Comédien et metteur en scène guadeloupéen installé en Métropole, héros de la série « Médecin de nuit » à la télévision, Greg Germain a beaucoup tourné au cinéma. Il dirige aujourd’hui le théâtre de la Chapelle du Verbe Incarné et a fondé le T.O.M. A. (Théâtre d’Outre-Mer en Avignon), voilà trois ans. L’édition 2000 a été une réussite incontestable sous le signe symbolique de la rencontre. (cf. Africultures n°30)
Après avoir monté L’Esclave et le Molosse d’après le roman de Chamoiseau en 1998, puis Le Balcon de Genet en 1999, Greg Germain s’est associé à l’auteur ivoirien Koffi Kwahulé pour porter à la scène un texte de James Baldwin, admirablement interprété par Gora Diakhaté. Il a fait en Avignon un des succès du « Off » et n’a pas manqué de bouleverser le public de l’Epée de bois en octobre dernier.
Tu as porté Baldwin à la scène comme s’il s’agissait de cinéma. Pourquoi cette démarche esthétique ?
Pour moi il n’y a pas de cloison étanche. En fin de compte il s’agit toujours de trouver le moyen de mieux faire partager une histoire. J’ai travaillé directement à partir de l’adaptation, même si je connaissais la nouvelle. Je savais que Kwahulé n’allait pas trahir Baldwin ! Le travail que je m’impose c’est de projeter non seulement ce que je vois, mais ce que le spectateur va voir, ce qu’il va comprendre, ce que je veux qu’il comprenne. En fait, dès la première lecture, et pour parler en termes cinématographiques, j’entends la musique, je vois les lumières, les gros plans ; j’étudie ce qui sera le meilleur « scénario » du texte sans trahir l’adaptateur et la nouvelle.
Quelle est donc l’histoire que tu t’es racontée à partir de ce texte ?
Bien sûr, l’histoire du peuplement noir des Amériques est une histoire exceptionnelle, j’allais dire « extra-ordinaire » dans l’histoire de l’humanité : le génocide de ceux qui habitaient la terre première, puis la mise en esclavage d’une race et les conséquences pour le destin de toute l’humanité. Au-delà de ces considérations purement politiques mais qui sont présentes dans mon affect, j’ai essayé surtout de montrer aux spectateurs cette souffrance particulière qui, bien qu’extraordinaire, est aussi la sienne, car cette histoire est avant tout une affaire familiale, l’histoire des liens particuliers qui unissent frères et soeurs.
L’une des difficultés d’un monologue est de casser la « parlerie » par du mouvement. Comment s’est construite l’occupation du plateau ?
Je ne sais pas en vérité comment cela s’impose ; je fais confiance à l’évidence.
Et le choix de l’espace ?
Ça été immédiat. A partir du moment où j’avais trouvé ce que devait faire ce frère, sa vie, j’avais défini l’espace. L’espace devait être nu, presque intemporel. Rue, cour de l’école, appartement… autant d’espaces qu’il fallait synthétiser, trouver les moyens de métamorphoses rapides, et le paravent m’a semblé l’élément adéquat à cette souplesse. Je voulais surtout qu’il n’y ait rien de surligné, que tout soit indiqué par petites touches.
Outre l’intérêt de la musique en direct, la vraie force du piano réside, à mon sens, au fait qu’il s’agit justement d’un musicien blanc puisqu’on sort ainsi d’un monde noir fermé sur lui-même. En plus cette présence du piano renforce l’effet des souvenirs cinématographiques puisqu’il nous renvoie aux origines du cinéma.
En effet. Les premières musiques de film étaient également en direct. D’ailleurs, comme ces pianistes noirs de ragtime assis à côté de l’écran, Gora regarde le piano, jamais le pianiste. Il joue avec le piano, l’objet dans sa présence inerte qu’il doit prendre à bras le corps. Ensuite il fait un transfert de ce piano de Sonny vers un saxophone qui est l’objet emblématique du jazz au cinéma. Ce saxophone dans lequel l’acteur – qui n’est pas musicien – parle et livre son message final.
C’est un one man show qui n’en est en réalité pas un, puisqu’il y a une espèce de dialogue en noir et blanc entre l’acteur et le musicien qui permet une vraie fraternité à la fin. C’est un moment très fort quand ils saluent main dans la main…
C’est une reconnaissance. Reconnaissance de l’acteur, qui n’est plus personnage à ce moment-là, et qui reconnaît celui qui a joué la musique et qui, curieusement, est blanc ; d’une certaine manière le monde blanc a eu raison de s’emparer du jazz – même s’il ne sait pas toujours pourquoi-. C’est une grande musique d’amour qui dit la peine et la réconciliation.
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