Avec une édition exceptionnelle pour l’Afrique noire qui revient en compétition officielle après 13 ans d’absence, il fallait un timing serré pour suivre tout ce qui nous tient à cur, des multiples projections aux rencontres professionnelles. Nous publions en liens une série de critiques et d’entretiens et ci-dessous une réflexion globale sur cette 63ème édition du festival de Cannes autour des fausses frontières entre art et marché.
38 000 euros : c’est le prix de la nouvelle suite grand luxe du Majestic, le palace le plus proche du Palais des festivals, les autres étant le Carlton et le Martinez. Ce n’est pas le prix au mois ou à la semaine, c’est le prix à la nuit. Bon, cela comporte 650 m2 sur le toit, un home-cinéma, une salle de fitness et une piscine privée
Hors-la-loi avait un devis initial de 20,5 millions d’euros. 1 an et demi dans la suite du Majestic. Egalement en compétition officielle et qui a obtenu le prix du jury, Un homme qui crie s’est fait avec dix fois moins, 1 mois et demi sur le toit du Majestic. Présenté en ouverture à la sélection Acid, Donoma n’avait aucun budget du tout. Même pas l’auberge de jeunesse.
Dans un entretien avec Samuel Blumenfeld (Le Monde du 15 mai 2010), le cinéaste chinois Wang Xiaoshuai, dont le film Chongqing Blues était en compétition officielle, déclarait : « Pour un réalisateur comme moi, affronter le marché se révèle plus cruel que la censure. Il est toujours possible de polémiquer et d’argumenter avec un censeur. Il est en revanche impossible de discuter avec le marché. »
Dans un autre entretien du Monde (avec Claudine Mulard dans l’édition du 14 mai), Ridley Scott, dont Robin des bois faisait l’ouverture à Cannes mais qui n’avait pas fait le déplacement, indiquait : « Je n’ai jamais particulièrement cherché à aller au festival de Cannes, qui se veut le rendez-vous incontournable du cinéma et de l’art, par opposition au commerce. C’est idiot de voir le cinéma uniquement comme un art, car si les films ne se vendent pas, vous n’avez plus de cinéma ».
Quand à Jean-Luc Godard, 80 ans, également absent de Cannes pour présenter Film socialisme (qui rappelle en passant combien l’Europe a laissé tomber l’Afrique), il avait écrit à son distributeur : « Suite à des problèmes de type grec, je ne pourrai être votre obligé à Cannes. Avec le Festival, j’irai jusqu’à la mort, mais je ne ferai pas un pas de plus ».
Cela n’est pas sans me rappeler ce que disait Djibril Diop Mambety quand on lui demandait s’il avait lu les critiques de Hyènes, en sélection officielle à Cannes en 1992. Il racontait l’histoire d’un condamné qui reçoit un télégramme juste avant d’être guillotiné et qui dit : « Mettez-le dans le panier, je le lirai à tête reposée. »
Le monde du cinéma / le cinéma du monde : derrière les paillettes cannoises mais aussi les rencontres professionnelles et bien sûr les films eux-mêmes, se jouent ces enjeux tant esthétiques (la place du spectateur) qu’économiques (l’assujettissement aux lois du marché mais aussi le désir du spectateur) que l’on oppose si volontiers en niant leur profonde imbrication. Voix du cinéma dans les médias, la critique (4000 journalistes présents à Cannes) est là pour éclairer cette relation entre art et consommation. Opposition ? D’après Ridley Scott, oui. D’après moi, non.
La Semaine de la Critique a organisé conjointement avec le Festival une projection de Women are heroes, de JR, un photographe de 26 ans qui présente là son premier film de cinéma. Le film entremêle trois concepts. 1- Des interviews frontaux avec des femmes de différents continents mettant en relief le côté héroïque de leur vie. 2- Un aperçu de leur environnement – en général favelas ou bidonvilles – en time lapse, un procédé de photos en rafale qui donne au cinéma un résultat saccadé et accéléré. 3- Des plans sur les installations de JR dans ces environnements de pauvreté : d’immenses portraits noir et blanc de ces femmes collés sur des façades ou des trains entiers, ou posés sur des toits ou des terrains. Ce sont les mêmes femmes interviewées à qui l’on a souvent demandé de faire des grimaces. Cette transposition du spectaculaire de la photo vers le cinéma, ce retravail radical du sujet qui va jusqu’à en exposer en dimensions surréelles la grimace, est présenté comme de l’art. Coût du film : 1,3 million d’euros. Un peu plus d’un mois de toit de Majestic.
Confrontation ? L’artiste JR s’immisce dans l’extrême pauvreté, y réalise des installations gigantesques pour exposer leur image. Pourquoi là, dans les bidonvilles du Brésil, du Kenya ou du Cambodge ? Parce que les femmes des pays pauvres sont les héros modernes ? Il dit : « pour leur rendre leur dignité ». Pitoyable et scandaleuse erreur ! Ce jeu de gosse de riches est une farce macabre à l’image de l’immoralité du fossé nord-sud. A côté, les cinq films, pourtant très inégaux, de 5xFavela, agora por nos mesmos, réalisés par des jeunes des favelas de Rio et produits par Carlos Diegues, faisaient figure de chefs d’uvre ! Mahamat-Saleh Haroun appelle son film, en référence à Césaire, Un homme qui crie n’est pas un ours qui danse. La réponse est sans ambiguïté. « La faute originelle vient du fait que l’Afrique a d’abord été filmée par les autres », dit Haroun dans notre entretien à propos du film (cf. [article n°9501]). Lui aussi fait de l’art, mais au sens où par son esthétique épurée, il laisse le spectateur maître de sa relation avec ce qu’il voit sur l’écran (cf. notre critique [n°9479]). Ce faisant, il propose un regard sans imposer ce qu’on doit voir. Déplacement de la confrontation : l’enjeu n’est plus seulement ce que rapporte le film, voire même dans quelle proportion il trouve un public, mais ce qu’il fait évoluer dans ce dialogue avec le public. On ne parle plus chiffres, on parle relation, éclairage, catharsis, mobilisation de la pensée critique.
L’impact n’est pas chiffrable. On ne le mesure pourtant qu’en millions de dollars. Recettes internationales au box-office des palmes d’or cannoises de la dernière décennie, en arrondissant les chiffres donnés par Screen : Le Ruban blanc (Haneke, 2009) – 23 M$, Entre les murs (Cantet, 2008) – 30 M$, 4 mois, 3 semaines et 2 jours (Mungiu, 2007) – 9 M$, Le Vent se lève (Loach, 2006) – 25 M$, L’Enfant (Dardenne, 2005) – 6 M$, Farenheit 9/11 (Moore, 2004) – 224 M$, Elephant (Van Sant, 2003) – 10 M$, Le Pianiste (Polanski, 2002) – 120 M$, La Chambre du fils (Moretti, 2001) – 19 M$. Cannes n’est pas forcément le ticket gagnant pour les films primés, mais il permet à des films de niche d’en sortir.
Cette année, le jury présidé par Tim Burton a donné sa palme à un film sublime mais sans doute le plus exigeant de la compétition, Oncle Boonmee peut se souvenir de ses vies antérieures du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, qui n’a trouvé un distributeur français que le dernier jour du festival. Lorsque Boonmee reçoit à l’aube de sa mort la visite de sa femme décédée 14 ans plus tôt, il lui dit qu’il va bientôt la rejoindre. Elle lui répond que « les fantômes ne sont pas attachés aux lieux, mais aux personnes, aux vivants », ce qui déstabilise singulièrement son élan
Fantômes dans la jungle, mythologie, réminiscence, moines et état d’urgence militaire en Thaïlande, le cocktail est surréaliste. Sa fascination tient à son infinie délicatesse mais aussi et surtout à cette altérité fondamentale qui touche pourtant aux interrogations les plus profondes.
Oncle Boonmee est une expérience, la chance d’accéder à une proposition où nos repères éclatent et qui ne nous est pourtant pas étrangère. Cette universalité rigoureusement ancrée dans la singularité d’un imaginaire est la clef de notre appréhension de notre humanité. Beaucoup ont été fascinés par la mystique de Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois, et le jury lui a attribué son Grand prix. Effectivement, le chant et l’austérité se marient bien au suspense et contribuent à la tension et à l’émotion qui portent le film. Ces moines trappistes des montagnes algériennes de Tibhirine hésitent à quitter le monastère devant la poussée islamiste. Leur engagement mystique s’oppose à ceux qui mettent le leur dans le glaive. Dans leur martyre, c’est l’affirmation de l’amour qui triomphe. L’unanimité critique montre à quel point un tel sujet ne dérange plus aujourd’hui, et semble au contraire répondre aux angoisses du temps présent. Personne n’a remis en cause le point de vue adopté par le film, qui reste exclusivement celui de moines qui n’entendent pas se laisser dicter leurs actes par les autorités locales. Cette communauté n’avait pas de mission apostolique et s’abstenait de tout prosélytisme, mais elle faisait suite à une implantation missionnaire datant de l’ère coloniale. Sa présence dans la région de Médéa faisait suite à un changement d’esprit par rapport à la première communauté cistercienne de Staouëli, à 17 kilomètres à l’ouest d’Alger, que l’abbaye d’Aiguebelle avait fondée en 1843 et qui était, elle, très liée au système colonial. En dépit des visites au village ou du fait que frère Christian consulte le Coran, le film préfère mettre l’accent sur l’unité des moines soudés par le lyrisme des chants et du don de soi (qui ramène à l’exemplarité des saints) que sur le dialogue christiano-musulman qui pouvait légitimer le maintien de cette communauté dans le contexte de la guerre civile. Face à l’imbroglio franco-algérien et pour éviter de tomber dans le piège de l’enquête sur l’assassinat des moines et donc de l’instrumentalisation qui entoure leur mort depuis dix ans, Beauvois élève le propos et fait le choix de Dreyer, celui du sublime. Coût du film : 4 millions d’euros. Trois mois et demi de toit de Majestic. Bénéfice désormais assuré.
Rachid Bouchareb, lui, n’a pas eu peur de l’imbroglio franco-algérien ! Hors-la-loi a déclenché une polémique dont le festival est gourmand, au sens où elle rappelle son importance et celle du cinéma (cf. murmures [n°5773], [n°5803] et [n°5843]). Cette polémique a montré combien une certaine droite se recroqueville sur le déni de l’Histoire et le vocabulaire nationaliste par peur de voir grossir l’extrême-droite, jusqu’à ce qu’une manifestation n’égaye les rues de Cannes le 21 mai, le sous-préfet annonçant sa participation et le maire de Cannes UMP se plaçant en tête. Après l’expérience d’Indigènes, Bouchareb savait ce qu’il faisait. Son film a l’honnêteté de restaurer un passé occulté. La polémique sur les massacres de Sétif risque cependant de masquer la pertinence de son regard sur la violence révolutionnaire algérienne répondant à la violence d’Etat française (cf. [ critique n°9500]). Le grand intérêt de son film est en effet de rappeler l’effet de la violence sur celui qui l’exerce comme sur celui qui la subit. Bouchareb ne prétend aucunement concurrencer par ce courageux appel à la mémoire le travail essentiel des historiens (cf. la conférence de presse de l’équipe du film [article n°9498]). Mais on n’a pas fini d’entendre parler de Hors-la-loi, alors même que la relation avec les associations d’anciens combattants rend fort délicate la commémoration en France du cinquantième anniversaire de l’indépendance algérienne en 2012. Les contradictions du discours gouvernemental, soulignées par le rôle tenu dans la polémique cannoise par le secrétaire d’Etat aux anciens combattants Hubert Falco, n’en apparaîtront que plus clairement, continuant de brouiller la relation franco-algérienne et d’empêcher son apaisement.
Comme dans Indigènes et contrairement à ses autres films, Bouchareb a fait le choix de l’académisme pour ratisser large. Faire grand public pour être efficace. Ici non pour faire du fric mais pour contribuer à la restauration de la mémoire. C’est ce que fait Oliver Stone dans Wall Street, l’argent ne dort jamais, présenté hors-compétition. Sa dénonciation des golden boys de la sphère financière est bien plus acerbe que dans son premier opus Wall Street de 1987, seulement voilà. Non seulement il la noie dans la sauce guimauve d’une relation père-fille conforme au thriller affectif obligatoire du film hollywoodien, mais aussi il refait comme en 1987 un western où les traders sont des héros modernes dans un monde qui ne peut s’empêcher de spéculer. Bouchareb lui aussi fait du western, pour reprendre sa propre expression ([article n°9498]) qui tend à prouver que le cinéma de genre irrigue le cinéma d’auteur, et rend la supposée frontière bien poreuse ! Son titre rappelle Les Hors-la-loi de Tewfik Farès (1968) qui traitait effectivement avec tous les codes du western de la lutte contre l’autorité coloniale. Mais alors que Farès utilisait avec ironie ces codes pour magnifier la liberté des « bandits d’honneur », Bouchareb fait des révoltés du FLN de Nanterre de tristes héros que le dévouement à leur cause éloigne de leur humanité. Derrière les oripeaux du film grand public de reconstitution historique, se profile une virulente interrogation de l’utilisation de la violence dans le combat politique, ce qui n’est pas exactement le politiquement correct algérien sur cette période.
Dans un monde où les pays riches défendent mordicus leurs privilèges, le cinéma continue de se mobiliser pour en rappeler les conséquences humaines. Le Belge Olivier Masset-Depasse le fait remarquablement dans Illégal, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, en adoptant entièrement le point de vue de Tania, une femme russe vivant clandestinement en Belgique depuis huit ans et qui finit par être placée dans un centre de rétention, séparée de son fils. On n’oublie pas la tension de ce témoignage accablant sur un univers méconnu qui ne fait appel à la fiction que pour mieux documenter l’inanité des lois en vigueur. La fiction permet ici une épaisseur du personnage et des éléments que le documentaire aurait du mal à capter, comme la déstabilisation humaine de certains gardiens ou policiers.
Combien faudra-t-il de films pour ouvrir enfin nos frontières tant mentales que physiques ? Il y aurait tant de procès à faire. Comme l’avait fait Abderrahmane Sissako dans Bamako, le Suisse Jean-Stéphane Bron (Le Génie helvétique) organise le procès des puissants dans Cleveland contre Wall Street, également présenté à la Quinzaine. La ville de Cleveland avait le 11 janvier 2008 assigné en justice 21 banques jugées responsables des saisies immobilières qui dévastent la ville. Mais les banques empêchant par tous les moyens l’ouverture de la procédure, Bron organise comme Sissako un procès de cinéma, un vrai procès avec les gens concernés, où le dialogue est respecté et les arguments écoutés. C’est tout à fait passionnant, même s’il manque la poésie des magnifiques respirations qu’introduisait Sissako. L’implacable mécanisme de l’exploitation et du mépris des faibles est remarquablement mis en lumière, et la crise des subprimes éclairée du visage même de ceux dont elle ruine la vie. La dignité des victimes est mise en exergue par une figure de résistante citoyenne, Barbara Anderson, qui milite au sein d’une association pour maintenir en état les rues de son quartier livré aux gangs et pour obtenir des banques qu’elles négocient avec les propriétaires. C’est cette dignité, encore plus que les faits, qui rend hallucinante la suffisance des puissants, leur inconscience et leur cynisme. Le fossé humain est atterrant.
La mort, l’Histoire, la crise
Le cinéma s’empare de sujets qui nous concernent tous, le fameux « grand public », mais il le fait de diverses façons. Mahamat-Saleh Haroun concluait la conférence de presse d’Un homme qui crie en disant : « Les films que je fais, c’est tout simplement ramener l’Afrique dans l’humanité ». Quant au cinéaste cambodgien Rithy Panh, il démarrait sa leçon de cinéma au Pavillon des cinémas du monde en disant : « Je n’ai pas de technique ni de leçon, si ce n’est d’approcher un personnage quelque soit son origine en lui laissant sa dignité ! » Et si c’était la que se résolvait la confrontation entre art et marché ? La dignité du sujet, ce n’est ni une histoire de fric ni de consommation. Mais c’est là que s’inscrit la frontière, qui n’est pas celle qu’on place entre cinéma d’auteur et cinéma populaire.
« On film mieux les animaux que les pauvres, et c’est ça qui est terrible ! », disait encore Rithy Panh. « Si les gens sont dans la boue et qu’on est loin à l’abri derrière un zoom, on n’a aucun respect ». Pour sa soirée d’ouverture, la Quinzaine des réalisateurs proposait un film qui, justement, ose mouiller ses bottes : Benda Bilili !, de Renaud Barret et Florent de La Tullaye, une plongée dans les rues de Kinshasa en compagnie d’un étonnant groupe de paraplégiques en chaises roulantes qui font danser les autres. Le film fut, à juste titre, un des événements du festival (cf. critique [n°9503]).
Le film ne craint pas les sous-titres. Rithy Panh a fait en 1990 un remarquable film sur Souleymane Cissé dans la série Cinéastes de notre temps : « il parlait en bambara, que je ne comprends pas, mais c’est important ! Comment osez-vous doubler les films ? Le respect, c’est d’écouter l’autre dans sa langue ! »
C’est un des atouts de Le Secret de Chanda (Life, above all) d’Oliver Schmitz présenté à la sélection officielle Un certain regard. Comme ses précédents films, il casse l’image rassurante que l’Afrique du Sud soigne à travers le mondial de foot pour attirer les investisseurs et les touristes. Mais il n’échappe pas à l’excès inverse que Rithy Panh cernait bien dans sa leçon qui n’en était pas une mais disait quand même bien les choses : « Si on veut toucher tout le monde, on rate le film. On est faiseur, auteur
Plus le sujet est intime, plus il est universel ». Le message appuyé et la pesante esthétique du Secret de Chanda coupent toute adhésion (cf. critique [n°9515]).
Le cinéma rate sa cible dès qu’il se fait donneur de leçons. Les sélectionneurs cannois le savent parfaitement. « Un certain regard » a dans l’ensemble davantage brillé cette année que la compétition, mais dès qu’il s’agit de l’Afrique, le cinéma fait place à cet imaginaire indécrottable qui lui colle à la peau. Afrique des douleurs ou Afrique fantasmée, d’année en année, « Un certain regard » ne convoque le continent que sous ces deux aspects.
La sélection officielle de Haroun et Bouchareb venait il est vrai compenser cette année cette frustration annuelle. Le prix du jury pour Un homme qui crie a confirmé la réception positive du film d’Haroun, exception appréciée d’un cinéma qui épouse le temps de ce qu’il filme mais avec le recul de sa sensibilité. Beaucoup de films rendaient compte des blessures d’un monde souvent tragique, mais réaffirmaient contre la résignation ambiante l’impératif de rêver d’un monde meilleur. Face à cette cupidité si égoïste et suicidaire qu’elle finit par provoquer une crise mondiale, le festival de Cannes n’est pas le sanctuaire de l’art pour l’art tel que le décrit Ridley Scott mais une réponse de cinéma aux réalités du temps présent, dans la pluralité de ses tentatives et la variété de ses moyens. De Bouchareb à Carrénard, il y a tous les volets de l’investissement industriel jusqu’à la portion la plus congrue. L’expérience Donoma est en effet celle d’une énergie partagée entre un fou de cinéma, Djinn Carrénard, et une bande d’acteurs amateurs, amis ou recrutés dans les réseaux sociaux d’internet. Film sans budget, Donoma n’est pas un film sans méthode, et sa réussite est directement liée à cette énergie (cf. critique [n°9527]. Que Carrénard soit de famille haïtienne serait une anecdote s’il ne puisait dans cette origine un pleurer-rire digne d’Henri Lopes (cf. notre entretien avec Djinn Carrénard [n°9526]).
C’est ainsi parce qu’on les enferme dans une opposition inopérante entre art et marché que nombre de films sont frappés du sceau du soupçon, accusés de lâcher leur public « naturel » voire de trahir leurs frères africains pour jouer dans la cour des élites. De nombreux exemples montrent cependant qu’ils peuvent atteindre un public si les diffuseurs ne les boudent pas et si la diffusion est correctement accompagnée.
L’expérience de la sélection Visions sociales (organisée par la CCAS en marge du festival), cette année largement consacrée à l’Afrique, fut à cet égard plus que parlante : ce public qui découvrait les films africains s’est passionné au point d’en redemander.
L’ostracisme des diffuseurs condamne les films à l’invisibilité mais il empêche aussi une mémoire de se développer. Comme le dit le proverbe peul, « l’enfant sans mémoire ne chiera jamais dur » ! Rithy Panh a présenté son centre Bophana qui allie mémoire, formation et création et laissé Gaston Kaboré présenter Imagine qui est dans sa huitième année avec pour souci de conserver les compétences malgré le peu de films tournés en proposant des ateliers de perfectionnement et de formation continue. Un pôle archives audiovisuelles est venu s’y ajouter depuis deux ans, sur le modèle Bophana, avec un serveur dédié de grande capacité.
Fermeture des salles en Afrique, frilosité des distributeurs à l’international, les films d’Afrique ont du mal à se frayer un passage. Voilà des années que les plans de relance de la diffusion sont des ratés. La croisade d’Abderrahmane Sissako pour la réouverture du Soudan de Bamako, et dans la foulée d’autres salles dans les grandes villes africaines, dépendra du bon-vouloir de Xavier Darcos, nouveau chef de CulturesFrance rebaptisée Institut français, d’en poursuivre le soutien. Heureux élu de l’appel à propositions du programme ACPfilms, le projet mobiCiné, présenté par Idmage au Pavillon des cinémas du monde, puise dans l’énergie du secteur informel pour offrir une alternative. Cela faisait longtemps que nous étions plusieurs à le préconiser mais cela ne pouvait venir que du secteur privé. L’idée est d’élargir l’expérience du vidéo-club en franchisant des projectionnistes comme un propriétaire de taxi le fait avec ses chauffeurs : ils sont chargés de quadriller une zone en proposant le même jour chaque semaine en un point précis une projection publique de bonne qualité de films africains à 300 Fcfa l’entrée, le prix moyen d’un vidéo-club. L’un dans l’autre, en lâchant un tiers des recettes pour l’investissement matériel et un autre tiers pour les ayants-droits, il arrive à se faire un revenu de survie. Il sera intéressant de voir quels films seront ainsi diffusés et avec quel succès mais le modèle économique semble tenir la route, d’autant que le choix des films inclura les produits populaires. Cela commence sur Dakar et Bamako et la ville de Dakar, qui en a bien compris l’intérêt, a demandé d’inclure les écoles dans les lieux de projections pour des documentaires et des classiques.
Idmage complète son action par un site de VOD équitable, www.africafilms.tv. C’est la mode, tout le monde lance le sien, ce qui veut dire une âpre concurrence. Tandis que la Francophonie continue de travailler sur son catalogue numérique des images du Sud qui permettra d’accéder aux références audiovisuelles du Sud, le 17 mai a été lancé TV5Monde+cinéma (www.tv5monde.com/cinema) en partenariat avec Universciné pour la France, qui vient concurrencer la Médiathèque des Trois mondes (www.cine3mondes.com) avec une large offre (déjà 200 films, un millier dans un an). D’un coût de 100 000 , la plateforme en géoblocage lui permet d’affiner son offre en jouant sur les territoires et de faire des offres aux hôtels et aux opérateurs d’IPTV un peu partout sur la planète, tout en combinant avec ses achats de films. La chaîne a ainsi préacheté Un homme qui crie pour 50 000 . Même Valerio Truffa et son école de cinéma de Cotonou annonce une webTV avec 4200 programmes en ligne, « Les Lumières du regard », mais rien n’est encore visible.
Un espace francophone est ainsi en train de se chercher à côté de l’African Film Library des Sud-Africains M-Net (www.africanfilmlibrary.com) qui a une bonne longueur d’avance mais n’a pas toujours négocié les droits exclusifs.
On prévoit que l’ensemble africain disposera du haut débit en 2012-2013, ce qui devrait donner l’accès au téléchargement des films. Si la carte bancaire ne progresse que lentement, on imagine des systèmes semblables aux cartes téléphoniques. Des connexions à internet sont ainsi déjà commercialisées par carte prépayée. C’est ainsi tout un marché qui s’ouvre, le téléchargement sur téléphone portable étant l’étape suivante.
Frédéric Mitterrand, ministre français de la Culture et de la Communication, et son homologue sud-africain Lulama Xingwana ont signé le 16 mai à Cannes un accord de coproduction cinématographique qui permettra aux films coproduits entre la France et l’Afrique du Sud d’accéder aux systèmes de soutien des deux pays (cf. murmure [n°5900]). « Cela veut dire que la Réunion est incluse ! », s’est écriée Françoise Kersebet, la dynamique déléguée générale de l’ADCAM lors de sa présentation de la coopération culturelle dans l’Océan Indien au Pavillon des cinémas du monde. L’île étant proche de l’Afrique du Sud, les contacts et projets communs sont constants, notamment avec le bouillonnant Durban Film Festival et sa nouvelle appendice FilmMart, un forum de cofinancement qui a sélectionné 12 projets africains à présenter aux producteurs potentiels (cf. murmure [n°5438]). Au niveau du documentaire de création, une rencontre de coproduction est également prévue au Port, à la Réunion, où des projets sud-africains seront également présentés. Cela rentre dans le développement du projet DocOI, équivalent d’Africadoc pour l’Océan indien, qui allie résidences d’écriture et rencontres de coproduction pour accompagner les projets jusqu’au bout.
Il y a là une fort intéressante ouverture. Pour Africadoc, Cannes 2010 était une première en matière de visibilité des films et des cinéastes. Gentille Menguizani Assih et Elhadj Sani Magori avaient été invités par le Pavillon des cinémas du monde tandis que Mamadou Sellou Diallo l’était par Visions sociales qui organisa un passionnant débat sur l’émergence d’une génération de jeunes documentaristes en Afrique. Leurs films étaient projetés au marché du film. Cannes permet tous types de rencontres professionnelles et de synergies. Belle opportunité pour Sani Magori, Sandrine Bonnaire, parraine du Pavillon cette année avec Rithy Panh, a accepté de jouer dans son prochain film « pour être utile à la visibilité du film mais aussi parce que c’est un vrai réalisateur », a-t-elle déclaré, qualifiant Pour le meilleur et pour l’oignon de « bouleversant, un film proche des gens qui m’apprend et me touche ».
Le même Sani Magori participe activement à un forum annuel du film documentaire au Niger comportant la formation d’une dizaine de débutants, les formateurs ayant suivi le master de l’Université Gaston Berger de St Louis du Sénégal.* Six films issus de ces ateliers ont été sélectionnés pour le Louma de St Louis qui réunit réalisateurs, producteurs, distributeurs et diffuseurs de télévision. La première promotion ne comportant qu’une femme, le ministère nigérien de la femme a exigé de ne prendre que des femmes à la prochaine formation !
C’est cet aspect boule de neige d’émergences et d’initiatives qui frappe mais en dérange aussi certains. Quels reproches fait-on à Africadoc, au-delà du bagout un peu trop enflammé de son initiateur Jean-Marie Barbe ? (1) « Il y a encore des gens qui ont une vision paternaliste : ainsi cette collection qu’on appelle « documentaires africains », des films étiquetés comme s’ils étaient un genre à part entière
», déclarait Haroun dans notre entretien (cf. [n°9501]). Paternalisme ? L’attaque est directe et le mot est fort. Africadoc infantilise-t-il ceux qu’il forme et accompagne ? Pour en avoir le cur net, j’ai réuni quatre réalisateurs de la collection incriminée présents à Cannes pour les laisser répondre, dont on peut lire les dires ici : [article n°9557].
S’il est clair que les réalisateurs formés au master de réalisation documentaire de l’Université Gaston Berger de St Louis du Sénégal initié par Africadoc ne se sentent pas infantilisés, ils se sentent méprisés dans leurs compétences et leur force d’autonomie par ces reproches. Leur réaction était également violente après les propos de Moussa Touré (cf. les commentaires à son entretien avec Melissa Thackway [n°8949]). Lorsqu’il ne frise pas l’injure et la malhonnêteté, ce débat a le mérite d’interroger la part de formatage, c’est-à-dire de transmission voire d’imposition d’imaginaire, dans toute formation mêlant les cultures. Le risque est toujours de projeter sa subjectivité et de modeler celle de l’autre. Dans le contexte historique du rapport France-Afrique, ce débat n’est ni fortuit ni inutile !
Mais attention à la diabolisation : dès qu’il y a contact, il y a à la fois échange et confrontation des cultures, et donc à la fois richesse et ambiguïté. Marcel Mauss parlait à ce sujet de Gift/gift (« don » en anglais / « poison » en allemand). Si la subjectivité du formateur doit être en permanence corrigée, elle ne peut être éliminée. En la matière, la neutralité est illusoire, voire manipulatrice. Rousseau écrivait dans L’Emile : « Il n’y a point d’assujettissement si parfait que celui qui garde l’apparence de la liberté ». Sans cette subjectivité, il n’y aurait pas confrontation et c’est justement cette confrontation qui est dynamique, provoquant les débats, forçant chacun à se situer.
Mais Haroun soulève une autre question, essentielle et complexe : le risque, sous prétexte de les soutenir, d’enfermer des créations dans un genre. On a souvent dit que le cinéma africain (au singulier), jusqu’à l’émergence des formes populaires rendues possibles par le moindre coût des nouvelles technologies, ne développait pas le cinéma de genres mais était considéré comme un genre en soi ! Une démarche culturellement unidirectionnelle risque le ghetto. Cela peut être le cas d’une formation et production documentaire comme cela peut être vrai d’un festival qui se spécialise dans les films d’Afrique pour inverser leur invisibilité.
Le débat est proche de celui des quotas. On voit bien qu’en l’absence de règles, la représentation des « minorités visibles » n’avance pas dans l’espace audiovisuel français, en dehors de quelques alibis. Mais les quotas sont dévalorisants : on est vite soupçonné d’être choisi non pour son talent mais par obligation.
Des actions de visibilité luttent sincèrement contre la marginalisation mais risquent la condescendance et de fixer une représentation de l’Afrique comme un monde à part, cette image que les créateurs ont tant de mal à faire évoluer pour s’inscrire à part entière dans le dialogue artistique planétaire contemporain. La vigilance est de rigueur pour ne pas encourager une culture de la marge, mais l’exercice est difficile, tant les termes du débat sont contradictoires. « Plus l’Afrique est oubliée, plus il faut la ramener au souvenir du monde », me disait Haroun, ce qui pousse à multiplier les initiatives pour accroître la visibilité de ses artistes. Il ajoutait : « On est aujourd’hui dans une guerre des images où les Africains doivent trouver leur place pour imposer une représentation différente de l’Afrique dans le monde. » L’enjeu est bien là et il n’est pas nouveau : s’emparer des caméras pour imposer son propre regard. Mais Haroun ajoutait aussi : « Il faut tendre les bras au monde et refuser ces endroits ethniquement dédiés au cinéma africain, et qui finissent par devenir des ghettos ». C’est là que le bât blesse. Le risque de tout festival de « cinéma africain » est d’isoler et partant d’empêcher la richesse de contacts et confrontations entre créateurs et créations de diverses origines. On retrouve effectivement facilement le même petit monde du « cinéma africain » dans les différents événements et le sentiment de ghetto domine.
Seulement voilà, l’Afrique est culturellement multiple et même au sein d’un festival spécialisé Afrique, ces confrontations existent. Le problème est davantage quelle image de l’Afrique cultive le festival : s’il met cette pluralité en avant ou bien au contraire la vision réductrice d’un continent perçu comme un pays. A chacun d’inventer pour développer cette ouverture et contrecarrer les clichés.
S’il est aujourd’hui encore important de développer en France des espaces spécifiques de visibilité, c’est qu’il faut s’organiser en tant que force de résistance. Les clichés issus de l’imaginaire colonial hiérarchisant les hommes et les cultures continuent de fonder les discriminations à l’uvre et la marginalisation des cultures immigrées. Résister veut dire reprendre la voix quand elle est inaudible, diffuser des images restant invisibles, reposer des questions sous-estimées ou refoulées. On a du mal en France avec les expressions « minoritaires ». (2) Cela tient selon l’historien Pap Ndiaye à l’approche républicaine classique qui ne reconnaît qu’un citoyen abstrait au mépris des particularités ainsi qu’à l’effet de repoussoir de ce qui est perçu comme la « dictature des minorités » aux Etats-Unis. Mais cela tient aussi aux sciences sociales qui ne les ont jamais prises en compte pour se focaliser sur des groupes comme « les ouvriers », « les immigrés », etc. Pourtant, les femmes, les Noirs, les Arabes, les homosexuels, les prostitué(e)s, les usagers de drogue, les détenus ou anciens détenus, etc., sont des groupes dont les individus sont confrontés à une même discrimination et partagent donc une même vulnérabilité. Ce n’est pas forcément une identité commune et ce combat contre la vulnérabilité peut être commun à ceux qui y sont sensibilisés s’associent à la lutte du groupe considéré pour que sa voix soit considérée dans l’espace public et apporte sa part de vitalité et de richesse culturelle à la démocratie. Cela passe donc notamment par la visibilité de ses expressions culturelles, c’est-à-dire la prise en compte de son imaginaire. Etant donné l’impact de la télévision, il est clair qu’un audiovisuel qui n’intègre pas ces expressions « minoritaires » ne représente pas l’ensemble de la société et en propage et perpétue une image réductrice, faussée et dangereuse pour sa cohésion et son avenir. Et comme, malgré les colloques et les débats qui agitent l’espace public, on fait du surplace à ce niveau, un festival de cinéma qui se spécialise sur les cinémas d’Afrique a encore aujourd’hui le rôle de restaurer sur sa sphère géographique et avec les limites de ses moyens une visibilité qui se situe encore comme une résistance et une solidarité.
C’est bien dans cette logique que se situe également le travail de l’équipe bigarrée d’Africultures qui ne cesse de lutter contre les enfermements identitaires et pour la reconnaissance des créations culturelles africaines au sens large comme des expressions contemporaines et non intemporelles, primitives ou passées.
Cette démarche de visibilité et d’équilibrage face aux déficits de communication et de diffusion est chaque année incarnée à Cannes par le Pavillon des cinémas du monde, dont la précédente appellation était « des cinémas du Sud ». Remarquablement organisé et offrant un programme fouillé, il groupe la couverture médiatique de TV5Monde, RFI et France 24 et un espace de rencontres accueillant, géré par CulturesFrance en partenariat avec l’OIF et le Secrétariat ACP (programme ACPfilms financé par le 9eme FED de l’Union européenne). L’OIF en a profité pour annoncer la création du Fonds panafricain pour le cinéma en partenariat avec la Fepaci (cf. murmure [n°5941]). Au-delà des nombreuses présentations et rencontres professionnelles, ainsi qu’un atelier approfondi organisée par ACPfilms sur les questions juridiques, des cinéastes étaient comme chaque année invités.
La Kenyane Wanuri Kahiu présentait deux films. Son long métrage From a Whisper qui retravaille le traumatisme du violent attentat du 7 août 1998 perpétré par Al-Qaida contre l’ambassade américaine de Nairobi, qui avait causé la mort de 258 personnes. Wanuri Kahiu a étudié la réalisation à l’UCLA (Université de Californie à Los Angeles) : son esthétique maîtrisée est d’obédience américaine, de même que son personnage principal, jeune Kenyane ayant étudié aux Etats-Unis. Elle signe un film très personnel qui puise dans les codes du polar (énigme, enquête, filature, confrontation) et comme c’est souvent le cas dans ce genre, instille un aspect documentaire, ici sur l’attentat lui-même. Son court métrage tout à fait réussi, Pumzi, sélectionné au Short Film Corner, plonge aussi dans le cinéma de genre puisqu’il s’agit d’une pure science-fiction, avec son armada d’effets spéciaux. Dans un monde où toute trace de vie a disparu de l’environnement, une jeune femme brave les interdits et risque sa vie pour planter une graine à l’extérieur et faire renaître la vie. A lire, notre entretien : [n°9589]
Le Mozambicain João Ribeiro présentait au marché Le Dernier vol du flamant rose, qui profite de l’extraordinaire univers du célèbre romancier Mia Couto. João Ribeiro, qui est aujourd’hui producteur et était responsable des archives filmées de l’Institut national du cinéma (INC) au Mozambique, avait déjà adapté Mia Couto dans un court métrage de la série Africa Dreaming en 1997: Le Regard des étoiles. On trouvera en lien notre entretien (cf. article [n°9560]) et la critique du film (cf. article [n°9562]).
L’Ethiopien Abraham Haïle Biru, coproducteur de nombreux documentaires et connu pour son excellent travail de chef opérateur sur les précédents films de Mahamat-Saleh Haroun, est en train de finaliser son premier long métrage, Queleh. Il dirige depuis 2007 la Blue Nile Academy, l’unique école de cinéma d’Afrique de l’Est, et c’est surtout sur ce sujet que nous nous sommes entretenu (cf. [n°9602]).
Quant à Djo Tunda Wa Munga (RDC), connu pour son court métrage Papy, il fait feu de tout bois. Son premier long métrage, Viva Riva, est presque terminé : un polar à l’américaine à Kinshasa, de sa propre expression « un film élégant et stylisé dans un endroit chaotique ». Il a créé une structure de production en RDC, Suka! qui est à l’origine de Congo in four Acts, dont nous avions parlé lors de sa présentation à la Berlinale (cf. article [n°9309]). Et il est l’origine en tant que producteur d’Imaginations, une série de six longs métrages adaptés d’auteurs contemporains africains. (cf. notre entretien [n°9582]).
Avec des polémiques où la politique supplantait l’esthétique et une palme d’or attribuée à un cinéaste à l’opposé de toute logique industrielle, sans compter l’irruption de Carlos d’Olivier Assayas, une série télévisée qui a failli être en sélection officielle, Cannes 2010 a été au diapason du brouillage général des repères qui marque aujourd’hui le cinéma. Cet article en rend compte abondamment dans la perspective des cinémas d’Afrique : émergence des codes du cinéma de genres pour mieux toucher le public, nouvelles formes de diffusion pour pallier la fermeture des salles ou la frilosité des exploitants, polémiques autour de la ghettoïsation des fenêtres de visibilité, etc.
Cannes 2010 donnait tort sur toute la ligne au vieux schéma de Ridley Scott : toutes ces questions déplacent l’opposition instrumentalisée entre cinéma d’art et cinéma de consommation. Plus que jamais, le cinéma sous toutes ses formes est dans la vie, traversé par ce qui agite le monde. Il le fait avec un temps de retard du fait de la lourdeur de sa production mais il le fait avec un recul qui fonde sa pertinence. Le tragique marquait nombre de films présentés, mais cela ne faisait que poser plus fortement son rôle de restaurer l’espoir, le rêve et l’utopie qui ne peuvent qu’être basés sur la restauration des valeurs humaines face à la cupidité du monde. Et cela, à leur manière et dans leur grande diversité, les films d’Afrique y contribuent.
* Ce Forum a été initié par Inoussa Ousseini, actuel ambassadeur du Niger auprès de l’Unesco et président de l’association des amis de Jean Rouch. Il en sera à sa cinquième édition en décembre 2010. L’idée a germé à l’enterrement de Jean Rouch en 2004 et la première édition a eu lieu en décembre 2006. Sa vocation, au-delà de ses formes originales, est essentiellement la formation et le soutien aux jeunes cinéastes.
1. L’engagement militant et désintéressé de Jean-Marie Barbe ne fait aucun doute. Mais je tiens aussi à témoigner d’une réunion à Lussas, durant les Etats généraux du film documentaire d’août 2008, entre Jean-Marie Barbe et Samba Félix Ndiaye avant son décès, à laquelle j’ai assisté (et publié même une photo dans l’article correspondant n°8862). Jean-Marie proposait à Samba Félix de piloter la structure sénégalaise correspondante d’Africadoc, le but étant clairement de faire passer en main africaine la maîtrise du programme.
2. Dans un article intitulé « Favoriser les expressions dissidentes » dans Le Monde du 19 juin 2010, l’historien Pap Ndiaye reprend la définition du sociologue américain Louis Wirth qui définit la minorité comme un groupe qui « en raison de caractéristiques physiques ou culturelles, est soumis à des traitements différenciés dans la société et qui se considère comme objet d’une discrimination collective « .///Article N° : 9541