« Développer une conscience de la culture »

Entretien d'Isabelle Bourgueil avec Cheick Oumar Sissoko, au festival Triangle du balafon à Sikasso

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Le festival Triangle du balafon s’est tenu du 2 au 5 novembre 2006 à Sikasso, capitale du Kénédougou, Mali. C’est au son des balafons que nous avons pu rencontrer Cheick Oumar Sissoko, ministre de la Culture du Mali, son instigateur, dans cette ville-frontière entre le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Mali. Le festival montre à quel point les frontières sont artificielles même si elles sont bien réelles dans l’esprit des nations, et de leurs soldats lorsque celles-ci se font la guerre. Justement, ce festival se veut un lieu de paix, de reconnaissance, de rencontre autour d’un instrument très présent dans les musiques des trois pays frontaliers.

Il s’agit ici de conjurer le mauvais sort économique ravageant le pays en battant la mesure d’un instrument joué par de talentueux musiciens. Cheick Oumar Sissoko est le premier à participer à tous les évènements de cette grande manifestation, à claquer des mains et des pieds, à intervenir dans les conférences. Il est largement applaudi par son public, aussi pour le simple fait d’être avec lui et de leur parler sa langue.
Le Triangle du balafon est une grande manifestation populaire. Grande parce qu’elle offre le balafon sur un plateau d’or à toute une population ; grande encore car elle réussit ce qu’ont du mal à réaliser les manifestations littéraires : elle emplit les rues et les salles de spectacles d’une foule impressionnante. 30 à 40 000 personnes suivaient les spectacles de rue de l’inauguration tandis qu’une salle bondée et débordante jusqu’à ses abords saluait les neuf groupes musicaux des cinq pays en piste pendant ces quatre jours (la Guinée et le Sénégal, invités, ne participent pas au concours). Les conférences attiraient aussi un vrai public. Joute musicale, acrobatie autour du balafon, danse avec, sur, autour et sous les balafons, cette rencontre prend la forme d’une course pour arriver à des prix généreux (de 750 000 à 1 500 000 Fcfa). Un moment musical époustouflant de virtuosité et d’inventivité, de très jeunes musiciens promettent d’être les grands de demain.
Pour tout savoir sur le balafon, l’association spécialisée dans la promotion des xylophones, marimbas et balafons, Marimbalafon, propose le site www.marimbalafon.com. Le fondateur et président Mamadou Koladé y raconte ses aventures à la poursuite des balafonistes du monde entier. Un parcours à la découverte d’un instrument trop méconnu. I.B.
Comment un cinéaste devient-il ministre de la Culture ?
Je suis membre du SADI, Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance. Six députés représentent ce parti politique à l’Assemblée nationale. En 2002, le Président du SADI a proposé ma candidature à un poste ministériel. J’ai été nommé ministre de la Culture cette même année.
Quels étaient les principaux dossiers en cours ?
Le ministre précédent au sein du gouvernement provisoire est resté quatre mois. Il m’a remis les deux principaux dossiers faisant le point du secteur de la Culture au Mali : le premier du nom de MAAYA, écrit sous l’investiture d’Aminata D. Traoré, le second Les Grandes orientations culturelles du Mali. Ces documents présentaient l’état des lieux des réalisations et des projets. Je m’inscris dans la continuité des actions et ceci malgré les changements de gouvernements. C’est important.
Quelles sont les priorités ?
Vous savez, je viens du monde des arts. Je ne me présenterai pas ici car beaucoup savent qui je suis : un homme de cinéma, un réalisateur. Le plus important est de rendre visible la culture et ses enjeux, de développer une conscience de la culture non seulement comme facteur de paix et de stabilité mais encore comme un moyen de développement économique.
Comment faites-vous ?
Nous favorisons le dialogue entre les hommes et les communautés par la création de rencontres, de festivals, à l’intérieur du Mali jusqu’à ses frontières et au-delà. La proposition du Triangle du balafon existait avant mon arrivée. Je l’ai simplement mise en œuvre en 2004. En multipliant les espaces de paix et de fraternité, nous permettons à tous de participer.
La Culture pour rêver la réalité ?
Pour la plupart, la culture n’est qu’amusement et instant de détente. Elle est bien plus que cela, elle est partie prenante du développement d’un peuple et constitution d’un patrimoine commun. La culture ouvre de nouveaux espaces humains mais aussi économiques. Certains festivals ont permis jusqu’à la résolution de conflits fonciers, par exemple de partage de pâturages. La culture joue un rôle essentiel, plus important que ne le pense son public. C’est dans les débats que naissent les plus beaux projets. Cependant, nous nous confrontons sans cesse au manque de moyens humains et financiers, à l’absence d’un savoir-faire technique.
Quelle serait la mesure la plus urgente ?
Je veux mettre en œuvre une Agence pour la promotion des activités culturelles maliennes. Pour cela nous devons former des gens qui travailleront à une meilleure et plus large diffusion de nos artistes et de notre patrimoine. Au Mali, l’UNESCO a classé quatre sites au patrimoine mondial et un cinquième au titre du patrimoine mondial immatériel. L’autre point important est que les artistes puissent vivre de leurs créations, de leurs œuvres et de disposer de lieux de travail, d’ateliers. Ils apportent déjà et apporteront encore plus leur contribution à l’activité du pays. La musique peut devenir un secteur économique fort et prendre la première place dans le domaine de la culture. Je n’oublie pas l’importance de développer la lecture et l’édition mais là nous devons travailler transversalement avec beaucoup d’autres ministères.
Vous avez ouvert le festival du Triangle du Balafon dans votre langue sans traduction en français. La langue est-elle l’élément déterminant d’une culture ?
Oui, elle l’est, et pour nous, celle-ci doit être une langue africaine.
Les élections présidentielles se dérouleront début 2007. Si le prochain gouvernement vous rappelle à ce poste, que répondrez-vous ?
Que je veux revenir au cinéma. Pour moi, le cinéma est une manière de dire et de faire de la politique. Si le futur gouvernement me rappelle à ce poste, je voudrais travailler avec plus de souplesse. Il y a une véritable renaissance culturelle. Nous le sentons et voyons à travers les grandes rencontres, qu’elles soient de danse, de photographie, de cinéma ou de musique. Je laisserai les traces de mon passage.

///Article N° : 4673

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