Comme chaque année au festival international du court métrage de Clermont-Ferrand (31 janvier – 8 février 2020), la journaliste Claire Diao a animé une table-ronde après les projections des deux séances de la sélection Regards d’Afrique, pour discuter de la genèse des films, de leur financement et de leur casting ainsi que des spécificités culturelles et des difficultés rencontrées. Etaient présents dans l’ordre d’intervention : Samir Benchikh (Rasta) – Côte d’Ivoire, Olive Nwosu (Troublemaker) – Nigeria, Fabien Dao (Bablinga) – Burkina Faso, Farzad Samsani (Doah) – Maroc, Yusuf Noaman (Hazihi Lailaty, This is my night, C’est ma soirée) – Egypte, Muhannad Alamin (Prisoner and Jailer) – Lybie et Yoro Mbaye (Journée noire) – Sénégal. Lire également notre article sur les films « Afrique » de la sélection 2020.
- Pourquoi ce film ?
Claire Diao – Le jeu c’est une question / sept réponses et comme ça on tourne, et vous avez plein d’infos d’un coup sur les films que vous venez de voir. On commence par Samir, pour « Rasta ». Tu es français de parents algériens avec un lien particulier avec la Côte d’Ivoire, où tu as réalisé plusieurs films ; donc pourquoi cette histoire de rebelles en Côte d’Ivoire ?
Samir Benchikh – C’est lié à du vécu sur le terrain. J’ai passé beaucoup de temps en Côte d’Ivoire, au Nord, au Sud, et pendant les périodes de guerre, et les périodes de ni paix ni guerre, et j’ai vu des situations que j’ai voulu raconter. Beaucoup de gens constataient sur le terrain que la réconciliation politique était impossible entre les deux camps, donc à l’époque le camp de Gbagbo et celui de Ouattara. L’idée était d’essayer de faire un film du point de vue des civils, de la population : comment faire pour se réconcilier, ce qui donnerait l’exemple aux gens au-dessus. Les deux personnages principaux, le rasta et la maman à la fin, sont plus ou moins des gens que j’avais rencontrés dans la vie réelle : un ami qui a dû tuer quelqu’un par légitime défense pendant la guerre, et une maman dans le nord du pays qui avait perdu un de ses enfants qui s’était enrôlé. L’idée était donc de créer la rencontre entre ces deux personnages. Et d’essayer de faire un film sur la paix, de montrer comment on peut se réconcilier en allant là où c’est le plus dur, face aux parents des victimes, face aux enfants qui se font tuer.
Claire Diao – Olive, « Troublemaker » évoque une autre situation de guerre, au Nigeria cette fois, avec ce grand-père harcelé par son petit-fils. Comment cette idée t’est-elle venue ?
Olive Nwosu – Je voulais au départ faire une histoire sur un enfant et sur l’endroit où il vit. Mon père vient de cette région et il avait environ dix ans quand a éclaté la guerre du Biafra. On voit quand on grandit au Nigeria que bien peu près de gens évoquent cette guerre. C’est seulement quand je suis devenue adolescente et adulte que j’ai commencé à poser des questions et obtenir des informations. J’ai voulu faire ce film pour interroger le silence qui entoure cette guerre dans notre communauté et ses conséquences sur les générations futures.
Claire Diao – Fabien , avec « Bablinga« on part dans un film musical, qui touche à l’exil et la solitude avec la question de rentrer ou pas. Il a un pied au Burkina Faso, un pied en France. Comment as-tu traité ce sujet ?
Fabien Dao – En gros, le film s’est pas mal inspiré du regard que je portais sur mon père, qui est burkinabé et est venu s’installer en France tout en disant tout le temps qu’il allait retourner au Burkina. Il ne l’a jamais fait, ça me questionnait. Après, je voulais traiter ça avec légèreté, la vie qu’il a menée, en parler sans que ce soit pesant…
Claire Diao – Farzad est né en Iran, est basé en Norvège mais « Doah« est son deuxième film tourné au Maroc. Comment cette idée d’une jeune fille qui porte des tâches sur le visage et voudrait jouer au foot t’est-elle venue ?
Farzad Samsani – En Iran nous avons des cultures similaires à celles des pays arabes ou d’Afrique : les rumeurs vont très vite dès que quelque chose ne fonctionne pas. On dit que vous êtes une sorcière, ou vous allez être rejetés. L’idée du film était de voir comment combattre une rumeur. L’évolution du scénario a porté vers la relation entre la mère et la fille, qu’elles puissent s’accepter l’une et l’autre par rapport à leur situation.
Claire Diao – Yusuf Noaman vient d’Egypte, avec « Hazihi Lailaty« (This is my night / C’est ma soirée), sur une mère et son fils trisomique avec un fond social mais aussi l’interrogation du regard de la société sur les handicapés.
Yusuf Noaman – Au début je voulais faire un film sur une femme pauvre en Égypte, et puis en même temps, j’avais envie de faire un film sur un petit garçon atteint d’une trisomie 21, donc j’ai écrit sur les deux. J’ai finalement réuni les deux histoires, une mère stressée par la société égyptienne mais aussi par rapport à son fils alors que les enfants handicapés n’y ont pas vraiment de place. J’espère avec ce film faire changer le regard des gens sur ces personnes, que ce soit le handicap ou la situation financière.
Claire Diao – Avec le film de Muhannad, « Prisonner and Jailer », on se déplace dans une prison libyenne. Deux hommes en confrontation, à deux époques différentes, avec une inversion de position. Comment t’est venue cette idée ?
Muhannad Alamin – Je suis tombé sur un article dans un journal international. Il y était question d’un homme emprisonné et ostracisé. L’article datait d’il y a longtemps et je savais qu’aujourd’hui, cette même personne dirigeait une prison. D’après mes recherches sur cette personne et d’autres qui l’entouraient, ils étaient liés au massacre de la prison d’Abou Salim de 1996 (1270 morts). Tout le monde connaît ce massacre, mais très peu de gens savent que ce sont les mères de ces prisonniers qui ont été les premières à manifester en 2011. J’avais envie de travailler l’évolution de ces personnages, le changement de perspective, et de voir comment chacun réagit en position de pouvoir.
Claire Diao – Avec « Journée noire », une autre révolte, étudiante cette fois, au Sénégal, un film également basé sur des faits réels. Yoro, pourquoi ce film ?
Yoro Mbaye – Il est lié à un vécu : j’étais moi-même à l’Université Cheikh Anta Diop, où j’ai passé six ans et obtenu ma maîtrise en droit. Il arrive régulièrement que des étudiants soient tués et jamais justice n’est rendue. Je voulais dénoncer cela et montrer les protagonistes à l’écran, mais dans l’esprit de trouver pour les acteurs – les étudiants, le gouvernement et les autorités éducatives – un terrain d’entente pour qu’ils arrêtent de s’affronter. La communauté des étudiants n’est pas considérée au Sénégal. Du coup, chaque fois qu’ils réclament leurs droits, la police n’hésite pas à leur tirer dessus. Lorsque je faisais le film, on venait d’enterrer le sixième étudiant abattu par la police. C’est une obligation pour moi en tant que cinéaste de raconter leur histoire.
- Quel budget ?
Claire Diao – On va continuer, en tournant dans l’autre sens cette fois, et en vous demandant quel était le budget de vos films ?
Yoro Mbaye (Journée noire) – Je peux dire que le film n’a pas de budget. Je fais partie d’une association ciné-club, « ciné banlieue ». C’est une association de jeunes où si on a une idée, on n’hésite pas. C’est dans ce contexte que j’ai écrit le film, me disant que, producteur ou pas, je vais le réaliser. Un producteur sénégalais m’avait proposé de chercher le financement mais il n’était pas possible d’attendre. Dans notre association, des techniciens acceptent de travailler gratuitement. Ils étaient très engagés et motivés car tout le projet a été écrit avec eux : chaque weekend, on organisait des séances de « brainstorming ». Le producteur a finalement accepté de tourner avec nos propres fonds, en assurant juste le transport des techniciens et de la régie.
Muhannad Alamin (Prisoner and Jailer) – J’ai beaucoup travaillé sur des films à petits budgets, mais pour ce film, à cause du sujet et du fait que la prison a été complètement détruite, il a coûté plus cher : 30 000 dollars. Il a fallu trouver un endroit et reconstruire la prison. Tout a été tourné en Tunisie et cela nous a pris un an pour financer le projet sur des fonds régionaux puisqu’il n’y a pas de fonds pour le cinéma en Libye.
Yusuf Noaman (Hazihi Lailaty) – J’ai travaillé pendant deux ans pour préparer le film et trouver son financement. J’étais entre l’Égypte et la Suisse, et le fait de gagner un prix m’a permis de financer le film. Entre l’Égypte et l’Europe, l’Unicef est venu compléter, si bien que j’ai pu trouver un coproducteur. Ce qui nous paraissait le plus difficile était de convaincre Nahed El Sebaï, qui est une très grande actrice en Égypte. Finalement, elle a accepté de jouer dans le film une-demi-heure après avoir lu le scénario ! Le tournage a été très compliqué parce que situé dans les rues du Caire. Le budget initial était de 60 000 dollars. Nous en avons reçu 35 000 du centre de cinéma norvégien, mais les autres fonds n’ont pas suivi. Nous avons revu le plan de travail pour correspondre à ce budget et notre productrice a eu plein d’idées créatives pour venir à bout de ce projet !
Fabien Dao (Bablinga) – Le film était financé en France et nous avons eu 85 000 euros et 1 000 pour les effets spéciaux. Ce sont des chiffres qui peuvent sembler impressionnants, mais en fait, avec tous les gens qui travaillent sur les films, ce n’est pas énorme si on veut que tout le monde soit payé. Clermont a joué son rôle aussi parce que c’est grâce au festival que Canal+ me suit depuis le début.
Olive Nwosu (Troublemaker) – Mon film a coûté 3 000 dollars, qui viennent de mes amis et de ma famille. On a eu beaucoup d’aides en nature mais ça été très difficile. Pour les acteurs, nous n’avons travaillé qu’avec des non-professionnels. Quant aux techniciens, ils ont tous donné de leur temps pour participer au film. On a eu la chance d’avoir Ethiopian Airlines qui a offert les tickets pour aller au Nigeria.
Samir Benchikh (Rasta) – Nous, on a eu un gros budget : 140,000 euros à peu près, sur des financements classiques en France, mais il a été très difficile à tenir. Le problème est que beaucoup de boites de production sont tenues par des réalisateurs qui n’ont pas l’expérience de la production. On s’est endettés, c’est cauchemardesque !
- Le casting
Claire Diao – Les acteurs portent les films, comment les avez-vous trouvés ?
Samir Benchikh (Rasta) – Je voulais un vrai Rasta, avec de vraies dreads, pour qu’il puisse se toucher les cheveux, donc pas de postiche. Le problème est qu’en Côte d’Ivoire, le règlement intérieur des collèges et lycées interdit les dreads. Du coup, c’était vraiment un casting sauvage. Une copine à moi l’a croisé dans la rue, elle a pris son numéro. On est allés faire son casting au village, et une fois choisi, on a bossé avec lui, c’était top. Pour la maman à la fin, c’était complètement différent. C’est une actrice assez connue en Côte d’Ivoire, qui joue dans des vaudevilles très caricaturaux. Son physique m’intéressait beaucoup parce qu’elle est gigantesque, non en poids mais en volume. Elle était en fait assez contente qu’on puisse penser à elle pour autre chose, donc on a fait un vrai casting, elle a eu l’humilité de le faire malgré son statut là-bas, et ça a été bien. Après elle a mené la vie dure à mon petit Rasta! A la fin du film, elle le tape vraiment, ce qui nous a posé des problèmes car lors de la répétition, comme ils jouaient tout à fond, ils sont tombés tous les deux et on a dû arrêter le tournage parce que les deux s’étaient blessés !
Olive Nwosu (Troublemaker) – Tout le tournage a eu lieu dans le même village, et on a fait le casting dans ce village. On est arrivés deux semaines avant le tournage et on a cherché les garçons qui représentaient les personnages. On a posé la question au village : est-ce qu’il y a des enfants qui posent des problèmes. On a travaillé avec eux pour qu’ils se familiarisent avec la caméra, les techniciens… Ce sont vraiment de meilleurs amis, et le meilleur ami est vraiment le premier de la classe, et le grand-père était effectivement vraiment assis dans la rue. Il était d’accord pour jouer. Il a joué plus que ce qu’on demandait, jusqu’à rouler par terre alors qu’on ne lui avait pas demandé de rouler. C’est un tout petit village, il y a peut-être deux cents habitants et absolument tout le monde est dans le film. Et ce sont vraiment la mère et la sœur du garçon qu’on voit dans le film.
Fabien Dao (Bablinga) – Je suis de Paris, donc on a fait les castings sauvages à Paris. On cherchait dans les quartiers où il y a beaucoup d’Africains. Je tenais à ce que le personnage principal soit un Burkinabé ou un Ivoirien. On l’a trouvé très vite. On est allés dans un bar et lui tenait le bar, comme dans le film ! Là où on a eu de la chance, c’est que le bar a fermé pour des problèmes sanitaires, si bien qu’il a pu faire le film. Sinon, il n’aurait pas eu le temps !
Farzad Samsani (Doah) – Dans le scénario de Doah, à l’origine, c’était un garçon. Le directeur de casting, au Maroc, m’a envoyé des photos de garçons. Pour des raisons financières, je ne pouvais pas venir pour les castings, j’allais venir juste avant le tournage et on avait décidé qu’on validerait quand je viendrais. Au début, il y avait cent garçons, quand je suis arrivé, on avait décidé d’en garder dix avec lesquels travailler jusqu’à trouver le bon. Le dernier jour de casting, il ne restait plus que deux garçons, et j’ai eu le sentiment que ça n’allait pas. On était à trois à quatre jours du premier jour de tournage, et j’ai appelé en panique ma productrice en lui disant : « je ne le sens pas, il faut que ce soit une fille ». Et là j’ai appelé toute mon équipe et j’ai dit : « il me faut une fille ». Tout le monde s’est mis à paniquer. Mon directeur de casting m’a dit : « ok, on va faire un casting sauvage dans la nuit, en soirée, on va en trouver quelques-unes ». Je poursuivais les repérages et Isham, qui m’assistait pour cela, m’a demandé si j’avais rencontré sa propre fille. Doah est sortie – c’est vraiment son nom – et j’ai senti que c’était elle. Elle habite juste à côté de la maison où on a tourné, c’est vraiment son quartier. Ça a fonctionné cette fois mais je ne crois pas que je le referais !
Yusuf Noaman (Hazihi Lailaty)– Le plus difficile pour nous était de trouver l’enfant trisomique. J’ai fait le casting deux ans avant le tournage, à l’époque où je cherchais l’argent. J’ai rencontré vingt à vingt-cinq enfants. La plupart d’entre eux ne pouvaient pas exprimer leurs émotions, ce qu’ils ressentaient. C’était très compliqué de jouer, d’interagir avec la réalité, en particulier si on allait tourner dans la rue. Mais quand j’ai rencontré Amr, ça s’est très bien passé car il correspondait absolument au personnage tel que je l’avais écrit. Il se sentait vraiment à l’aise, c’était comme un jeu. Pour lui, il n’y avait pas de scénario. On laissait tourner la caméra, on le laissait réagir. Je lui racontais l’histoire, la situation, et on le laissait jouer. Avec Nahed El Sebaï, on a essayé de faire en sorte qu’il soit « familier ». Nous y sommes parvenus.
Muhannad Alamin (Prisoner and Jailer) – De part la nature du film, son sujet, on voulait des acteurs libyens expérimentés. J’ai eu de la chance de trouver des acteurs car en Libye, le cinéma s’est arrêté dans les années 80. Trouver des acteurs plus jeunes est bien plus compliqué. Un ami acteur m’a introduit dans le réseau d’acteurs de sa génération. Ils étaient tous dans un théâtre et le théâtre allait être démoli, si bien qu’ils étaient disponibles. Moi je faisais très attention au visage, parce qu’il n’y allait pas avoir beaucoup de prestations physiques. Les deux acteurs étaient ravis de jouer dans un film, car il n’y a plus de cinéma en Libye. Le plus âgé des deux a joué dans un film intitulé Le Message sur le Prophète, une coproduction entre la Libye et le Maroc dans les années 80. Il n’avait pas tourné depuis, en dehors d’un film dans les années 90.
Yoro Mbaye (Journée noire) – Ce ne sont que des amis, des étudiants à l’université ou des cinéastes. Avant même d’avoir fini la première version du scénario, j’étais tout le temps avec eux. Après, ils m’ont dit : « ça va être compliqué de jouer dans ce film parce qu’on a jamais fait ça de notre vie » et il a fallu que je trouve quelqu’un, plus ou moins professionnel, qui les encadre tous les soirs. Depuis, le personnage principal, lui, est tombé amoureux du métier d’acteur, et l’autre est apprenti réalisateur !
Débat avec la salle
Question – En tant que réalisateurs africains, comment ressentez-vous le fait de présenter votre film ici, dans un festival en Europe. Peut-être avez-vous dans vos films des blagues ou des spécificités très locales ? Comment le public a-t-il réagi ?
Yoro Mbaye (Journée noire) – Moi ça me fait plaisir d’exporter un peu de culture sénégalaise, mais aussi surtout de montrer la réalité. Avant tout, l’objectif, c’est de m’exprimer moi, en tant qu’artiste.
Muhannad Alamin (Prisoner and Jailer) – Le but de faire un film c’est de le montrer au plus de gens possible. Mais il est vrai que parfois, certaines parties de votre film résonnent plus fort avec le public local. Par exemple, il y a une musique dans mon film qui parle vraiment aux Libyens. C’est une chanson qui est passée à la radio, à la télévision quand le gouvernement essayait de cacher quelque chose qui était en train d’avoir lieu, comme par exemple le massacre. Mais je ne sais pas encore comment les gens vont réagir car le film n’a pas encore été montré en Libye.
Yusuf Noaman (Hazihi Lailaty)– Le public égyptien va reconnaître certaines musiques, et l’actrice principale. Il m’était cependant important de confronter ce film à d’autres publics.
Farzad Samsani (Doah) – Raconter des histoires, ça permet de créer des ponts entre les cultures. Quand tu vis en Norvège, c’est compliqué de lever des fonds pour aller tourner des films en Afrique en Nord, mais j’ai envie de suivre ce que je ressens. Et ce que je ressens, c’est d’aller tourner en Afrique du Nord, ou en Iran. Les festivals de cinéma sont bien pour ça, que ce soit à Clermont, à Palm Springs ou à Téhéran. L’important c’est de pouvoir le montrer à différents publics.
Fabien Dao (Bablinga) – Bablinga n’a pas encore tourné à l’étranger, donc je ne me rends pas compte. Mais d’expérience sur des films précédents, j’ai l’impression que c’est surtout sur l’humour que le décalage est le plus frappant. De même, des musiques peuvent évoquer des choses précises chez des gens. Par exemple, Bablinga, il y a Doni Doni du Bembaya Jazz, une musique guinéenne très connue pour ceux qui ont vécu dans les années 50 ou 60. Ils m’en ont parlé et m’ont dit que leur père ou leur mère l’écoutait.
Olive Nwosu (Troublemaker) – Je pense que différents thèmes résonnent différemment auprès de différents publics. Quand les Nigérians regardent mon film, ce qui les frappe, c’est la désobéissance du petit garçon. Au Nigeria et en Afrique en général, les enfants doivent respecter leurs ainés. Le public européen va plutôt voir la guerre au Biafra plutôt que de voir le petit garçon qui est en fait le sujet central du film. L’important reste bien sûr pour un film comment le public le reçoit. Au Nigeria, les gens sont habitués à des films urbains et du coup j’ai des amis qui ont été surpris de voir la beauté de la campagne. J’en suis très fière parce que c’est quelque chose qui est en train de disparaître.
Samir Benchikh (Rasta) – En ce qui concerne Rasta, j’ai eu pas mal de remarques sur la violence du film. En tant qu’auteur, on essaye de nuancer pour que ce soit acceptable à l’écran, mais d’un pays à un autre, d’un caractère à un autre, les gens appréhendent cela de façon différente. Dès lors, que montre-t-on ? Je pense qu’il faut être fidèle à ce qu’on a envie de montrer en tant qu’auteur, même si parfois ce sont des choses qui sont très spécifiques comme une chanson, même si ça va être vu par des gens qui ne connaissent pas. Donc on fait le film, et puis on affronte. Je pense que ça vaut pour tous les films.
Question – Quel était le moment le plus difficile dans votre tournage ? Est-ce que votre film sera en ligne ?
Samir Benchikh (Rasta) – Le film sera pas en ligne, parce que quelque soit le goût qu’on a pour un film, le voir sur un grand écran ça change tout. Cela a été un tournage très difficile et je suis d’un naturel optimiste ! Mon acteur principal, quelques jours avant cette chute, a fait une crise de palustre. Il part à l’hôpital à 16h00, en sachant qu’une crise de palustre ça peut être 24 heures ou trois semaines ou la mort. C’était le deuxième jour de tournage. Il a été un peu shooté aux médocs, et donc il est revenu le lendemain, en état de K.O. technique. On lui a fait faire de petites scènes, et le jour de repos venait juste après. On a tous stressé qu’il ne revienne pas. On est très soucieux des individus mais tu penses aussi en tant que producteur…
Olive Nwosu (Troublemaker) – Quand on demande au village, « donnez-nous le petit garçon qui fait le plus de bordel », on vous donne l’enfant qui fait le plus de bordel. Au début, vous riez, il est bien, il est à l’aise puisque c’est la star du film et le dernier jour du tournage, on tournait à 3 heures du matin et il en avait marre. En plus de ça, le générateur s’est arrêté et il n’y a pas d’électricité dans ce village donc on a dû sortir le deuxième générateur, qui ne marchait pas non plus. Donc on a pris un troisième générateur, qui a marché. J’ai cru qu’on n’allait jamais finir le film. Il s’est allongé par terre, et a dit : « non, je veux pas, je veux pas ». Et là, sa mère est venue et l’a supplié et il a finalement accepté de terminer le film.
Fabien Dao (Bablinga) – Le moment le plus difficile sur le tournage n’était pas pour moi mais pour les comédiens. Il y a un moment où ils vont dans l’eau, et on était dans les Landes en novembre. Je pense que les figurants ne reviendront pas !
Farzad Samsani (Doah) – Comme je l’ai dit, c’était la décision de changer l’acteur principal en dernière minute. On a tourné en deux jours et demi, donc autant dire que toute la pression était sur la production.
Yusuf Noaman (Hazihi Lailaty)– Deux situations. La première, c’est une scène qui n’est pas dans le film, où je tournais sur un pont du Caire alors qu’il est interdit d’y tourner. La police était dans un des immeubles proches et nous a vus. La société de production nous a dit : « il faut vous enfuir » ! Donc tout le monde, acteurs, techniciens, s’est enfui en courant ! La deuxième, c’est la dernière scène du film, tournée de nuit, qui était aussi la dernière scène qu’on a tournée. On a voulu attendre que le jour se lève, et c’est à ce moment là que le petit garçon a décidé que non, il ne sait pas jouer. Je me suis vraiment retrouvé assis par terre à supplier son père : « s’il vous plaît, faîtes-le jouer ». Le père a accepté au final, et l’enfant a accepté de finir la scène.
Muhannad Alamin (Prisoner and Jailer)- Le dernier jour de tournage, on devait faire la scène de flashback, c’était-à-dire quand on a les acteurs à une période différente, et plus jeunes. L’acteur était très fatigué et il n’arrivait plus à se rappeler de son texte, alors qu’il avait été concentré durant les deux semaines de tournage. J’ai finalement compris que l’un de ses fils avait un problème et besoin d’aide. Durant le tournage, il avait un problème de carte SIM qui l’empêchait d’appeler en Libye. On lui a trouvé un téléphone, on l’a mis dans une camionnette et on lui a donné quelques moments pour appeler son fils. Et après, c’était bon !
Yoro Mbaye (Journée noire) – Des difficultés du début jusqu’à la fin ! Pendant le tournage, et après le tournage. Il fallait trouver un décor naturel, donc une université publique. Je suis allé voir l’autorité universitaire à plusieurs reprises, qui me donnait toujours des rendez-vous avec une assistante qui me questionnait beaucoup parce qu’ils avaient peur de l’idée du film et ne voulaient pas que ça se tourne à l’université. Après avoir finalement obtenu de pouvoir tourner à l’université, il fallait pouvoir tourner au pavillon : la résidence universitaire, les chambres d’étudiants. Ce sont des autorités différentes. Le chef de la résidence m’a aussi convoqué tout le temps chez lui pour que je lui explique réellement ce que je voulais faire. Il a même été jusqu’à vouloir me faire changer le scénario. Quand ils ont vu que j’étais déterminé à faire ce que je voulais, j’ai finalement réussi. Pendant les scènes d’émeute, la police a débarqué en plein tournage, en pensant que c’était les étudiants qui manifestaient à nouveau. Ils étaient armés jusqu’aux dents, et ont même failli balancer des grenades lacrymogène, mais mon producteur est allé les prévenir qu’on tournait un film. Après le tournage, la post-production était difficile aussi parce qu’on n’avait pas d’argent. Le montage du film a attendu un an, jusqu’à ce que, à mon passage à Paris, je trouve un monteur qui accepte de travailler gratuitement !
Merci à Elise Ramaïoli pour l’aide à la transcription, ainsi que pour la traduction totale en anglais à retrouver bientôt sur afrimages.net
Un commentaire
Vous faîtes vraiment la Fierté des jeunes cinéastes comme nous bien des choses à vous j’espère qu’on sera comme vous dans l’avenir……