Tourné en 2012, le documentaire Tango Macbeth sort en DVD en ce mois d’avril. L’occasion de (re) découvrir une interprétation moderne de la pièce de Shakespeare, signée Nadine Patterson.
Dans [Tango Macbeth ], la réalisatrice noire indépendante Nadine Patterson dirige une troupe de théâtre qui répète Macbeth. Mais les pas de tango de cette interprétation moderne de la pièce de Shakespeare ne seront jamais présentés à un public de théâtre, puisqu’ils ne répètent que pour le documentaire auquel ils participent. Concept étonnant pour un film qui ne peut que rappeler Looking for Richard et son interprétation américaine du texte anglais, à la différence près que la plupart des acteurs sont noirs ([voir la critique d’Olivier Barlet de Tango Macbeth dans son compte rendu détaillé du FIFDA 2013]). Le passage du théâtre au cinéma pose de manière déconcertante la question de la correspondance ou non de l’identité des acteurs et des personnages.
Ainsi, la troupe s’approprie le texte. Ils et elles tentent de répondre aux souhaits de la réalisatrice qui les encourage, les reprend, les emmène ailleurs. Les tensions se créent, les conflits naissent alors que l’acteur qui incarne Macbeth multiplie les impairs au point de se faire remercier par une Nadine Patterson qui fait preuve d’une autorité qu’on imagine nécessaire à mener son projet à bien. Et l’on comprend au passage que le documentaire qui se déroule dans un chaos apparent est fermement contrôlé alors que les discussions en coulisses, en couleur, alternent avec les scènes de Macbeth en noir et blanc pour la plupart, parfois sur scène, mais aussi en promenade au parc ou dans une salle de bain.
Quelle importance que les acteurs soient noirs ? D’ailleurs ils ne le sont pas tous, puisque le casting se fait indépendamment de la couleur, de l’âge ou du sexe des acteurs. Ainsi, le personnage de Banquo est joué par une femme tandis que Macbeth, d’abord joué par un noir, est remplacé par un blanc alors qu’un acteur noir a également auditionné pour le rôle. Puisque Lady Macbeth est jouée par une femme noire, nous voilà en présence d’un couple « inter-racial », comme on dit aux États-Unis où ces couples apparaissent rarement à l’écran. Mais l’est-il vraiment ? Macbeth et Lady Macbeth sont des aristocrates écossais du XVIe siècle, toute correspondance ethno-raciale est donc abandonnée dès le départ, et quelle importance que l’une soit noire et l’autre blanc ? Au théâtre, sans doute peu, mais au cinéma ? Si cela n’avait pas d’importance, de telles associations arriveraient beaucoup plus souvent.
En effet au théâtre, dans une adaptation d’un texte aussi connu, le personnage prend-il vraiment les caractéristiques ethniques ou même sexuelles de l’être qui l’incarne ? Sans doute que non et pourtant, le théâtre reste frileux en la matière. L’on a longtemps grimé les acteurs blancs pour jouer Othello, au théâtre comme au cinéma, le contraire restant inenvisageable (si des Noirs doivent jouer des Blancs, ils ne sont pas grimés), tout comme les femmes ne jouent pas facilement des rôles écrits pour des hommes (l’inverse est moins rare), comme cela se fait constamment dans les troupes amateurs. En effet, la répartition entre actrices et acteurs sur le marché tend à suivre une proportion inverse des rôles proposés à la scène comme à l’écran.
Dans le Beaucoup de bruit pour rien de Kenneth Brannagh (1993), Don Pedro est-il noir parce qu’interprété par Denzel Washington ? Ce choix a beaucoup fait couler d’encre à l’époque parce qu’il dénonçait implicitement l’impossibilité pour les acteurs non-blancs, en Europe et aux États-Unis, de jouer Shakespeare, auteur incontournable dans la carrière d’un acteur anglophone désireux de se faire reconnaître.
Paradoxalement, et conformément au résultat d’un sondage informel à la sortie du film, il est assez manifeste que malgré la profession de foi de la réalisatrice de choisir les acteurs en fonction de leur talent et non de leurs caractéristiques physiques, le jeune acteur blanc qui a obtenu le rôle est plus en accord, par son âge et son sex-appeal, avec sa Lady Macbeth que son rival noir de peau, moins svelte et plus âgé. La sélection ne s’est donc pas faite « à l’aveugle », sur le seul critère annoncé du talent. Ce choix souligne bien, de manière certainement involontairement, que la performance n’est pas aveugle aux corps et qu’il faut bien changer de perception (un homme plus vieux et plus arrondi peut-être sexy, une femme noire peut jouer Lady Macbeth) et de politique (on ne réservera pas les rôles d’hommes à des hommes, les rôles de Blancs à des Blancs) pour que les choses évoluent.
Est-ce que cette pièce qui est un film proposerait qu’à l’image de cette troupe multiraciale, où la couleur de peau ne semble pas jouer de rôle primordial dans les rapports humains, le cinéma cesse de postuler l’adéquation entre sexe et ethnicité de l’acteur et du personnage ? C’est le rôle du cinéma indépendant et expérimental que de remettre en question les postulats mêmes de la création.
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