Après le succès de Hustle & Flow, conte urbain sur les espoirs et déboires d’un mac mélomane, Craig Brewer prend la route du Sud et troque les vinyles et le rap contre les guitares du blues. Toujours épaulé de John Singleton et Stéphanie Allain à la production, il montre encore une fois qu’il sait choisir ses acteurs, mettre la musique en image et s’attaquer aux sujets les plus virulents.
Cependant Samuel L. Jackson, Christina Ricci et Justin Timberlake ont beau être des valeurs sûres au box-office, Black Snake Moan n’a pas rempli ses promesses financières puisque quatre mois après sa sortie (retardée) aux États-Unis, il est toujours déficitaire. Pourtant le blues est bon et Christina Ricci, vêtue de quelques bouts de ficelles et accessoirement d’une épaisse chaîne en acier, ne manque pas de traduire l’implacable chaleur qui inonde la campagne de Memphis. Là où Attache-moi, le film d’Almodovar, faisait le portrait finalement tendre d’un séquestreur amoureux, Black Snake Moan met en scène une nymphomane que seules de lourdes chaînes peuvent empêcher d’aller droit à sa perte. Les intentions de son geôlier sont d’une bienveillance paternelle. Lazarus (Samuel L. Jackson), qui digère mal que son petit frère lui ait piqué sa femme, n’entretient aucune pensée lascive pour cette Lolita abandonnée sur sa route. Au contraire, il se doit de guérir la petite Rae de son attirance compulsive pour le serpent masculin, surtout s’il est noir. Les questions raciales, au cur du film, restent cependant parfaitement inexplorées. Quant à l’explication psychologique (inceste, oh surprise !), elle constitue un fil narratif qui fait difficilement le poids face aux gros maillons du cinéma d’exploitation.
La sexualité féminine est dangereuse, qu’on se le dise, et pas seulement parce que comme dans le blues, elle brise le cur des hommes, mais parce qu’elle provient de traumatismes profonds, de démons indomptables. Ainsi Rae se laisse prendre en public par sa conquête d’un soir, retrouve le très musclé et très noir Tehronne dans un motel miteux pour se consoler du départ de son fiancé, a la bêtise d’insulter le meilleur ami de son fiancé qui la frappe si fort qu’il ne peut plus la violer, autant de comportements justifiés par son extrême insatiabilité. Même enchaînée, elle jette son dévolu sur un enfant de 12 ans (en hors-champ, censure oblige). Cette descente aux enfers, seul Lazarus est capable de l’arrêter. Ancien bluesman, il y a lui-même séjourné et en est revenu, peut-être grâce aux chaînes de ce mariage dont l’échec présent menace de le faire retomber. En résistant aux avances de Rae, il assure son salut.
Si la sexualité féminine débridée de Rae relève d’un frénétique envoûtement morbide, la sexualité masculine, elle, est naturelle, consentante, satisfaisante comme cette cigarette que Lazarus offre au petit Lincoln pour célébrer son dépucelage. On aimerait que le viol de Rae par son père se soit aussi bien passé.
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