Oser prendre l’avion un 14 février, c’est se lancer un défi à soi-même. À l’heure où la mondialisation a conformé aussi nos gestes et nos rêves, il paraît que c’est un jour sacré, dédié à l’amour. Voire. Vaste opération commerciale, comme chacun sait, au cours de laquelle l’amour devient un prêt-à-porter pour tous les goûts, même les plus amers. Passons. Sur ce vol plein à craquer, il y a une bonne ambiance. C’est là que l’on rencontre quelques personnages de romans : développeurs et humanitaires qui ont du travail à faire là où les nôtres ont déserté la scène pour se consacrer à ce qui peut leur rapporter gros : la politique. On distribue des gadgets, des porte-clés sous le signe de la Saint-Valentin car la compagnie aérienne en question n’oublie pas de faire sa propre publicité. Un trajet paisible, avec une arrivée à l’heure prévue, sous le soleil de 15h30, à Ouagadougou. Les passagers applaudissent.
Quelqu’un vient me chercher et je ne sais à quoi il ressemble. La personne me reconnaît. Nous traversons la ville. Les commerçants n’ont pas oublié que la standardisation des manières de vivre n’est pas une question de discours. Tout y passe. Dans les rues, un 14 février, c’est la foire aux objets sans valeur, à offrir à tout prix, avant qu’il ne soit trop tard
Cette ville aurait pu être aussi la mienne, elle me rappelle de lointains et proches souvenirs. Ces dernières années, elle s’est étendue à une vitesse folle. Mais les restes de vie paisible, dans des maisons en terre battue, existent çà et là, dans les quartiers, au centre-ville, partout où cela est possible. On attend le Fespaco mais le Festival n’est pas encore là.
J’ai le temps de m’installer près d’un ordinateur. Je vais aussi faire un tour ailleurs, dans une autre ville, un pays frontalier. Cette fois-ci, je rencontre moins de chameaux et je n’oublie pas les conversations dans les marchés, mon terrain de prédilection. J’ai des photos à faire, des idées à glaner. Retour à Ouaga quelques jours plus tard. Sur le chemin du retour, d’une frontière à l’autre, je me dis que le désert et l’érosion du sol pourraient reculer si cela faisait partie des priorités. On pourrait, par exemple, planter des arbres. Je suppose que l’eau ne manque pas dans le sous-sol. Qui ira la chercher ? Et avec quels moyens ? Mais partout sur le continent, les priorités sont nombreuses. La peur de léguer aux générations futures une nature invivable ne me quitte pas. Nous en sommes tous responsables. Or la responsabilité commence à échelle humaine, dans la proximité, devant sa porte, sur son lopin de terre
Vaste question, pendant que le boire et le manger font partie des urgences. Faut pas rêver !
Le 22 février, le nouveau siège du Fespaco ouvre ses portes au public, le rush vers les badges et les attentes interminables peuvent commencer. L’ambiance est au rendez-vous. Les festivaliers en profitent pour faire connaissance. La ville se réveille peu à peu sous le soleil des grands jours.
Les taxis vont à la chasse aux clients et certains se frottent les mains puisque les prix, aussi, se pratiquent à la tête du client. Quant aux hôtels qui se sont multipliés dans la ville ces dernières années, on se demande de quoi ils vivent quand il n’y a pas d’événement d’envergure. La ville est devenue, aussi, celle des colloques et autres rencontres régionales ou internationales et les ONG poussent ici comme des champignons, tout porte à croire que le champ est fertile. Les grosses chaleurs habituelles vont commencer mais un souffle d’harmattan tarde à disparaître. Et la marche à pied ne fait de mal à personne, il suffit d’ouvrir l’il afin de voir arriver les deux roues à qui appartiennent toutes les rues de la ville.
Ce vendredi, je suis hors du monde, seuls les bruits de la ville me parviennent en sourdine.
Toujours perdue dans mes textes, je ne vois pas le temps passer.
24 février. Manu Dibango est président d’honneur, à l’occasion de la 20e édition du Fespaco. Il n’existe pas, à mon sens, sur le continent africain, un festival du cinéma qui ait un rayonnement aussi grand que celui-ci. Il y a les Journées cinématographiques de Carthage et d’autres rencontres cinématographiques qui ont fait leur entrée en scène ces dernières années. Mais le Fespaco s’est imposé, dès le départ, comme un espace militant. D’abord « Semaine du cinéma africain » dès 1969, ce festival devient Fespaco en 1972. Il se déroule tous les deux ans depuis 1979. Aujourd’hui, c’est un événement incontournable, malgré tout ce qu’on pourrait en dire. C’est l’un des rares endroits au monde où l’on peut voir des images de toute l’Afrique et du monde, en Afrique. Ici, l’Afrique n’est pas une question de couleur blanche ou noire. Le monde est vu en noir et blanc et en couleurs. Il s’agit d’art, de fiction, d’images, de techniques, de moyens financiers, de musique mais aussi d’engagement et de conviction. Je suis heureuse de voir qu’hormis les cinéphiles, les curieux, les professionnels du cinéma, les journalistes, des chercheurs et des universitaires trouvent ici matière à réflexion.
En trente-huit ans d’existence, ce Festival a fait du chemin, a grandi, le public aussi. L’heure est à la ruée, cet après-midi, vers le Stade du 4 août, pour l’ouverture en grandes pompes avec discours des plus hautes personnalités politiques du pays et ambiance de fête comme il se doit. J’attends le film inaugural. Dans cette ville, Fespaco oblige, il existe encore des salles de cinéma fréquentables. Ailleurs, dans d’autres pays, elles sont en voie de disparition ou presque, parfois affectées à d’autres usages, et personne ne s’en inquiète
Au ciné Neerwaya, bien avant l’heure, il y a foule, la salle refuse du monde. Il y a une « rétrospective du cinéma malien ». Le Mali, en tant qu’invité d’honneur, ouvre aussi le Festival.
Je passerai en revue quelques films vus car, compte tenu du temps dont je dispose, et avec la meilleure volonté, il me sera impossible de tout voir.
Faro, la reine des eaux (2006) de Salif Traoré (Mali). Ce film est servi par de belles images. La nature est à l’honneur. La vie quotidienne en zone rurale aussi. Le fleuve, le spectateur le voit dès le début du film, est un personnage qui a aussi son mot à dire. Mais comment interpréter ses remous ? Toute la question est là. N’est-ce pas parce qu’un enfant sans père devenu adulte est revenu troubler le repos de la nature ? Comme par hasard, la modernisation (sans modernité !) surgit dès les premières séquences sous l’espèce de la 4×4 traversant cette nature paradisiaque ; elle se gare près du fleuve où de jeunes gens prennent un bain. Ainsi arrive le personnage de Zanga, l’ingénieur de retour dans son village, avec, dans sa mallette, un projet de barrage. Le spectateur se demande si la quête du père n’est pas, tout compte fait, un prétexte. Les femmes et les enfants jouent un rôle non négligeable dans ce film. Comme cette vieille femme paisible dont le visage défie le temps. Chacune de ses apparitions constitue un temps fort. On imagine qu’autour d’elle la clé de l’énigme recherchée peut être trouvée. La mère de l’ingénieur ne perd pas sa sérénité quand elle apprend que son fils mène l’enquête au sujet du père. Elle vaque à ses occupations habituelles. La femme rebelle qui veille sur sa fille vulnérable ne croit pas un mot de tout ce qui se raconte dans ce village qui n’est pas le sien. Quant aux hommes, gardiens des traditions, ils représentent les lois qui excluent ceux qui doivent l’être. Ainsi, l’enfant de père inconnu est porteur de tous les maux. Zanga veut bien quitter le village mais pas avant d’avoir trouvé son père et montré que Faro, la reine des eaux, n’existe pas : le barrage serait une solution à tous les maux. Un film comme on en voyait il y a vingt ou trente ans, avec, ici, une certaine réussite technique. Laissant bien des questions en suspens
25 février. Avec Il va pleuvoir sur Conakry (2006), de Cheick Fantamady Camara (Guinée), autre manière de traiter de l’exclusion des « enfants nés hors mariage ». Ce réalisateur s’était déjà fait remarquer au Fespaco 2005, avec Be kunko (2004) un court-métrage dans lequel des adolescents vivaient aux bons soins de la débrouillardise, dans un camp de réfugiés, malgré la protection de leur grand-mère. Ici, le conflit « tradition et modernité » a lieu en pleine ville, à Conakry. Et le personnage de Bengali, jeune caricaturiste dont le père est iman et polygame au grand jour et adepte du culte des ancêtres dans l’ombre, ressemble à de nombreux jeunes vivant dans les villes africaines. Leur avenir peut être à la merci d’une décision parentale dictée par les religions et les traditions. L’il du cinéaste ne manque pas de perspicacité. Le caricaturiste est amoureux de la fille du patron du journal où il travaille. Vivant entre deux feux, comment va-t-il affronter la colère du patron et résister aux projets de son père iman de la ville ? On se demande s’il n’y a pas ici, subtilement transposée dans un autre univers, l’affaire des caricatures de Mahomet. Mais le film commence par une scène d’amour qui donne le ton. Comment être maître de son destin en refusant celui proposé par la loi du père et les religions – l’islam et les croyances traditionnelles font-ils bon ménage ? Il engage un autre type de combat. Il montrera, par la caricature, que la pluie n’est ni une affaire de politique ni de prières, mais bien de prévisions météorologiques. Le jeune caricaturiste constate, impuissant, que son nouveau né a été sacrifié sur l’autel des traditions, à la demande du père iman. Il ne commettra pas le parricide, il continuera de croire à la force de son art et refusera le destin glorieux – être iman – que lui proposait son père. On pourrait regretter qu’il y ait trop de dialogues, moins de densité intérieure des personnages, même si ce film peut plaire au grand public par la manière inhabituelle avec laquelle une thématique ancienne est abordée.
Quant à Africa paradis (2006) de Sylvestre Amoussou, (Bénin), il traite de l’immigration en sens inverse, serait-on tenté de dire. L’Europe est en faillite et ses habitants affluent en masse vers l’Afrique en pleine prospérité. Olivier et Pauline, diplômés et déprimés, décident de tenter leurs chances et de faire valoir leurs droits à l’immigration. Peine perdue. Ils devront recourir aux services d’un passeur pour avoir droit à un avenir qui ne s’annonce pas radieux, puisqu’ils vivront comme des clandestins. Mais comment se mettre dans la peau d’un clandestin venant d’Europe quand on ne peut oublier un passé glorieux et qu’on pense avoir des droits ? Ce film peut faire rire ou pleurer, il peut atteindre un large public en quête de « bouffée d’air ». L’inversion des rôles entend mettre l’accent sur une thématique jamais dépassée, mais les images semblent, malgré tout, être au service des discours. À preuve, l’ultranationaliste peut user de tous les moyens, y compris de la violence meurtrière, pour arriver à ses fins.
Je n’ai pas le temps d’aller aux débats et au colloque sur la diversité culturelle qui commence ce lundi. Je me contente de voir quelques films quand je peux. Il y en a pour tous les goûts. Et aussi des films hors compétition ; je vais en voir quelques-uns, par exemple Vers le sud (2006) de Laurent Cantet (France), adaptation de trois nouvelles du recueil La chair du maître de Dany Laferrière.
Au temps de Duvalier dans les années 80, en Haïti, à l’hôtel de la Petite Anse, comment prendre du bon temps et se faire une nouvelle jeunesse au soleil, quand on est une femme riche, la cinquantaine passée et qu’on s’ennuie dans son pays du Nord ? La compagnie de jeunes hommes offrant leurs charmes peut être agréable sur fond de misère et de violence meurtrière qu’on refuse de voir. Désir et jalousie entre femmes mûres qui cherchent un peu de bonheur et de paix du corps sont au menu auprès du jeune Legba, personnage beau et énigmatique. Il aura une fin tragique comme pour compléter l’énigme de sa vie. Ce film ne met pas seulement en scène le cas d’Haïti. Le paradis des femmes riches et esseulées s’étend aussi, comme on peut le constater, sur les côtes africaines.
Tsotsi (2005) de Gavin Hood (Afrique du Sud), hors compétition. Ce film est visible de par le monde avec beaucoup de succès. Il a eu l’Oscar du meilleur film étranger en 2006. Il traite aussi de la violence, pouvait-il en être autrement ? Mais tout se passe comme si le hasard avait son mot à dire. En volant une voiture, après avoir blessé la propriétaire, Tsotsi, membre d’un gang, pouvait-il imaginer que sa vie était en train de basculer ? Dans la voiture, il y a un bébé. Que va-t-il pouvoir en faire ? C’est le début de l’introspection, de la descente aux enfers. Comment il s’est retrouvé enfant abandonné, comment la violence a commencé, tout cela lui revient. Prendre soin d’un bébé est un élément perturbateur qui brise en lui l’instinct d’agressivité. Pour la première fois de sa vie, il va faire attention à sa voisine, une jeune veuve qui a, elle aussi, un bébé. Il va lui demander de nourrir cet autre bébé qui lui appartient. Entre eux quelques paroles naissent et s’égarent, sur fond de peur, quelque chose comme les balbutiements d’une relation intenable. Il décide de rendre le bébé à ses parents mais la police veille au grain
La beauté des images est à la hauteur des moyens dont le film a dû bénéficier, il faut le supposer.
De temps en temps il y a quelques ratés. Dimanche après-midi, les films programmés au CENASA ont mis du temps à se faire voir. Défaillance technique. Comme ce mardi matin où le public venu nombreux au Neerwaya à la séance de 8h n’a pu voir Le sourire du serpent (2004) de Mama Keïta (Guinée). On peut imaginer la déception du cinéaste dont le film avait déjà été classé hors compétition pour une question de format. Ici aussi le matériel ne permettait pas de visionner le film
Le public en a profité pour aller ailleurs mais trop tard pour rattraper la séance matinale au ciné Burkina. J’ai fait escale à la galerie marchande organisée pour l’occasion. À mi-chemin entre les locaux du Fespaco, le Centre Culturel Georges Méliès et le ciné Neerwaya, dans ce marché à ciel ouvert, on trouve tout ce qui peut être produit par la main et par l’esprit. Des gadgets hétéroclites au prêt-à-porter local, en passant par la pharmacopée traditionnelle, les djembés, les petits mortiers et les écuelles en bois, sans oublier les produits de l’industrie agroalimentaire locale. Il y a peu de monde ce mardi mais quand je me replonge dans cette ambiance trois jours plus tard, je suis accueillie par un brouhaha incroyable et tout porte à croire que le Fespaco, c’est aussi le commerce et la place du marché. Les festivaliers affluent par ici entre deux débats ou deux séances de cinéma. Et les habitants du pays ne se font pas prier pour y faire y tour.
Ezra (2007) de Newton I. Aduaka (Nigeria) est un film qui mérite d’être vu pour la qualité des images et la manière dont la mémoire et la violence entrent en scène pour suggérer le drame intérieur que vivent les enfants soldats. Il n’y a pas de construction linéaire. Et les flash-back du procès d’Ezra, présidé par une commission « Vérité et réconciliation » (transposée de l’histoire de l’Afrique du Sud à celle de la Sierra Leone), montrent comment ce drame est raconté par bribes, avec ses ruptures et ses non-dits. La vie d’un enfant peut basculer en un jour, en une minute, au moment où il se trouve dans la cour de l’école. Nous sommes en 1992. Et plus jamais rien ne sera comme avant. C’est l’une des vérités de toute guerre. Tranches de vie du personnage d’Ezra arraché à sa vie d’enfant rêveur, parachuté en pleine forêt, devenu enfant soldat par la force des choses. Mais aussi idylle tragiquement interrompue entre Ezra et Black Diamond, fille soldate hors paire, enceinte de lui. Ezra se souvient de tout sauf de l’essentiel : la scène au cours de laquelle il a tué père et mère. Sa sur qui a perdu la parole l’accuse du crime de ses parents. Ezra, ou comment on devient enfant soldat, comment on peut en souffrir, devenir amnésique et passer sa vie dans un hôpital psychiatrique quand on a encore la vie devant soi. Comment le pillage des ressources naturelles (ici le diamant) fait partie de l’économie de la guerre et va de paire avec l’installation de toute rébellion dans la forêt. L’image du chef rebelle est suggérée dans toute sa splendeur, pendant qu’Ezra, enfant soldat, a du mal à recoller les morceaux de sa vie
Un « diamant de sang » vu de l’intérieur, avec émotion, beaucoup de non-dits et de vérité.
Il y a beaucoup d’émotion, ce mardi après-midi au ciné Burkina, pour l’hommage à Henri Duparc (Côte d’Ivoire) qui a quitté les siens et son public le 18 avril 2006. Mais tout porte à croire qu’il n’est pas parti. Il pourrait ne jamais partir. Des Ivoiriens ont fait le déplacement pour la circonstance. Les personnes qui l’ont bien connu, ses compagnons de route représentés par Mahamat Jonhson Traoré, son épouse, ses acteurs, parmi lesquels Fargas Assandé qui a salué la mémoire « d’un père, un homme exceptionnel », tous sont unanimes : c’était un homme pas comme les autres et un cinéaste de conviction, toujours vivant parmi nous. Et aussi un bon vivant. Caramel est un film testament dans lequel l’idée de la mort est omniprésente, ponctuée de chants religieux. Les cantiques sont-ils chantés ici par hasard ? Mais, comme en témoigne Fargas Assandé, peu avant sa mort, il faisait encore des projets et « quelqu’un qui va mourir ne parle pas de projets ».
Henri Duparc reste donc fidèle à quelques acteurs, comme on le constate dans son dernier film, Caramel (2005), et aussi à la comédie de murs mais cette fois-ci sur fond d’une croyance relative à ceux qui meurent sans quitter la terre des vivants. Est-ce un hasard si, de temps à autre, apparaissent en abyme des affiches de ses anciens films ? Laisser des traces dans l’histoire du cinéma. Dans ce film, la vie est un rêve tout comme le cinéma. Le personnage de Fred qui gère une salle de cinéma à l’Ivoire montre à quel point le 7e art n’intéresse plus grand monde. Il multiplie les stratégies pour attirer du public. Mais rien n’y fait. Quand il fait passer un film de l’Inde qui a connu beaucoup de succès en Afrique par le passé, il rencontre une jeune fille pas comme les autres, qui se nomme Caramel. Ils tombent amoureux l’un de l’autre au moment où, Maria, la sur de Fred, s’est donné pour mission de lui trouver une femme. Toutes ses tentatives échouent. Le rire est permis non pas seulement à cause des mots truculents de Maria, mais aussi parce qu’elle transforme sa chambre en chapelle et que la religion, dans ce film, occupe une place non négligeable entourant les personnages à la fois d’inquiétude et d’espérance. Car on se demande quelle est la frontière entre la vie et la mort. Caramel trouve la mort au moment où elle doit honorer un rendez-vous avec Fred. Elle reviendra, portant la robe qu’elle a achetée le jour de sa mort. Seule Maria se méfiera de cette jeune femme pas comme les autres. Fred vivra son rêve avec elle jusqu’à ce qu’elle disparaisse
Ce mercredi 28 février, Daratt (2005) de Mahamat- Saleh Haroun (Tchad), déjà primé à Venise, me réconcilie avec le cinéma que je cherche. Les personnages jouent merveilleusement leur rôle. Tout est parlant : les visages, les gestes, le décor
Et les images sont de toute beauté.
Comment avoir la mission de tuer l’assassin de son père, se donner l’occasion et le temps de l’accomplir et, tout compte fait, y renoncer ? Entre-temps, sont entrés en jeu les sentiments, la tension entre deux personnages entiers qui n’ont aucune concession à faire à qui que ce soit, habités par leur passé et qui, par la force des choses, se retrouvent face à face, appelés à vivre ensemble par nécessité, pour un temps. L’attachement ne dit pas son nom. Dans ce film, l’histoire se raconte en nuances, en demi-teintes, intérieurement. Le public est appelé à voir et à comprendre le lent travail de métamorphose des personnages. Atim connaissait l’histoire de Nassara l’assassin de son père. Nassara ignorait tout de ce jeune homme tombé de nulle part, devant sa porte. Imaginait-il qui il pouvait être ? Il nourrit le rêve de pouvoir l’adopter. Mais comment être le fils de l’assassin de son père ? Et comment ne pas être assassin à son tour ? La traversée du désert vers le grand-père aveugle permet de rompre la spirale de la violence.
Je me rappelle encore l’humilité de Ali Bacha Barkaï que j’ai croisé à N’Djamena, il n’y a pas longtemps, et qui, dans ce film, joue avec brio le personnage d’Atim, l’orphelin
Avec Juju Factory (2006) de Balufu Bakupa-Kanyinda (RDC) vu ce jeudi 1er mars, littérature et cinéma lient leur destin ensemble. Oui, ces deux domaines pourraient avoir quelques points en commun : la difficulté de raconter une histoire, donner à voir et à entendre avec beauté et conviction même des horreurs, même l’indicible et les défaillances de la mémoire. Mais chaque art a ses propres ressources et ses propres techniques. Comment raconter une histoire sans céder aux injonctions d’un éditeur qui n’est autre qu’un « Nègre Génétiquement Modifié » ? Ce Nègre croit qu’il est Belge malgré toutes les humiliations qu’on lui fait subir. Il s’est mis dans la tête que pour écrire l’histoire de Matonge il suffit de conseiller à un écrivain nègre de glaner çà et là tous les ingrédients nécessaires à un guide touristique. Mais l’écrivain nommé Kongo Congo vit dans l’urgence de ses propres problèmes, taraudé par l’histoire de son pays dont les traces existent dans les musées mais aussi dans les mémoires. Il va donner libre cours à son histoire personnelle. Il n’écrira pas « Matonge village » mais « Juju factory », un roman au titre énigmatique qui lui permettra d’être libre et enfin visible. On serait tenté de dire que la plume de l’écrivain transparaît en toile de fond, comme l’indique la voix off
Tout compte fait, cette semaine a filé en coup de vent. Quelques conversations çà et là et quelques débats me ravivent la mémoire au sujet des problèmes auxquels sont confrontés les cinéastes qui n’ont pas les moyens d’Hollywood, peu s’en faut et sont obligés, parfois, de faire du porte à porte. Et les bailleurs de fonds imposent leurs lois. Comment vouloir faire du cinéma et être tenu en laisse par des préoccupations financières incontournables ? Sans compter, parfois, les injonctions d’une commission de censure qui aura son mot à dire si le film est jugé « sensible » sur certains points, comme cela s’est passé, semble-t-il, pour Les Saignantes.
Les Saignantes (2005), de Jean-Pierre Bekolo (Cameroun) ou l’une des surprises du Fespaco 2007. Au ciné Burkina, ce vendredi matin, des spectateurs sont sortis de la salle dès les premières scènes d’amour pas comme les autres. Mais ce film parie sur la beauté des corps, les mystères et les profondeurs de la nuit. On aime ou on n’aime pas. Ce film ne laisse pas indifférent. Il bouscule nos convictions et nous étonne. C’est à partir de là que le spectateur en a pour son compte, heureusement. Car il faut compter avec les ruses de Bekolo qui, depuis Quartier Mozart (1992) et Le complot d’Aristote (1996), sait choisir ses titres et son cinéma. Ici aussi, dans Les Saignantes, la réflexion sur ce qu’est le cinéma aujourd’hui, en Afrique, reste en filigrane derrière ces images tournées de nuit. Comment faire un film d’anticipation, un film d’horreur, un film d’amour, un film policier
en un seul film en racontant la même histoire ? Dans un pays africain, en 2025, la corruption est à son comble et le corps des filles est plus que jamais un capital à faire fructifier auprès des hommes politiques, des plus croulants aux plus ignobles. Quand meurt le premier d’entre eux, d’un âge certain, dans les bras de Majolie, celle-ci appelle à la rescousse Chouchou, son amie. Le cadavre sera découpé par un boucher véreux, la tête remise aux filles. Un autre marché tout aussi macabre avec quelqu’un travaillant à la morgue de l’hôpital public leur permettra de trouver un corps inconnu à coller à la tête saignante. La veillée funèbre sera l’occasion pour les filles de séduire le ministre d’État. Pendant ce temps, la police, à la recherche des filles n’y verra que du feu, car il faut ajouter à cette ambiance délirante le pouvoir protecteur des mères organisées en société secrète
Une autre manière de filmer nos angoisses d’aujourd’hui et de demain, dans un continent dominé par les forces de l’ombre. Ce titre énigmatique rappelle étrangement celui d’une tragédie.
C’est la course contre la montre. Les films que j’ai pu voir montrent à quel point la violence a tous les droits, comme dans Teranga blues (2006) de Moussa Sène Absa (Sénégal) ou L’ombre de Liberty (2005) de Imunga Ivanga (Gabon) et bien d’autres encore. L’Afrique de la violence reste accrochée à nos angoisses. Par ailleurs, un documentaire de 26 mn a attiré aussi mon attention : Mieux vaut mal vivre que mourir (2006), de Justine Bitagoye et Gaudiose Nininahazwe (Burundi) ou de la vie quotidienne sur un dépotoir. Des bébés aux vieilles femmes en passant par les jeunes qui en font leur royaume et y gagnent leur vie, ce lieu de survie ressemble étrangement à ceux que l’on trouve dans toutes les grandes villes africaines. Là où les plus pauvres vivent des déchets des plus riches. Un bébé assis sur un dépotoir. La caméra montre les pieds, les mains, le visage. Et l’orange pourrie et les asticots. Une survie pas comme les autres. Et pourtant si fréquente
L’Afrique c’est aussi cela, à côté des belles voitures et des villas luxueuses et des beaux décors où d’autres types d’atrocités sont à l’uvre. Quelles images de l’Afrique à filmer et comment filmer ?
Comme on le constate, le cinéma d’Afrique n’est pas encore sorti de l’auberge de ses propres contradictions. S’il y a des pays comme l’Afrique du Sud, qui, depuis la fin de l’Apartheid (et surtout depuis 1997 date de la création du NFVF- National Film and Video Foundation) offre quelques opportunités aux cinéastes de pouvoir faire des films (quels films ? et pour quel public ?), de nombreux pays sont encore inexistants, d’autres stagnent ou reculent, s’intéressant peu à ce domaine. Les pays ne font pas du cinéma. De nombreux pays manquent de grands rêves, les pieds trempés dans la boue des urgences. Les cinéastes sont des individualités qui ont le droit de choisir leurs rêves mais à quel prix ? Car ces individualités sont aux prises avec de grosses machines. Et comment séduire un public réticent en sortant des sentiers battus du conflit « tradition et modernité » ? Comme si l’Afrique était condamnée à faire du surplace en ce lieu pendant que les enjeux sont ailleurs ! Rêver, c’est voir loin et demain, sortir de la mêlée du passé qui nous colle à la peau, avoir une idée du futur. Si les cinéastes ont envie de vivre dans l’air du temps, en passant par exemple au numérique, là aussi la bataille n’est pas gagnée d’avance. Alors, comme je l’ai entendu dans une conversation « chacun continue de pactiser avec le diable en espérant pouvoir sauver sa peau » !
Ce soir, les prix ont été remis aux lauréats, au Stade du 4 août. Sans surprise, Ezra a remporté l’Étalon d’or de Yennenga, la plus haute distinction du Fespaco. L’Étalon d’argent a été attribué à Jean-Pierre Bekolo pour Les Saignantes et l’Étalon de bronze à Mahamat Saleh Haroun pour Daratt qui a reçu par ailleurs le prix de la meilleure image et le prix de l’Union Européenne. Le prix RFI du public a été attribué à Il va pleuvoir sur Conakry de Cheick Fantamady Camara. La liste est longue.
J’aurais donné, quant à moi, la palme de l’acteur le plus vu à l’écran au cours de ce Fespaco 2007 à Emile Abossolo M’Bo incarnant le député nationaliste dans Africa paradis, Rufus le chef rebelle dans Ezra, l’huissier dans Juju factory, le ministre d’État dans Les Saignantes
Et le trophée du meilleur compositeur de musique de film à Wasis Diop.
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