Fica’98

Regards croisés sur le racisme

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Initiée par l’actrice ivoirienne Hanny Tchelley, la première édition du Festival international du court métrage d’Abidjan (Fica’98) a proposé aux cinéphiles, du 15 au 19 décembre 1998, sur l’écran du Centre culturel français, 70 films dont 15 en lice pour le grand prix  » l’Eléphant d’or « . La réalisatrice sud-africaine, Pelesa Katleka-Nkosi, l’a enlevé avec Mamlambo, le premier volet de la série de six épisodes, Africa Dreamings. D’Abidjan, le critique ivoirien de cinéma Jean-Servais Bakyono :

La naissance du premier Festival international du court métrage d’Abidjan (Fica), le 15 décembre 1998, sur les bords de la lagune Ebrié correspond à un vœu maintes fois formulé par les cinéastes du Sud de voir les espaces de rencontres cinématographiques se multiplier sur le continent. En témoigne le nombre de films enregistrés à cette première édition du Fica : 70 films de court métrage. L’initiative de l’actrice ivoirienne Hanny Tchelley, a reçu la bénédiction des autorités politiques de son pays. La présence à l’ouverture solennelle, des ministres, Danièle Boni-Claverie de l’Information, Bernard Zadi Zaourou de la Culture et Norbert Anney Kablan du Tourisme et de l’Artisanat, au-delà du soutien qu’elle traduit, est un signe encourageant. Le ministre de l’Information, mieux que nous, a su l’exprimer :  » Nos publics sont de plus en plus demandeurs de films bien de chez nous, pourvu qu’ils prennent en compte leurs préoccupations. Les salles de cinéma aideraient les courts métrages africains à sortir de leur confidentialité si elles les projetaient en avant-première de leurs programmations « . Ces paroles soufflent tel un baume revigorant sur les réalisateurs présents. Un sourire s’installe sur le visage d’Hanny Tchelley soucieuse de faire du Fica un espace qui sert à faire découvrir les créateurs du Sud.
La première édition du Fica prend son envol sur les ailes du rêve avec Mouna ou le rêve d’un artiste réalisé en 1968 par le cinéaste Henri Duparc, lequel révèle Hanny Tchelley, actrice, dans son film-culte Bal poussière primé par différents festivals. Les festivaliers découvrent que trente ans après, l’œuvre de Duparc n’a pris aucune ride. Le portrait de l’artiste marginalisé garde toute sa fraîcheur. Son regard conserve son acuité. Les images en noir et blanc plongent les spectateurs dans la mémoire d’une ville aujourd’hui occidentalisée. Où la situation de l’artiste n’a guère changé, lui qui est toujours perçu comme un  » empêcheur de tourner en rond « , un honni de la société, quand il n’est pas mis à l’index comme un pestiféré. Une semaine durant, les Abidjanais font du Centre culturel français un lieu de rendez-vous pour étancher leur soif d’images du continent et de celles venues d’ailleurs.
Les quinze films en lice pour le grand prix  » Eléphant d’or  » ont été diversement appréciés par les cinéphiles. Le cinéaste tchadien, Mahamat Saleh Haroun, a touché la fibre sensible de nombreux spectateurs avec Un thé au Sahel où un coin de voile est levé sur le comportement d’une certaine jeunesse aux prises avec les interdits édictés par l’Islam qui proscrit la consommation de l’alcool. La transgression involontaire de cet interdit par un vieux musulman lui délie la langue et lui permet de partager ses tourments avec son fils. Une transgression qui s’avère donc salvatrice. Le jeu du vieil homme est tellement crédible que de nombreux spectateurs compatissent à sa douleur.
Dans des accents plus poignants, le cinéaste malien Salif Traoré prolonge la réflexion sur la transgression des codes qui régissent l’équilibre de certaines sociétés traditionnelles en mettant le doigt sur la problématique des castes. Construit sur le mode d’un psychodrame, son récit La Danse du singe met à nu les pratiques des gardiens de cette tradition ancestrale, des initiés jaloux du respect des castes. Ceux-ci foudroient le jeune Nyamanton, personnage incarné par le comédien Idrissa Samaké, ce rebelle qui ose enfreindre cette règle pour convoler en justes noces avec Koudédia, jeune fille de caste interprétée par Fatoumata Coulibaly, une des tête d’affiche du cinéma malien. La mort qui a fauché, il y a six mois, le comédien Idrissa Samaké, avons-nous appris de sources bien informées, est troublante. Quelle leçon en retenir ? Si ce n’est rappeler que plus d’un comédien au Mali est décédé après avoir participé à des films qui abordent certains aspects des traditions ancestrales de ce pays. Le réalisateur Souleymane Cissé en a fait plus d’une fois la douloureuse expérience.
Le conte apparaît dans la plupart des œuvres inscrites en compétition comme un genre de prédilection de plusieurs cinéastes. Le documentariste ivoirien Idriss Diabaté actionne ses ressorts dans sa fable Abidjan des enfants où il en campe une cinquantaine, triés dans toutes les couches de sa société pour qu’ils conjuguent leur imaginaire dans le but de créer Guédé, personnage tapi dans leurs rêves. Ils y parviennent à coup de crayon. Et Guédé s’échappe du papier où il dort pour s’animer dans le  » paradis terrestre du dessin animé « . Le cinéaste mêle documentaire et dessin animé pour dépeindre l’univers de l’enfance déshéritée. A notre sens, le mariage du documentaire et du dessin animé pose plus de problèmes qu’il n’en résout, mais sa tentative d’innovation est intéressante au niveau du contenu.
Dans Mamlambo la réalisatrice sud-africaine Palesa Katleka-Nkosi emprunte à la fable sa magie, sa tendresse, pour tisser une histoire d’amitié entre un jeune enfant noir de la rue et une jeune chinoise que son oncle, proxénète, livre à la prostitution. Le jeu crédible de ce couple  » noir-jaune  » met le doigt sur le racisme, l’esclavage, l’exclusion. Cette histoire émouvante est servie par des images qui cultivent l’allégorie, la métaphore.
Le style alerte, qui porte Le Scorpion du cinéaste tunisien Moez Kamoum a accroché les cinéphiles par ses images amples et lumineuses. Il feuillette une page de l’Andalousie qu’une horde de Mahométans tentent d’islamiser à travers la quête obsessionnelle d’un historien qui s’ingénie à élucider l’énigme du fort  » Le scorpion « .
Le réalisateur mauritanien, Abderrahamane Sissako, signe avec Sabriya, adaptation audacieuse d’une nouvelle, un poème à l’écriture sobre et dépouillée. Son récit s’écoule au rythme de la musique lancinante du vent. Il tisse, avec une lumière aux éclats dorés, un récit pétri de symboles. L’utilisation d’un serpent lové dans la naissance du sein de l’héroïne de son récit pour suggérer un commerce charnel avec son soupirant résume la subtilité de son écriture cinématographique. L’idylle qui naît entre ces deux protagonistes n’occulte pas l’enfermement et l’exclusion caractéristiques du mode de vie de cette communauté d’hommes en situation.
Les atrocités et l’hypocrisie commises au nom de l’amour et de la religion structurent le récit tragique ficelé par le cinéaste nigérian Newton I. Aduaka dans On the Edge, élaboré en une longue séance d’exorcisme où un narrateur nous décrit dans des accents poignants la descente aux enfers d’une jeune africaine prostituée et droguée que son compagnon tente de réhabiliter. Le récit alterne images en noir et blanc et en couleur pour nous plonger dans deux univers, la prostitution et la drogue. Le film s’ordonne ainsi en un long voyage dans la sombre nuit de l’âme. Le personnage de la prostituée trouve en la comédienne Susan Warren une interprète au jeu convaincant.
Etudiante à la Femis à Paris, l’Ivoirienne Isabelle Boni-Claverie négocie une entrée remarquable avec son tout premier film Le Génie d’Abou où, en dix minutes, elle convainc qu’elle est à bonne école. Maîtrisé de bout en bout, tant dans son écriture, dans sa direction d’acteurs que dans la lumière et les décors, son film opère une rupture thématique et esthétique. Sa démarche est novatrice, au sens où elle jette un regard inversé sur l’aliénation culturelle en proposant une autre lecture. Aussi avons-nous reçu son récit comme une métaphore de l’aliénation culturelle.
Dans cette tentative de renouvellement thématique et esthétique s’inscrit la démarche du réalisateur béninois Hubert Koundé, avec Menhir – c’est citer où est relatée la tragique aventure d’un aveugle africain. Campé par le comédien camerounais, Joseph Momo, ce vieil africain pétri de sagesse, doublé d’un artiste, est victime de la violence aveugle de colleurs d’affiche. Dans ce premier film, Hubert Koundé, dont le talent de comédien a été révélé dans La Haine de Mathieu Kassowitz, décrit de l’intérieur le racisme propagé par les adeptes de Menhir, l’autre nom du leader du FN. La métaphore et l’allégorie font bon ménage pour dénoncer la haine aveugle de l’autre.
Le cinéaste congolais Joseph Kumbela plante sa caméra à Pékin pour examiner le racisme jaune-noir dans L’étranger venu d’Afrique (Feizhou Laowai). Il y sculpte avec la lumière vive du soleil les conflits provoqués par la romance entre un jeune étudiant noir et une jeune chinoise.
Le racisme se détache, dans la plupart des films visionnés pendant cette première édition du Fica, comme une thématique majeure. Cette convergence des thématiques exprime sinon traduit une des principales préoccupations des cinéastes. Cette première édition du Fica a permis aux cinéphiles de découvrir, à travers le choix des films en compétition, une constante thématique, le racisme traité avec une diversité de style, mais aussi des œuvres annonçant des écritures avant-gardistes, comme On the Edge de Newton I. Aduaka et Le génie d’Abou d’Isabelle Boni-Claverie. Les autres films innovent en décortiquant de façon sereine la société contemporaine africaine. Le palmarès proclamé, le 19 décembre, à la clôture du Fica’98, reflète les qualités à la fois techniques et esthétiques des œuvres primées. La prochaine édition du Fica est prévue du 12 au 16 décembre 2000.

Palmarès
.Grand prix Eléphant d’or : Mamlambo de la Sud-africaine Pelesa Katleka-Nkosi, 1 million F Cfa, 1 trophée ;
.Prix Djibril Diop Mambety de la créativité : Sabriya du Mauritanien, Abderrahmane Sissako, 500.000 F Cfa, 1 trophée ;
. Prix de l’Agence de la francophonie : Feizhou Laowai (L’étranger venu d’Afrique) du Congolais Joseph Kumbela, 1 million F Cfa ;
. Prix de l’Union européenne des droits de l’homme : Feizhou Laowai (L’étranger venu d’Afrique) du Congolais Joseph Kumbela, 1 million F Cfa ;
. Prix Gideppe, éditeur Jeune Afrique Economie : Menhir – c’est citer du Béninois Hubert Koundé, 1 million F Cfa ;
. Prix de la ville d’Abidjan : Menhir – c’est citer du Béninois Hubert Koundé, 500.000 F Cfa (Le cinéaste, séance tenante, offre l’intégralité de l’enveloppe au Comité national de lutte contre le sida en Côte d’Ivoire).
Mentions spéciales du Jury :
. On the Edge du Nigérian Newton I. Aduaka ;
. Le Génie d’Abou de l’Ivoirienne Isabelle Boni-Claverie. ///Article N° : 679


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