourage cette nouvelle élite à abandonner le modèle occidental pour s’inspirer de sa propre expérience et de son héritage africain. Il s’agit de William Edward Burghardt DuBois (1868-1963), écrivain, historien et père du pan-africanisme. Entre 1910 et 1934, il sera l’éditeur de The Crisis, une autre revue véhiculant de nouvelles idées.
C’est pour rendre hommage à des hommes comme DuBois, Hughes, et tant d’autres que Woodson se battra pour instaurer le Negro History Week, dont la première édition a lieu en 1926, au cur de la Harlem Renaissance. Il choisit en particulier la deuxième semaine de février en mémoire de deux architectes de l’émancipation, Abraham Lincoln (1809-1865) et Frederick Douglass (1818-1895), dont c’était le mois de naissance.
Le Negro History Month est devenu le Black History Month en 1976 et c’est en 1987 qu’il a traversé l’Atlantique pour être célébré en Angleterre. C’était à l’occasion du centenaire de Marcus Garvey, décédé à Londres en 1940.
Derrière cette version anglaise se cache un universitaire, Akyaaba Addai-Sebo. Réfugié politique originaire du Ghana – pays où W.E.B. DuBois a terminé ses jours. Addai Sebo a vécu aux Etats-Unis avant de s’installer en Angleterre dans les années 80. Employé par la municipalité de Londres, il a travaillé sur divers projets et coordonnait des actions contre l’apartheid. C’est en allant dans les écoles qu’il a constaté que la jeunesse britannique noire refusait toute assimilation à l’Afrique une bonne raison d’organiser un Black History Month.
Comme le Carnaval de Notting Hill (cf Africultures 51), cet événement représente un poste important du budget des institutions culturelles nationales. Au plan local, chaque municipalité attribue des subventions, en particulier dans le cadre éducatif. Artistes, musiciens, écrivains, poètes et conteurs se déplacent dans les écoles.
Doit-on voir dans cet engagement la reconnaissance d’un pays qui a construit sa richesse sur l’esclavage et la colonisation ? Difficile à dire lorsqu’on se rappelle la réaction de l’Angleterre quant à la question de l’esclavage comme crime contre l’humanité, lors de la Conférence contre le Racisme à Durban en 2001. Le Black History Month n’est pas un luxe dans un pays qui, malgré une politique d’equal opportunity (de chances égales pour tous, sans discrimination) connaît encore le racisme.
Alors que la diaspora a été mise à l’honneur pendant tout le mois d’octobre, il faut reconnaître que très peu d’organisations noires ont droit à des subventions de fonctionnement. Pour obtenir des fonds, la Brixton Art Gallery est contrainte de faire de l’éducatif toute l’année, au détriment des expositions. Quant à l’Africa Centre (cf Africultures 49), il attend toujours d’être rénové.
L’histoire du peuple noir n’est pas l’affaire d’une semaine ou d’un mois. C’est toute l’année que s’y consacre une myriade d’associations et de centres culturels. À Londres, dans le domaine des arts, il y a l’October Gallery qui offre son espace aux artistes d’Afrique et des Caraïbes. Cette année elle a choisi de présenter l’uvre du sculpteur El Anatsui, un autre grand homme d’origine ghanéenne (cf Africultures 27 et 32).
*Il existe de nombreux ouvrages de référence sur cette période. Pour une bibliographie, voir le catalogue de l’exposition « Rhapsodies in Black. Art of the Harlem Renaissance » édité par Richard J. Powell et David A. Bailey, publié par la Hayward Gallery et l’Institut des Arts Visuels Internationaux (InIva), Londres, 1997.
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