Un festival de cinéma dans les foyers

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Le mois de juin célèbre aussi le cinéma dans les foyers de travailleurs migrants de Paris. Le Festival de cinéma des foyers, organisé par l’association Attention Chantier, permet aux Franciliens de découvrir une autre facette de cet habitat méconnu, investi comme un espace où la culture a toute sa place. Pour cette 4e édition, le thème Correspondances se décline du 2 au 24 juin 2012 en courts et longs métrages, documentaires et fictions mais aussi en photographies et débats dans sept foyers d’Île de France.


4ème Festival de cinéma des foyers par afriscop-africultures
Les foyers, lieux de brassage culturel
Le premier Festival de cinéma des foyers s’était déroulé à Saint-Just, un foyer parisien de travailleurs migrants, coincé entre le périphérique et le cimetière des Batignolles mais bouillonnant d’énergie. Des liens se tissent entre ses habitants, des hommes originaires pour la plupart d’Afrique subsaharienne, et l’association Attention Chantier, qui propose des ateliers artistiques et ludiques autour du cinéma et de la photo. En octobre 2009, pour son premier festival, ce foyer devient alors un lieu de rencontre entre habitants du quartier et des foyers voisins, autour du cinéma. « On aurait pu faire du théâtre ou des marionnettes, le cinéma était un prétexte pour susciter la rencontre », explique la coordinatrice Adeline Gonin. Deux ans plus tard, le festival rassemble près de deux mille personnes dans six foyers, dont un tiers venant de l’extérieur.
À chaque édition, un thème particulier. En 2010, Les Indépendances africaines puis, en 2011, L’Engagement politique des migrants étaient à l’honneur. Cette année, onze courts et longs métrages abordent le thème de La Correspondance. Correspondances entre pays, résonances entre ici et là-bas, ce thème fait écho aux aspirations révolutionnaires de la jeunesse africaine et reflète la présence transnationale des habitants des foyers. Attention Chantier refuse d’apparaître comme un « prestataire culturel », qui imposerait une programmation culturelle dans les foyers.
L’association, qui compte une dizaine de bénévoles et deux salariés, cherche avant tout à valoriser les initiatives existant dans les foyers : « Les foyers sont des hauts-lieux culturels, presque des ambassades. De nombreux groupes de musique y sont nés, et si l’on veut savoir ce qui se passe en ce moment au Mali, c’est là qu’on apprend tout » martèle Adeline Gonin.
Si le festival entend bousculer la représentation des foyers comme enclaves culturelles, il permet aussi de favoriser l’accès de ses habitants au cinéma. Sekou, jeune Malien qui a savouré le dernier festival au foyer Bisson, explique que ce loisir est bien trop coûteux pour la plupart des résidents : « Il faut encourager ce genre de festival, introduire le cinéma dans les foyers. Mais j’aimerais aussi que soient diffusés des films qui parlent d’autre chose que de ce que nous vivons au quotidien : les migrations et l’Afrique ». L’objectif d’Attention Chantier est justement de laisser progressivement la main aux jeunes résidents qui, déjà, s’investissent de plus en plus d’une édition à l’autre.
Attention Chantier déroule le tapis rouge : Reportage au foyer des Amandiers, Paris 20e, samedi 9 juin
Au cœur du quartier de Belleville, un écriteau « Cinéma gratuit au foyer rue des Amandiers » guide le passant à la sortie du métro. Au n° 64, jus de bissap et de gingembre l’invitent à monter les marches, recouvertes aujourd’hui d’un tapis rouge, du dit foyer construit dans les années 1980. Des petits commerçants et un coiffeur s’affairent dans le hall, la cour intérieure arborée est investie par des résidents d’ici et d’ailleurs, quelques habitants du quartier, ainsi que toute une équipe de bénévoles. Au programme : projection du film Noirs de France, suivi d’un débat avec son réalisateur Juan Gélas, partage d’un tieb autour d’une grande tablée, puis à la nuit tombée, projection de Little Sénégal, film de Rachid Bouchareb racontant le voyage d’un homme sur les traces de ces ancêtres sénégalais.
« Montrer notre vrai visage, ici et chez nous au pays »
Autour de ce festival, il est avant tout question d’images, images figées que le cinéma aide à bousculer. Celle que les foyers et ses habitants (travailleurs migrants venus d’Afrique subsaharienne pour la plupart) renvoient aux yeux des voisins du quartier, des parisiens, aux yeux de la France même. Mais aussi celle de ces migrants aux yeux de leurs « frères » restés au pays.
Dramane Kanouté, présent ce soir, a longtemps habité au foyer Saint-Just (Paris 17e) où le festival de cinéma est né en 2008 : « Le foyer où j’habitais a très mauvaise réputation, on nous considère tous comme des voyous et même nos cousines nées en France ont peur d’y aller. Je pense que le cinéma est un bon moyen pour changer cette image. La semaine dernière, lors du festival, j’ai rencontré des familles, des habitants du quartier venus par curiosité et nous avons passé toute la soirée à discuter de la vie du foyer. Pendant des années on habitait à cinquante mètres les uns des autres et on ne s’était jamais parlé ».
Au-delà de la simple rencontre, le festival offre les conditions d’un dialogue en laissant toute sa place à l’expression des résidents, associés à chaque étape du festival. Adama Camara, jeune slameur engagé, saisi le micro qui circule dans la cour du foyer Amandiers pendant le débat : « Pendant longtemps on est restés dans nos foyers dans l’anonymat, on veut que les gens sachent comment nous vivons, mais aussi qu’ils prennent conscience qu’il faut nous aider, qu’il faut changer les choses. Ce projet montre notre vrai visage, nous donne le droit de parler, et ça, on en a besoin des deux côtés, ici et chez nous au pays ». Adama a participé à un atelier vidéo avec le collectif Tribudom.
Ce projet lui a permis de réaliser le clip d’une chanson, Cher papa, qu’il a composé comme un message de détresse et de colère adressé à son père. Son clip a été projeté à l’ouverture du festival au foyer Saint-Just : « Dans les foyers tout le monde salue ce projet, parce qu’on pense à nos parents, personne n’est venu vers eux, ils n’ont jamais eu la chance d’exprimer ce qu’ils avaient à dire. Cet atelier et ce festival nous donnent comme l’occasion de manifester. Manifester à la France que nous sommes là et nous adresser à nos frères du bled aussi, leur montrer nos conditions de vie, parce que les anciens ne nous ont jamais dit la vérité ».


Cher papa- Collectif Tribudom – interprété par… par collectifTribudom

Cette question sensible de la transmission, du dialogue entre générations, entre ici et là-bas, est au cœur du festival, puisqu’il met cette année à l’honneur le thème de la correspondance. Jonathan Duong, membre d’Attention Chantier, explique ce choix : « Ça fait plusieurs années qu’on fait ce festival, et dans nos discussions revient toujours cette réalité d’un dialogue difficile entre les migrants ici et leur famille restée au pays. Beaucoup d’échanges existent, par exemple des échanges économiques, les migrants envoient de l’argent pour permettre au village de se développer. Mais une chose ne passe pas : comment expliquer là-bas quelles sont réellement les conditions de vie ici. »La plupart des films de la programmation mettent ainsi en scène ce dialogue avorté. Dans son documentaire Sombras, présenté en avant-première au foyer Chevaleret (Paris 13e), Oriol Canals filme en Espagne les luttes et les errances d’immigrés comme s’ils s’adressaient à leur famille au pays. Le 23 juin Daniela Swarowsky présentera son film Messages from Paradise, où elle met en dialogue des jeunes Marocains qui rêvent de partir pour l’Europe et des jeunes Hollandais d’origine marocaine. Dans cet esprit de la correspondance, le studio photo du Cinéma numérique ambulant (CNA) propose aux festivaliers de se faire tirer un portrait à la manière du grand portraitiste africain Malik Sidibé… et pourquoi pas de l’envoyer à la famille. De même, le temps d’une journée, les boîtes aux lettres du foyer Bailly, à Saint-Denis, deviendront des espaces de confidences où les résidents pourront correspondre en vidéo avec qui ils le souhaitent.
Un festival dans les foyers, ou un festival des foyers ?
Retour dans la cour du foyer Amandiers. Quelques résidents prennent la parole pendant le débat qui, suite au film Noirs de France, se décline sur le thème de la xénophobie populaire et de son instrumentalisation politique. Adeline Gonin, fondatrice du festival, explique que ce sujet a été choisi par les délégués du comité du foyer, instance de représentation des résidents : « C’est important pour nous d’impliquer les résidents dans les comités de programmation du festival. On ne peut pas venir avec notre écran, imposer tel film plutôt qu’un autre. Dans ce foyer, où habitent aussi beaucoup de Maghrébins, nous avions pensé à des films égyptiens, des regards d’artistes sur les révolutions arabes, en connexion avec ce qui se passe en Afrique noire. Mais les délégués, avec qui nous nous sommes réunis au lendemain du premier tour des élections présidentielles, choqués par le score de Marine Le Pen, ont insisté pour aborder ce sujet de la xénophobie populaire. »
Les membres d’Attention Chantier soulignent ainsi l’implication croissante des résidents : « Il y a un changement flagrant depuis la première année du festival, on était juste un petit groupe d’amis. Les résidents prennent de plus en plus la parole », raconte Rémi Deprez, bénévole. « Avant, les résidents ne nous aidaient pas à ranger le matériel, maintenant ils se déplacent d’un foyer à l’autre. Certains foyers nous demandent de faire le festival chez eux ». Comme en écho aux propos d’Adeline Gonin, un délégué venu aujourd’hui aux Amandiers, costume-cravate, sollicite l’association pour qu’elle intervienne aussi dans son foyer à Colombes (Hauts-de-Seine).
Beaucoup de résidents assistent encore timidement au festival, depuis les fenêtres de la cuisine ou des chambres, devant l’entrée de la cour, interfaces avec l’extérieur. À la nuit tombée, les films sont projetés sur grand écran ou sur le mur des foyers. Les résidents descendent nombreux, puis remontent dans les chambres dès le générique de fin. Dramane Kanouté commente : « Souvent il y a beaucoup plus d’organisateurs que de résidents. Beaucoup descendent voir les films puis remontent rapidement. La plupart sont sans-papiers et ne veulent pas communiquer. Moi aussi avant je ne voulais ni être filmé, ni parler aux journalistes. Puis je me suis engagé dans un collectif de sans-papiers, et j’ai compris que nous avions besoin des médias pour être visible dans notre lutte ».
La radio des foyers, idée venue de jeunes résidents, semble offrir une belle alternative à ce rapport souvent problématique à l’image. « Une radio des foyers permettrait aux personnes qui vivent dans les foyers de porter une parole qui n’est pas forcément entendue, reconnue et visible dans la société. Une parole qui puisse être entendue dans le quartier et dans les autres foyers à Paris mais aussi entendue par la famille restée au pays via le web »explique Jonathan Duong. Le festival est l’occasion deconcrétiser ce grand projet à petite échelle, un micro circulant tous les samedis pour recueillir les impressions des festivaliers et saisir l’ambiance et les couleurs des foyers. Attention Chantier espère ensuite organiser un atelier avec des résidents pour monter cette radio, qui pourrait émettre depuis les foyers sur internet et sur les ondes à l’automne 2012.

Le festival de cinéma des foyers continue…
Le samedi 16 juin au foyer Bailly, Saint-Denis
Le vendredi 22 juin au foyer Bisson, Paris 20e
Le samedi 23 juin au foyer Lorraine, Paris 19e
Le samedi 30 juin au foyer Allemane, Rosny-Sous-Bois
Pour la programmation complète : [www.attentionchantier.org]
Un extrait de cet article est également publié dans Afriscope n° 26, mai-juin-juillet 2012///Article N° : 10828

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Les images de l'article
Juan Gélas, réalisateur du film Noirs de France © Anglade Amédée
Adama pendant le débat © Anglade Amédée
Le festival 2010 au foyer Amandiers © Sophie Garcia
Devant la cabine photo du Cinéma Numérique Ambulant © Anglade Amédée
Affiche de l'édition 2012 © 2012 Attention Chantier
Jonathan Duong, d'Attention Chantier, avec un délégué © Anglade Amédée





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