Présenté en ouverture de la Semaine de la Critique au 67ème Festival de Cannes de mai 2014, le deuxième long métrage de Djinn Carrénard, cette fois cosigné par Salomé Blechmans pour la direction artistique, est un film inconfortable et puissant, profondément contemporain et dérangeant, qui a à la fois agacé et marqué les festivaliers. (cf. [article n°12250]) Sa sortie est programmée pour le 3 septembre 2014 dans les salles françaises. Lire en complément de cet entretien notre critique du film ([article n°12259]).
Après Donoma il y a trois ans, comment s’est passée cette nouvelle production ? Tu avais annoncé vouloir faire du cinéma de manière plus classique, plus posée, moins guérilla que Donoma et on a appris que ce nouveau tournage a été interrompu pour redémarrer tout de suite après.
En fait, j’ai commencé le tournage et je me suis rendu compte que le film allait dans une direction qui ne me plaisait pas. Je ne voulais pas trop m’éloigner du style de Donoma. On a donc tout arrêté. Mais nos partenaires, Arte, Canal plus et le CNC ont joué le jeu. J’ai pu récupérer les droits du film et faire le film comme je le voulais.
Ça n’a pas été un problème avec tes partenaires ?
Non, on est tous adultes, on arrive à s’entendre !
Les productions ressemblent à des histoires d’amour
Tout à fait, avec ruptures et coups de foudre.
Le premier essai avant l’interruption a duré combien de temps ?
Trois jours, ça a été très rapide.
Après, tu es retourné au cinéma guérilla, avec de nouvelles personnes.
Oui, on a cherché de nouveaux comédiens principaux, on a agrandi un peu le groupe. Ça a permis de travailler avec de nouvelles personnes.
On retrouve la patte Donoma dans ce nouveau film, mais avec un récit plus clairement articulé.
Oui, avec Donoma, je voulais accrocher les gens. Donc le rythme du film était fait pour ça, il y avait beaucoup d’histoires différentes, de rebondissements. Avec FLA (faire : l’amour) j’avais envie de raconter une histoire, de montrer qui j’étais vraiment en tant que cinéaste, quitte à leur déplaire.
Ce nouveau film traite aussi de l’amour, comme Donoma. C’est un sujet qui te tient à coeur !
Oui, c’est LE sujet. Mais dans FLA, j’approfondis la motivation des personnages, contrairement à Donoma, où les histoires tenaient en trois scènes.
Il est frappant de constater que dans Donoma comme dans FLA, les difficultés inhérentes à la couleur de peau, la place dans la société ne sont pas du tout traitées.
Effectivement, mais dans les deux films les personnages sont mis à nu. Et dans ces conditions, tout le monde se retrouve sur un pied d’égalité. La tension sociale reste la toile de fond, plus encore dans Donoma, avec la scène de l’assistante sociale. Mais c’est vrai que la couleur de peau n’est pas du tout mentionnée.
C’est un choix conscient ?
Pas vraiment. Je suis né en Haïti, j’ai été élevé par un beau-père qui vient du Limousin. Alors quand je trouve l’acteur qui convient pour un rôle, peu importe sa couleur de peau, je le lui donne.
Et comment trouves-tu tes acteurs ? Comment cela se passe-t-il ?
On fait des ateliers de comédie. Je rassemble tout le monde, les acteurs secondaires et les principaux. Ça me permet de bien connaître les comédiens. Je leur fais essayer plusieurs rôles. Et on a parfois des surprises. Quelqu’un que l’on voyait pour l’un se trouve être parfait pour un autre. Pour ce film, on a fait un mois d’atelier avant de choisir les comédiens.
Et pourquoi employer le mot atelier plus que casting ?
Parce que moi aussi je progresse pendant ces ateliers, j’apprends beaucoup. Et je leur fais aussi découvrir ma façon de diriger. Tout le monde évolue durant cette période.
A la différence de Donoma, dans FLA, vous aviez un budget, des contrats clairs, des cachets. Tout n’était pas lié au succès potentiel du film.
Exactement, c’était plus clair que pour Donoma. Les rapports en étaient simplifiés. On discutait et soit les cachets rentraient dans notre budget, soit non. Tout simplement.
Parlons de la musique maintenant : elle est importante dans le film. As-tu participé à la composition ?
Non, j’ai demandé à l’artiste avec qui je travaille, Frank Villabella, de m’envoyer ce sur quoi il travaillait. J’ai reçu son travail et je l’ai intégré au film au gré de la production.
Il s’est basé sur des images du film pour travailler ?
Non, je compte sur le hasard et la créativité pour créer une rencontre artistique.
Et comment gères-tu la direction des comédiens ? Tu les laisses développer leur propre gestuelle et leurs propres dialogues en suivant une trame donnée ?
Ça se passe beaucoup en évoluant dans les lieux de tournages. On a passé deux mois dans la maison dans laquelle on a tourné, avec peu de moyens techniques. Donc peu à peu, ils trouvent leurs marques et leurs habitudes dans ce lieu. Ils passent aussi beaucoup de temps ensemble avant de jouer ensemble. Donc au final, ce que l’on voit à l’écran est presque plus proche de la réalité que du jeu d’acteur.
C’est un peu le même fonctionnement que l’Actor’s Studio, ils vivent avec leur rôle.
C’est ça. On a passé deux mois à Perpignan dans un village vacances, et même les jours sans tournage, on se voyait, pour faire des ateliers ou pour travailler sur des scènes qui ne sont pas nécessairement dans le film.
Tes personnages masculins ne sont pas des cadeaux. Peux-tu nous en parler un peu ?
Je ne veux pas faire du cinéma partisan, du cinéma subjectif. Étant donné que je n’ai pas de producteur, j’aurai pu faire ce que je voulais. Comme donner raison à l’artiste dans mon film, alors que quelque part, là, c’est le producteur qui a raison. J’avais la possibilité de rendre le producteur détestable, mais au final, ça n’a pas grand intérêt. Si je suis partisan dans mes films, je ne m’amuse pas.
Les deux rôles féminins principaux sont des femmes fortes, avec beaucoup de caractère, on est rarement dans la douceur. Ce film, c’est un peu 2h45 de brutalité !
J’ai du mal à imaginer le calme sans penser à la tempête qui l’a précédée, c’est ça que l’on retrouve dans mes films. On découvre les gens quand ils sont en situation de conflit, ils n’ont plus rien à voir avec la personne que l’on connaît.
C’est vrai que ton héros appelle un peu cela. Il aspire à devenir responsable, mais il ne le devient jamais vraiment.
Voilà, c’est un des vrais drames de notre génération. Chez les hommes, quand on parle de la crise de la quarantaine, ça signifie une remise en question permanente de leur vie, de ce qui les entoure, le doute permanent. Et à trop douter, on n’avance pas. Il y a des moments de la vie qui sont les bons pour prendre des décisions définitives et ne plus se retourner dessus.
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