Fleur du désert est un film événement porté par une cause et une personnalité : la lutte contre l’excision menée depuis plus de dix ans par l’ex-employée de McDo, immigrée somalienne devenue mannequin vedette, Waris Dirie. Son autobiographie, également intitulée Desert Flower, qui fut un bestseller en 1999, ne manquera pas de retrouver les bacs des libraires à la sortie du film.
La réalisatrice Sherry Horman est fidèle au montage non linéaire du roman qui présente les moments clés de la vie de Waris en parallèle à sa carrière de mannequin, alors que chaque pas vers la réussite la renvoie aux raisons qui l’ont poussée à quitter sa famille. Les scènes de traversée du désert sont éloquentes et la survie de Waris est un véritable miracle de persévérance contre la fatigue et la soif d’abord, puis les attaques des hommes sur la route, l’exploitation économique, la faim et le froid en Angleterre, et enfin la méfiance des services de l’immigration suite à son mariage blanc. Tout comme le livre, le film ne se veut pas une condamnation des politiques d’immigration européennes et de l’exploitation des nouveaux arrivants, mais avant tout de la pratique de l’excision qui au fur et à mesure du film, prend sa place centrale à travers des scènes chargées d’émotion.
Waris ne condamne jamais ni son père qui organisa le mariage forcé dont elle s’enfuit à l’âge de treize ans, ni sa grand-mère qui ne pourra la garder sous son aile faute de moyens, ni sa tante qui l’exploita à son service, ni surtout sa mère qui la confia à la vieille femme préposée aux excisions. Waris Dirie condamne en voix-off la pratique ancestrale, la tradition aveugle, plutôt que ceux et celles qui la pratiquent faute d’alternative, obligés par la communauté silencieuse et puissante. On ne peut cependant pas dire que le film réussisse tout à fait le même pari, car à l’évidence, la plupart des spectateurs quitteront la salle effarés des pratiques barbares qui se pratiquent encore dans de trop nombreux pays sur la grande majorité des femmes.
Cet échec est peut-être imputable à ce qui sera par ailleurs interprété comme les réussites du film, que l’on retrouve dans tant d’oeuvres sur l’Afrique produites par les pays occidentaux : l’ajout de personnages blancs drôles et attachants, interprétés par des acteurs et actrices de talent dont le rôle est de « sauver » les personnages africains au lieu de les laisser maîtres de leur destin, dans l’action et la solidarité. Ainsi, le rôle de « découverte » de Waris mannequin par le photographe anglais Terry Donaldson est exagéré, conformément à la légende reproduite dans les magazines à l’époque à propos du photographe Terence Donovan, que Waris dément dans son livre : elle voulait être mannequin, y a été poussée par son entourage qui avait reconnu son exceptionnelle beauté, et sa rencontre avec Donovan a été orchestrée par des professionnels. Si toute adaptation cinématographique opère nécessairement à ce genre de raccourcis, ils peuvent avoir un impact notable. C’est le cas de l’ajout du personnage joué par Sally Hawkins, véritable pilier narratif du film, dont le rôle est décuplé et transformé par rapport au livre : Halwu dans le livre devient Marylin dans le film (prénom d’un personnage mineur dans le livre), jeune danseuse anglaise vendeuse de vêtements, d’origine modeste mais aucunement somalienne, contrairement à son inspiration. Les spectateurs, habitués à cette formule, accepteront d’ailleurs une amitié relativement improbable dans un contexte qui l’est encore plus : comment imaginer une jeune Somalienne à ce point coupée de ses compatriotes alors qu’elle ne parle pas un mot d’anglais ? Comme il se doit, le personnage occidental contraste en tout point avec le personnage principal, devenant néanmoins, et ce de façon très convaincante, sa confidente et amie, davantage encore que ne l’était son homologue somalienne dans le livre. Elle pourra alors découvrir avec les spectateurs les horreurs de l’excision, initier Waris aux bienfaits de la médecine britannique gratuite, et la pousser dans sa carrière de mannequin en lui apprenant à marcher, à provoquer, à séduire comme une Anglaise. De con côté, Marylin et les spectateurs apprendront bien moins de la culture des nomades du désert somalien que les lecteurs du livre, et surtout de la pratique de l’excision acceptée par les mères et leurs filles. En effet, d’après son autobiographie, Waris n’était pas bébé lorsque l’opération a eu lieu, détail modifié dans le film sans doute pour susciter une plus grande compassion, occultant cependant une réflexion glaçante sur la manipulation des jeunes filles et le rapport complexe a une mutilation qui a été voulue, même si les conséquences en étaient ignorées. Ces simplifications sont certainement efficaces du point de vue de la réception émotionnelle du film en Occident. La curiosité des spectateurs en sera peut-être piquée, libre à eux de s’engouffrer dans l’ouverture qu’offre le film par la lecture d’un livre tout aussi captivant.
Tout comme le livre, Fleur du désert est un outil précieux de mobilisation du grand public, porteur d’une cause qui sera, pour beaucoup de femmes, celle du 21e siècle, à travers le destin exceptionnel d’une self-made woman comme on en voit trop peu porté à l’écran.
Sortie en salles : 10 mars 2010///Article N° : 9301