Débats-forum Fespaco 2025 / 5 : Alidou Badini et Justin Ouindiga GSK parlent de Yikian ! (Debout !)

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Alidou Badini a été cadreur et assistant sur plusieurs téléfilms et films pour le cinéma, dont Keïta, l’héritage du griot (1994), de Dani Kouyaté. Son court métrage Fleurs d’épines a été sélectionné en compétition officielle lors du Fespaco en 2001. Son long métrage Yikian ! (Debout!) était en compétition dans la section Burkina au FESPACO 2025 et a obtenu le Grand prix du Président du Faso du meilleur film burkinabè ainsi que des prix spéciaux : Prix Silportrans International et le Prix de la Conférence épiscopale Burkina Faso-Niger. Il répond avec son acteur Justin Ouindiga aux questions d’Annick Kandolo et Olivier Barlet ainsi que de l’assistance.

Annick Kandolo : Yikian ! raconte l’histoire de Mamoud, incarné par Justin Ouindiga, un chef de famille dont le village est menacé par des terroristes et qui décide de mener la résistance. Quels obstacles avez-vous rencontré pour faire ce film ?

Alidou Badini : Nous n’avons pas eu tout le financement prévu et même si peu qu’on ne pouvait même pas financer tout le tournage. Nous n’avons donc pu le faire que grâce à la participation des comédiens et des techniciens mais on n’avait pas les moyens non plus pour faire la post-production ! Il a fallu que le ministère de la Culture nous accompagne encore une deuxième fois pour qu’on puisse terminer le film. La population nous a bien accompagnés, par exemple dans la scène de l’exode, mais au niveau de l’armée, c’était un peu difficile car on avait besoin d’armes pour faire le film et vu le contexte actuel c’était difficile. On a dû retarder certaines séquences.

Où s’est déroulé le tournage ?

A environ 40 kilomètres de Ouaga, dans un petit village, Doundouni, à 10-15 kilomètres de Kokologho.

Olivier Barlet : Mamoud, le personnage que vous interprétez Justin, n’est pas un héros avec un grand H mais va trouver sa voie malgré la difficulté. Comment s’est passée à la fois l’écriture et l’interprétation d’un personnage aussi complexe ?

Justin Ouindiga GSK: En cours d’écriture, Alidou me donnait le texte de temps en temps pour que je jette un œil et dise ce que je pense. Dans le contexte dans lequel nous nous trouvions, vivant dans ce pays et vu les réalités, on ne pouvait pas ne pas remarquer certaines situations non-abouties ou au-delà du réel. C’était mon apport, qui a été pris en compte. Effectivement, c’est la réalité qui prédomine dans le rôle de Mamoud. L’idée est de voir que si lui il résiste, pourquoi pas nous. C’est donc une façon d’inciter les gens à prendre conscience que la résistance est possible à partir du moment où on se met ensemble, sinon ça devient compliqué. La difficulté était cependant de jouer un personnage très humain qui a peur aussi, qui est dominé par la situation, qui va dire à sa femme qu’il vaut mieux partir parce que ça devient vraiment dangereux.

C’est vrai qu’en tant que spectateur, on se dit :  » mais non il ne va pas nous laisser ! « 

Cette peur participe de rendre la situation avec justesse. C’est un endroit où à tout moment quelqu’un peut mourir. Que dira la famille de celui à qui on demande de participer ?

Il y a donc la peur de ne pas embarquer quelqu’un qui va mourir avant toi. Et la peur de ne pas résister comme il faudrait.

Au niveau de l’écriture, avez-vous hésité entre différentes versions ?

Alidou Badini : Effectivement, j’ai eu plusieurs versions du scénario pour améliorer, même jusqu’au tournage. Avec Justin, on a discuté et on a changé certaines séquences en fonction de la situation réelle du terrain. Mais il ne fallait pas rallonger le film. On a dû éliminer des séquences pour arriver à ce résultat. C’est le drame du cinéma, on en laisse toujours au passage !

C’est le drame du montage aussi. En voyant le personnage, j’ai pensé à L’Archer bassari, ce roman de Modibo Sounkalo Keita, un classique, où le personnage réagit à la corruption en envoyant des flèches bien situées ! Le passage du fusil ancestral à la flèche donne une belle force au personnage.

Effectivement, il se rend compte qu’avec le fusil, on utilise de la poudre : il ne pourra pas s’en sortir. Les flèches empoisonnées, il peut tout de suite recharger et tirer. Les terroristes ont des armes, on tire et c’est fini. Avant que nos ancêtres aient des fusils, ils ont commencé par les flèches, et c’est ainsi qu’ils ont résisté face à la pénétration coloniale. Une flèche empoisonnée, a le même effet qu’un fusil ! Les chasseurs empoisonnent les flèches sauf si on prévoit de manger la viande.

Questions de la salle : Justin, vous êtes très sollicité en tant qu’acteur. Qu’est-ce qui vous a amené à adhérer au projet d’Alidou ?

On dit en mooré que quand on construit une case, c’est à chaque membre de la famille d’apporter sa brique. Je me suis dit que le film pouvait contribuer à sortir du terrorisme. Le cinéma est plus efficace que les sensibilisations qu’on organise. Le combat se mène sur tous les fronts. Chacun essaie d’apporter sa touche pour éveiller les consciences de ceux qui se laissent embarquer facilement. Avec Justin, on a fait beaucoup de séries. Il a également joué dans Katanga, la danse des scorpions de Dani Kouyaté, où j’étais premier assistant cadreur. On se connaît bien. Pour la série Affaires publiques où j’ai fait la direction photo et le cadrage, on a fait plusieurs saisons ensemble. On collabore depuis longtemps. Je vois comment il joue, je l’ai approché, il n’a pas refusé.

Etes-vous déjà allé sur un site de réfugiés ?

Vous savez que je suis cameraman à la RTB. On sillonne tout le pays, tous les camps de réfugiés.

Alors, pour la scène de l’exode, vous faites un plan d’ensemble, mais pas de plans rapprochés sur les visages des habitants. Est-ce que c’est juste pour montrer le nombre de personnes qui bougent ou bien avez-vous voulu exprimer un manque ?

Je n’ai pas voulu insister là-dessus parce que je ne voulais pas sortir de mon sujet. L’idée ici, c’est que la population est en train de fuir, alors que Mamoud ne veut pas partir et que cela engendre un conflit avec sa femme. Je n’ai pas voulu insister sur les émotions.

Les soldats que l’on voit dans le film ne portent pas des tenues de guerre.

En fait, ce sont les armes qu’on voulait de la part de l’armée. Les soldats que l’on voit sont des comédiens. Dans le film, ils ne viennent pas pour intervenir professionnellement, mais dans le cadre de l’enquête sur la découverte des armes.

Je n’ai pas trop compris pourquoi vous isolez Mamoud qui se retrouve seul alors qu’un certain nombre de gens pouvaient se rallier à sa démarche de résistance.

On avait d’autres séquences où il allait voir d’autres jeunes dans le village qui vont accepter de l’aider, mais dans la version finale, on a dû sauter ces séquences pour des questions de longueur du film. Je me suis rattrapé à la fin en faisant revenir son ami Harouna. Et d’autres volontaires viennent s’ajouter dans la dernière séquence.

Annick Kandolo : Personnellement, je vous ai trouvé très dur avec l’armée dans ce film. Le chef a été tué, on envoie les chercher, mais ils ne viennent pas, c’est compliqué. On ne les voit pas. Après, ils viennent parce que des armes ont été trouvées, mais ils ne viennent pas parce que les gens sont en insécurité.

Alidou Badini : C’est malheureusement une triste réalité : au début de ce conflit, notre armée manquait d’armes. Et quand on les sollicitait, ils ne pouvaient pas venir parce que la force de frappe était inégale. Les terroristes avaient beaucoup plus d’armes qu’eux. C’est maintenant que notre armée a vraiment des armes. J’ai écrit le scénario au début du terrorisme, c’était la situation réelle. Les populations étaient laissées à elles-mêmes. Il ne leur restait qu’à s’enfuir. Dieu merci, maintenant c’est l’armée même qui affronte les terroristes.

Quand Mamoud abandonne le fusil pour revenir aux flèches, que voulez-vous faire passer ?

Alidou Badini : Cela veut dire qu’il faut faire avec les moyens du bord pour essayer quand même de nous défendre, en attendant d’avoir des armes ou que l’armée vienne à notre secours. Même si ça ne fait pas le poids.

Dans le film ça fait le poids.

Oui, dans le film ça fait le poids.

Olivier Barlet : C’est le message positif que j’ai aimé dans le film : qu’on ne se laisse pas faire.

Voilà, on ne se laisse pas faire. Et Mamoud a décidé de ne pas se laisser faire. Et il a même pris la décision d’y aller seul. Maintenant, au niveau de l’avenir, on est en train de préparer une suite pour ce film. On va développer la collaboration entre les Volontaires pour la défense de la patrie VDP et l’armée. Et ils vont aller attaquer les terroristes. Mamoud va apprendre le maniement des armes et devenir chef VDP.

Lors de la libération de jeunes femmes, l’une d’elles est voilée et se débarrasse de son voile. Doit-on y voir une intention ?

Elles ont fait un long trajet pour sortir de la forêt. Au cinéma, on ne montre pas tout le trajet. Et on les voit courir : elles transpirent. En outre, en général, les terroristes obligent les femmes à se voiler. En se libérant, elle se libère de la tenue qu’on lui avait fait porter de force.

Olivier Barlet : Il y a durant tout le film un ancrage de la parole dans la tradition. Les proverbes sont nombreux. Et Mamoud va peu à peu porter des costumes traditionnels, en véritable chef avec le bonnet et la lance des anciens. Les personnages prennent le temps qui est nécessaire à ce que ce qu’ils disent soit entendu et à ce que leur action soit perçue. Le cinéma de Gaston Kaboré est-il pour vous une référence ?

Oui et non. Mais il faut reconnaître que ce sont les aînés dans le cinéma, Gaston Kaboré, Idrissa Ouedraogo, Dani Kouyaté. Ce sont nos prédécesseurs. On s’inspire un peu de leurs films pour faire les nôtres.

J’imagine que le public burkinabè est marqué par ces films et s’inscrit dans cette continuité en terme d’appartenance à une culture.

Oui, tout à fait. Le public a vraiment apprécié et on est très contents. Ça veut dire que s’il s’identifie au héros, on a réussi le film.

Fatoumata Sagnane : Mamoud est assez rude avec sa femme. Il est très sympathique comme ça, mais chacun a sa place ! Et puis Fatima va finalement le sauver. Puis elle devient une amazone puisqu’elle dit qu’elle veut combattre elle aussi. Sa position évolue donc complètement dans le film. Avez-vous envisagé la relation homme-femme et aussi entre femmes comme un sous-texte dans le film ?

Dans une version du scénario c’est sa femme qui devait tirer la flèche mais je trouvais que c’était quand même assez rapide ! C’est vrai que dans nos sociétés traditionnelles, les femmes sont trop reléguées. Pour certaines choses, on dit que ce n’est pas une affaire de femmes, mais en réalité, les femmes participent à beaucoup de choses dans le foyer, dans la vie sociale, etc. J’ai voulu que ça soit une femme battante, une femme qui n’abandonne pas, qui essaie de faire ce qu’elle peut pour atteindre ses objectifs aussi. Voilà pourquoi il y a eu tellement de discussions avec son mari. Mais après, elle n’abandonne pas.


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