La disparition du ministère (puis secrétariat d’Etat) de la Coopération s’est effectuée à grand renforts de déménagements de responsables et de blocages de dossiers. La vieille séparation entre les anciennes colonies et les autres pays disparaît enfin, ouvrant à des logiques continentales, mais la fusion de la barque Coopération et du cargo Affaires étrangères laissait craindre un arrêt de l’aide aux cinémas du Sud. Reportage indiscret dans les couloirs du ministère des Affaires étrangères.
Au fond, dans le quotidien des responsables, il n’y a pas de grand changement puisque les sujets sont les mêmes mais c’est désormais la planète entière qui est concernée, alors qu’avant le poids était mis sur l’Afrique. Le volet production continue sur sa lancée mais le nouveau est plutôt à rechercher dans l’accent mis sur la diffusion, dans la droite ligne de ce que les Affaires étrangères proposaient déjà sur des cinéastes français comme Rivette ou Chabrol. Ainsi, sera disponible en l’an 2000 une offre de six films de six cinéastes africains, sous-titrés selon les zones de diffusion en espagnol, en anglais ou en français. Et voilà que ces films vont faire le tour du monde des CCF mais aussi des festivals, chose inimaginable précédemment. On verra ainsi les films sous-titrés en espagnol commencer par Cuba. Démarrage immédiat et renouvellement programmé chaque année. Le court métrage africain sera aussi du voyage. Cela fonctionne par achat de droits et s’appuie aussi sur les associations existantes comme Ecrans noirs en Afrique centrale.
Mais qui choisit les films ? Sur quels critères ? C’est forcément subjectif ! Critères officiels : six pays différents, six réalisateurs qui ont été présents à Cannes, et qui ont un projet en cours qui devrait émerger ou qui a émergé. L’idée est donc de favoriser un travail en cours. Exemples donnés : Cheick Oumar Sissoko, qui a fait La Genèse et tourne La Grève des Batu à Dakar (avec Dany Glover, d’après Aminata Sow Fall) ; José Laplaine qui est en tournage en ce moment
L’astuce de cet achat de droits est de soutenir les réalisateurs en plus de l’achat de droits habituel pour la cinémathèque du ministère.
Bien sûr, le critère » Cannes » s’inscrit dans la droite ligne de la politique du ministère de la Coopération : soutenir l’émergence d’un cinéma africain répondant aux critères du marché international. Ce qui revient à soutenir un cinéma d’auteur. Il a souvent été reproché que cela se faisait au détriment du cinéma populaire et de l’émergence d’une industrie du cinéma locale. Le ministère s’en défend en dévoilant ses projets au Burkina, où un cycle de formation est en cours d’élaboration en liaison avec la Fémis
Mais comment aider tout le monde : le champ est devenu énorme. Du coup, on définit une zone de solidarité prioritaire (ZSP), qui englobera la totalité de l’Afrique, du Maghreb à l’Afrique du Sud, plus certains pays d’Asie, le Liban et les Caraïbes, en gros une cinquantaine de pays
La logique est d’avoir un continent dans son ensemble. Mais du côté financier, les besoins sont énormes ! Le Maroc et la Tunisie produisent bien plus que l’Afrique noire
L’aide directe, enveloppe confortable gérée par le ministère de la Coopération et donc jusqu’à présent consacrée à l’Afrique francophone, va compenser en s’ouvrant à cet ensemble. Mais comme cela ne suffira pas, la perspective serait que des pays se regroupent pour profiter d’un Fond d’action culturelle commun, régional, afin de générer des fonds suffisants pour aider une industrie à démarrer.
On imagine mal le ministère lâcher sa principale possibilité d’intervention autonome : l’aide directe reste la roue de secours, suffisamment souple pour débloquer des films. Et pour soutenir les courts métrages, les premiers films, les documentaires. Cependant, là où les Affaires étrangères apportent un plus, c’est par leur réseau d’attachés en audiovisuel qui n’existait pas à la Coopération : des postes vont être créés en Afrique. Ces professionnels connaissent bien le milieu des media, ce qui facilitera l’articulation cinéma et télévision, et le repérage des besoins en formation.
L’ambiance est à la concertation. Avec les Etats africains sur le plan local mais aussi avec les autres guichets d’aide au cinéma. Les liens avec l’Agence de la francophonie (cf. l’interview de Jean-Claude Crépeau dans Africultures n°21) et le CNC se sont resserrés. Par contre, avec l’Europe, on attend leur nouvelle organisation d’appui à la production que l’on sait bloquée pour le moment.
Le ministère de la Coopération se plaignait d’être pris en otage par les autres guichets qui attendaient qu’il fonce pour s’engager. Si l’aide directe est accordée à un film, il a toutes les chances d’avoir d’autres subventions
Sur ce plan, rien de nouveau sur la planète : c’est davantage pris comme une fierté qu’une tenaille ! Mais pour les cinéastes, c’est le couperet
Si bien que le ministère cherche plutôt à être roue de secours et demande aux projets de films d’avoir déjà passé le fond Sud et l’avance sur recettes. C’est une sécurité : si un film a l’un ou l’autre, il a toutes les chances d’être monté et le ministère intervient tranquillement
Atria, lieu d’accueil des cinéastes africains et relais auprès des professionnels parisiens, a fermé ses portes en juillet dernier après l’arrêt des subventions (cf. l’interview d’Andrée Davanture dans Africultures n°19). Le sujet a toujours senti le roussi, les relations avec le ministère n’ayant jamais été bonnes. Les réponses restent laconiques mais la fin d’Atria laisse un vide et une initiative des cinéastes ne serait pas vue d’un mauvais il
Quant à l’annonce faite en 1998 à Cannes par le secrétaire d’Etat à la Coopération que ne seraient aidés que les deux premiers films d’un cinéaste, elle est rangée au placard. Lucidité oblige, la formulation change : l’aide sera spécialement destinée aux deux premiers films.
Comme quoi la raison finit par triompher après avoir fait couler des sueurs froides. Celles du changement ont accouché d’une nouvelle donne dans la continuité, où chacun verse ses atouts. Si bien que la fusion du pot de terre et du pot de fer n’aura pas fait que de la casse.
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