C’est devenu un fait dans de nombreux festivals, les plus belles propositions de cinéma se retrouvent dans la compétition des courts-métrages. Libres, fluides, des plans inventifs et non des images suffocantes, une colère conséquente mais retranscrite avec apaisement et surtout des idées cinématographiques qui ne dégagent aucun amateurisme, ces courts fleurissaient du Cameroun, du Maroc, d’Algérie, de Tunisie et du Sénégal et caressaient une vitalité extraordinairement jouissive. Jamais dans le pathos, de Yanis Koussim à Lionel Meta en passant par Dyana Gaye et Meriem Riveill, ces nouveaux visages plantent un bel étendard dans la maison cinéma et confirment en quelques minutes qu’il faudra absolument compter sur eux pour les prochaines années.
Sur les 13 films en compétition, plusieurs lignes directrices pouvaient être extraites de ce florilège filmique. La plus importante restait cette possibilité infime de sentir ou de tisser quelques libertés morales, religieuses et sociologiques. Cette envie délibérée de dépoussiérer les codes humains ou la bêtise ambiante que pouvaient susciter les tolérances de chacun(e)s, se matérialisait dans la moitié des films en compétition. Entre la fuite à l’étranger dans Boomerang du marocain Sawad Rhalib, la femme bafouée et violentée dans Khouya de l’algérien Yanis Koussim, l’impossible amour entre un paraplégique et sa bien-aimée dans La Marche du crabe du franco-marocain Hafid Aboulahyane, les meurtrissures de la peau qui réveillent la mémoire dans le très beau Tabou de la tunisienne Meriem Riveill ou bien la musicalité transgressive de la sénégalaise Dyana Gaye dans son rafraîchissant Transport en commun, c’est tout un pan d’un cinéma que l’on (re)découvre, celui qui lutte contre les discriminations afin de reprendre le souffle d’une liberté factuelle.
Sans réellement conjuguer discours politique et envolées lyriques, sans convoquer les trames biscornues de la tragédie, quelques noms réussissent à puiser dans le langage cinématographique en étudiant et morcelant la durée. Le temps devient un vecteur incommensurable de la mise en scène, ce qui permet une belle sacralisation des gestes et regards. Injustement écarté du palmarès, Khouya, à cet effet, calque sa beauté dans l’instantanéité du présent, renforçant la puissance de son message, lui redonnant ses lettres de noblesse. Koussim a saisi que la violence doit être montrée frontalement mais qu’il fallait l’équilibrer par des pauses narratives. La sentence est redoutable car cette frayeur dissipée amenuise considérablement le lent processus de destruction.
Tout aussi injustement oublié, La Métaphore du Manioc épouse la thématique du ridicule dans notre société (tout comme dans Les Sabres et Parce que j’ai faim des Burkinabés Cédric Ido et Claver Yaméogo). Lionel Meta a peaufiné une pépite kafkaïenne et hilarante. Un chauffeur de taxi emmène une cliente à l’aéroport qui désire se rendre à Denver aux Etats-Unis pour aller rejoindre son mari mais voudrait que le taxi l’emmène jusqu’à Denver… La construction narrative fait songer aux saynètes des Monty Python ou autre Seinfeld, et est teintée de relances verbales qui amplifient le discours grotesque du film. Meta est un malin qui prend le spectateur, le fait basculer pour le remettre sur de beaux rails. Son cinéma est bavard mais cette surenchère des mots définit une jouissance vomitive qui montre toute l’étendue de la situation : une société en perdition qui s’évapore dans des illusions perdues.
Meta n’étant pas le seul à vouloir remettre le Monde à sa place, d’autres tentent – difficilement – d’en questionner l’illogisme ambiant. Même si les intentions de Serge Armel Sawadogo (Bénéré, Burkina Faso), de Nicolas Sawalo Cissé (Blissi N’Diaye ou la visite de la dame, Sénégal) et de Daouda Coulibaly (Tinye So, Mali) sont louables et méritent qu’on s’y penche, il est malheureusement difficile d’y retrouver le souffle du cinéma. Filmés souvent à l’emporte-pièce, teintés de relents philosophiques qui pourraient déréaliser les propos premiers et surtout bricolés comme de vulgaires meubles, ces films plombent finalement l’attention du spectateur qui est en droit de se sentir cloisonné. Cela n’a pas empêché le Jury, de décerner le Poulain de bronze à Tinye So.
Mais c’est aussi dans le palmarès qu’on trouvait la claque du Fespaco : Tabou de la Tunisienne Meriem Riveill. Auréolée du très mérité Poulain d’argent, Riveill comme ses confrères Gérard Désiré N. Amougou (Noces de coton)et Dyana Gaye (Un transport en commun), s’est intéressée aux minutieuses et sensuelles descriptions de toutes les frustrations qui nous ouvrent souvent les yeux. Ces trois films témoignent d’une haute solitude qui relie parfois l’être humain et l’amène à exploser ses sentiments où bien à ne plus se voiler la face tout en criant son amour et sa haine. Dans le roadmovie de Dyana Gaye, ses personnages ne cessent de chanter et danser : quelle que soit l’hilarité ou le ridicule que cela pourrait susciter, l’essentiel est que le ressenti soit transmis. On exorcise ses démons et on les confronte à de subtils rivages amoureux. En cela, Noces de coton tente d’appuyer là où ça fait mal. Dans cette histoire saugrenue d’un déjeuner entre une femme et son mari, physiquement absent, c’est l’esprit de la romance qui est ici convoquée. Les blessures sont invisibles mais refont surface pour mieux apaiser le soupçon de folie qui peut détruire les vivants.
Tabou est dans cette veine. Dès la première séquence, une fenêtre, une jeune et belle femme observe un port qui s’étire sur un horizon romanesque (très belle photographie). Sa peau, ses gestes, ce regard qui se perd dans les méandres d’une mémoire qui se ravive, tout est scrupuleusement dessiné par son amant, se trouvant à l’intérieur de la pièce et la regardant de dos. La séquence est belle et annonce d’emblée une idée de cinéma assez séduisante : le temps qui décortique nos frayeurs d’antan. N’en dévoilons pas l’intrigue mais disons que Tabou réveille une conscience, celle d’un acte violent qui meurtrit le corps. Riveill capte cette souffrance sans tomber dans le graveleux (sublime scène de la douche où la caméra découpe au scalpel le grain de la peau mâte de l’héroïne) et réussit l’exploit de tromper le spectateur volontiers voyeur en le plaçant devant la noirceur absolue. Le plan final, alors que l’écran reste noir, est illuminé de ces quelques mots qui continuent de résonner dans nos esprits : « Souviens-toi« .
C’est cependant l’autre Algérien de la compétition, Abdenour Zahzah, qu’a retenu le jury pour sa première fiction, Garagouz. Auteur de documentaires inégaux (intéressant Frantz Fanon, discutable Sous le soleil, le plomb), critique de cinéma à ses heures perdues et véritable encyclopédie vivante du cinéma maghrébin, Zahzah a toujours promené une certaine nonchalance qui l’éloignait des sempiternels groupes qui pullulent en Algérie. Dans cette histoire de marionnettiste qui, accompagné de son fils, essuie humiliation et absurdité sur la route qui les mène à un spectacle d’enfants, c’est toute l’idée du soldat de la culture qui est façonnée à la pierre. Le cinéma de Zahzah est un monde où la fantaisie est mitraillée par les paroles délicates des âmes égarées. Garagouz traîne inlassablement son ombre d’uvre intelligente qui façonne le regard du spectateur sans toutefois le manipuler. Cette radicalité présente souvent un aspect positif car le public doit faire des concessions pour pénétrer en terrain inconnu. Malheureusement, Zahzah n’approfondit pas cette quête expérimentale et souligne ses intentions par un trop plein d’émotion amené par une musicalité excessive et la redondance narrative. Une déception, certes, mais qui n’obture aucunement les uvres à venir.
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