Découvert dans la sélection Un certain regard au festival de Cannes de mai 2024, puis revu aux JCC, au FESPACO et dans de très nombreux festivals, le premier long métrage de Mo Harawe confirme la beauté et la maîtrise de ses courts métrages : The Story of the Polar Bear That Wanted To Go To Africa (2018), 1947 (2020), Life on the Horn (2020) sans bien sûr oublier celui qui a remporté le principal prix au plus grand festival de courts mondial à Clermont-Ferrand, Mes parents vont-ils venir me voir ?
Né en 1992, à Mogadiscio, Mo Harawe a quitté son pays pour se réfugier en 2009 en Autriche. Il y a appris le cinéma alors qu’il n’y a en Somalie ni infrastructure ni salle de cinéma. Il développe une esthétique qui ne juge personne et déconstruit ce qui pourrait tomber dans le sentimentalisme ou le pathos par l’humour. Les dialogues sont d’une grande finesse : « J’écris intuitivement et fais confiance à mes sentiments. Cela vient de la façon de raconter des histoires en Somalie, subtile, indirecte, parfois avec des poèmes », dit-il (cf. notre entretien). A cela s’ajoute une musique bien dosée, et des plans fixes denses sans être intrusifs (travaillés avec son chef opérateur égyptien Mostafa El Kashef), où le son est très travaillé, riches de multiples questions. Le vent, qui soulève la poussière de juillet à septembre, agit comme un personnage du film et renforce l’incertitude qui le parcourt. La construction du récit et le montage jouent sur les non-dits pour que le spectateur ressente cette incertitude qui marque la vie dans ce village du désert somalien, et notamment cette micro-famille qui se résume au père, Mamargade, son jeune fils Cigaal et sa soeur divorcée Araweelo.

Leur quotidien est rude mais ils n’abandonnent pas, cherchant des solutions qui n’en sont pas lorsqu’elles sont des combines malhonnêtes mais qui se révèlent positives lorsqu’elles font appel à la débrouille malgré le manque de moyens. Ici, la différence entre l’homme qui se fourvoie et la femme consciente s’impose, qui fait basculer le film tandis que l’enfant reste un révélateur, lui qui ne cesse de vouloir raconter ses rêves et dessine partout. Il rêve d’un paradis de friandises et la préservation de son imaginaire sera un des enjeux du récit, car comment croire au monde sans pouvoir rêver ?

Le film s’ouvre sur le danger représenté par les drones de la guerre civile et cette insécurité détermine leur vie, sans que son contexte ne soit explicité : à nous de nous renseigner sur la tragique histoire de la Somalie qui ne sort jamais de confrontations mortifères. Le film nous y encourage parce qu’il fait en sorte que le destin de ces quelques personnages nous importe. Mamargade est un père attentif, soucieux de l’avenir de Cigaal, et lorsqu’il intime à son fils de se cacher les yeux lorsqu’ils passent par l’hôpital, ce n’est pas qu’il l’invite à ne pas voir la réalité, c’est qu’il veut le protéger de la désespérance qui le guette lui-même dans une région où l’on fuit son quotidien en mâchant du khat.

« Tu veux la vérité ou un mensonge ? » demande Araweelo à Jama, un homme qui lui doit de l’argent. « La vérité », répond bien sûr Jama. « Je ne sais même pas », répond Araweelo : c’est à la fois dans cet humour et cette incertitude que s’ancre le récit. Il s’agit là d’un positionnement déjà marquant à Cannes en 2023 (cf. Cannes 2023 : le temps de l’incertitude) et qui n’est pas nouveau dans les cinémas d’Afrique quand il s’agit de faire avec le réel sans baisser les bras. « Nous affronterons ça en famille » : la solidarité fera le reste… pour se rapprocher du paradis.