Editorial

Le corps rumba

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 » Lumumba
Comme rumba, conga !
Lumumba
Comme rumba, Congo ! « 
Tchikaya U Tam’si
Le Ventre, Présence africaine, 1978, p. 143.

Il n’y a pas que les cyclistes du Tour de France qui se dopent : une enquête révèle que dès qu’ils ont l’âge de s’entraîner intensivement, nombre de jeunes sportifs européens de toutes disciplines reçoivent des produits dopants. Triomphe de la performance, mirage du corps parfait, body-building, stars, sportifs et top-models idéalisés… Le photographe retouche la photo : rien de disgracieux ne doit transparaître ! Sous peine de ne plus remplir son rôle : faire oublier le ride du temps, la maladie qui tue, la mort qui rôde…
Pépé Kallé était obèse et Emorro était nain. Leur groupe fut pourtant l’un des plus légendaires de l’histoire de la musique africaine. En bousculant les normes supposées de l’ordre social, ils exprimaient tant par leur musique que par leur corps une originalité et une liberté retrouvées.
Lorsque le footballeur camerounais Roger Milla esquisse quelques pas de makossa en pleine coupe du monde après avoir marqué un but ou que Nelson Mandela se met à danser à l’annonce des résultats des élections qui font de lui le premier Président noir d’Afrique du Sud, est-ce parce les Noirs ont  » le rythme dans la peau  » ou bien expriment-ils, comme le suggère Célestin Monga dans Anthropologie de la colère (L’Harmattan 1995), la revendication d’une dignité ?
Et si le corps africain, réduit dans le regard de l’Autre à un hédonisme aussi séducteur qu’effrayant, et à n’être que pureté ébène ou paquet de muscles dans l’archétype de superficialité moderne, si ce corps africain objet de toutes les projections exprimait bien au contraire par sa danse, son rire ou sa corpulence une différence, une indocilité, une indiscipline ? En un mot : une subversion ?
Interrogeant comme à notre habitude les différentes disciplines artistiques, nous avons convergé sans trop nous consulter vers la même conclusion d’un  » corps rumba  » : en tentant de se réapproprier son corps, l’Afrique nous apprend à inverser la désincarnation à l’œuvre dans les peurs de cette fin de siècle pour finalement assumer la mort et retrouver la vie !

///Article N° : 875

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