Sans rejeter son origine, il est possible d’apprendre, de soumettre sa propre création à l’Autre…
» J’espère parvenir à raconter dans mon prochain film une histoire universelle même si elle se déroule entièrement en Afrique. Une histoire de guerre et d’enfants qui survivent dans la rue. Une histoire, motivée par les événements qui ont transformés mon pays mais qui malheureusement peuvent être transposés ailleurs, et qui à ce titre, devient d’intérêt collectif.
Je suis Africain et je le resterai jusqu’à la fin de mes jours : même si je raconte une histoire qui se déroule au Canada, je ne pourrais pas réfuter mes origines. Nos personnages ne sont jamais totalement détachés de ce que l’on a vécu et de qui on est intimement. La part d’inspiration vient des rêves, des sensations, des expériences. Nous ne sommes pas détachés de notre propre histoire. Moi, je suis touché et nourri par les relations humaines. J’aimerais bien faire du documentaire mais en fait, je suis complètement porté par la fiction. Parce que je peux y raconter quelque chose d’aussi essentiel que ce qui serait dit dans un documentaire, mais sans me contraindre à être fixé par le réel. Au moins, je me laisse aller. Je n’ai pas besoin d’être objectif !
Le Canada est un pays qui n’est pas impliqué émotivement avec l’Afrique. Il n’y a pas le poids du passé colonial que l’on retrouve en Europe. J’ai beaucoup voyagé et j’ai appris à accepter les gens et à me faire accepter, à me faire comprendre ; c’est ça l’adaptation. C’est vrai que je constate des comportements dérangeants mais ils ne sont formulés que par une ignorance, une mauvaise connaissance de l’Autre et tous les préjugés qui vont avec. Alors il faut jouer le jeu et surprendre l’Autre.
Professionnellement, j’apprends beaucoup. Je me suis prêté à un exercice a priori difficile qui s’est révélé très enrichissant : la table de lecture. S’y réunissent des professionnels du cinéma ou de l’écriture qui y dissèquent votre scénario. Au début, j’étais un peu surpris et je me suis dit que ce n’était pas grave que je conserverais les critiques positives et que me moquerais des autres en me disant que les gens ne connaissaient pas assez ma culture. En fait, il ne faut pas perdre de vue que l’on fait un film pour le public. Or, quand on écrit, on a tellement le nez dedans que plusieurs éléments nous échappent. C’est là que la table de lecture devient enrichissante. Cependant, il faut avoir une personnalité solide pour ne pas se laisser influencer sur tout. Mais c’est vraiment un exercice judicieux. »
Léonce Ngabo vit à Montréal depuis 1994. Un Africain revient d’Europe, pensant qu’il pourra sans peine devenir ministre. C’est ainsi que commence Gito l’ingrat (1992) qui fait pleurer les salles de rire lorsque Gito est empêtré entre deux relations amoureuses (l’Africaine et l’Européenne qui vient le voir à Bujumbura) et que les deux femmes s’allient pour lui donner la leçon.
Léonce Ngabo. Né en 1951 au Burundi. Diplôme de chimie à Université d’Alger, directeur de l’École nationale des télécommunications du Burundi, fondateur de l’Amicale des musiciens du Burundi, réalisateur de Gito l’ingrat (1992) : Meilleur premier film FESPACO 1993, Prix de l’Agence de la Francophonie FIFF Namur 1992, Grand prix Vues d’Afrique Montréal 1993.///Article N° : 719