Jaz de Koffi Kwahulé, premier portrait

Prochaine création de Kristian Frédric

Théâtre des deux mondes, Montréal
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Jaz de Koffi Kwahulé, mis en scène par Kristian Frédric et interprété par Amélie Chérubin-Soulières se jouera du 4 au 15 décembre 2010 au théâtre de l’Usine C à Montréal. Nous allons suivre étape par étape le déroulement de cette création. Cette pièce qui devient peu à peu un classique dans le paysage du théâtre contemporain a de nouveau attiré l’attention d’un metteur en scène. Kristian Frédric qui s’est déjà frotté au texte de Big Shoot de Koffi Kwahulé compte nous offrir une mise en scène de Jaz des plus saisissantes et violentes. La technologie et l’humanité vont se rencontrer et nous assisterons à leur combat.

Faire entendre les textes de Koffi Kwahulé est une urgence pour ce metteur en scène, il les considère comme des présents pour tous ceux qui les entendront. Pour lui, les personnages de ces pièces sont des êtres seuls et en danger, des écorchés de la vie qui sont le symbole de notre humanité dans sa globalité.
L’histoire de Jaz
Jaz est le monologue d’une femme qui raconte son histoire, ou plutôt celle de Jaz, car dit elle « Je ne suis pas ici pour parler de moi mais de Jaz (1) ». Jaz, cette femme dont la beauté se compare à celle d’un lotus vit dans un immeuble sordide où les excréments débordent jusque dans les escaliers. Les toilettes étant bouchées, elle décide de se rendre dans une sanisette place Bleu de Chine, elle y rencontre un homme au regard de christ qui fige sa vie « dans la seule couleur qui n’existe pas dans l’arc-en-ciel (2) ». C’est un dimanche matin quand cet homme l’enferme dans cette sanisette et la viole. Par ce geste il lui vole son identité mais Jaz luttera de toutes ses forces pour retrouver son nom qui sonne comme une note de musique. Elle fera entendre sa voix pour affronter sa souffrance, pour se sentir exister, pour être Jaz de nouveau. La parole devient une façon de se libérer tel un exutoire. Elle finira par nous avouer sa vengeance, le meurtre de son agresseur. Finalement, Jaz raconte l’enferment de l’identité mais aussi le chemin à parcourir pour tenter de se libérer : faire entendre sa parole, se souvenir, combattre le silence pour retrouver son nom. Cette pièce écrite telle une partition de Jazz comme à l’habitude de Koffi Kwahulé nous donne un rythme et une mélodie à entendre.
Jaz, dernière représentante de l’humanité pour Kristian Frédric
Dans son récit, Jaz parle d’un monde où les valeurs sacrées ont laissé place à la possession, un monde où les hommes se font enterrer avec leur banque ou leur maison. Prêts à tout pour se sentir vivants dans cette cité chaotique, ils vont jusqu’à posséder le corps de l’autre, comme l’a fait l’homme au regard de christ.
Pour Kristian Frédric, Jaz serait la dernière représentante de l’humanité, prisonnière de ce monde déshumanisé. Il l’imagine soumise au contrôle d’une machine qui ne cessera de l’interroger et de la manipuler jusqu’à son exécution. Cette machine de torture qui lui fera subir des sévices physiques et moraux est, pour ce metteur en scène, la représentation de la société d’aujourd’hui. Cette femme qui sera filmée, enregistrée, analysée de toute part, luttera avec acharnement et douceur à la fois pour exprimer sa rébellion. Kristian Frédric la compare même à une Antigone contemporaine, car tout comme elle, Jaz se rebelle face au pouvoir quitte à y laisser sa vie. Il a d’ailleurs ses paroles à propos de Jaz, « Elle est témoin d’une humanité que l’on cherche à anéantir, reflet d’une beauté et d’une poésie qui ne doivent plus exister dans le monde de la machine (3) ». De même qu’Antigone, Jaz est en quête d’absolu et se débat pour que le monde retrouve ses valeurs premières, celles qui relient tous les hommes entre eux. Finalement, elle mène ce combat au nom de tous. Sa beauté et sa pureté enrayeront à plusieurs reprises le mécanisme de cette machine infernale. Kristian Frédric a également imaginé une langue mère propre au personnage de Jaz, dans laquelle elle pourra se réfugier, la machine ne pouvant pas la traduire. Il s’agira du créole, langue originelle de la comédienne Amélie Chérubin-Soulières. C’est une véritable performance que va réaliser cette comédienne, car en plus de la puissance du texte de Jaz, elle devra côtoyer la force d’un décor robotisé qui sera comme le deuxième personnage de cette mise en scène. En effet, la comédienne et le décor imaginé par Kristian Frédric vont se livrer à une danse terrifiante, dont les spectateurs n’en ressortiront pas indifférents. Plusieurs technologies telles que la robotique, le son et la vidéo vont s’assembler et donner à ce spectacle une puissance peu ordinaire. Il s’agit d’un défi de taille pour le metteur en scène, la comédienne et les nombreux techniciens qui vont œuvrer à l’orchestration de ce dangereux robot.
La démesure du décor imaginé par Kristian Frédric
Il s’agira d’une immense machine de matière métallique de 3m80 de hauteur. Au milieu de cette structure imposante, la comédienne évoluera sur un espace de jeu restreint, un socle de 2m sur 80 cm. Elle sera attachée par trois liens métalliques reliés aux bras et à la taille. Cet espace sera comme suspendu dans le vide, nous aurons l’impression qu’autour il y a le néant. Ce socle robotisé manipulera physiquement la comédienne qui passera par plusieurs positions durant le spectacle. Derrière elle, face à nous, seront disposés trois poteaux qui porteront trois écrans plasmas représentant les yeux de ce monde. Ces écrans projetteront entre autres, l’image de la comédienne qui sera filmée pendant le spectacle. Enfin, l’utilisation du son sera telle qu’elle donnera l’impression que Jaz et la machine dialoguent.
Premières répétitions : la rencontre des deux partenaires de jeu
Aujourd’hui, l’heure est aux répétitions. Toute l’équipe a pris place lundi 4 octobre 2010 dans les locaux du théâtre des Deux Mondes à Montréal. Ce jour là, la fameuse machine est présente sur scène, et plusieurs techniciens s’activent à la rendre prête pour commencer le travail. C’est lors de la journée du 6 octobre qu’Amélie Chérubin-Soulières monte pour la première fois sur son espace de jeu. Simon Laroche, le concepteur robotique est aux commandes, à ses côtés Éric Lapointe et Éric Palardy prêts à intervenir au moindre caprice technique de la machine, et enfin, installé tout prêt des commandes, le regard vers sa comédienne, le metteur en scène Kristian Frédric s’apprêtant à voir se concrétiser le rêve de sa mise en scène. Le crâne fraîchement et joliment rasé comme le suggère Koffi Kwahulé au début de la pièce « Une femme. Le crâne rasé peut-être. Nue peut-être. (4) », le corps entraîné, le baudrier enfilé, Amélie Chérubin-Soulières est parée pour cette rencontre avec son futur partenaire de jeu. Devant toute l’équipe qui retient son souffle, elle explore chaque millimètre du socle qui la portera pendant plus de 60 représentations à travers l’Europe et l’Amérique du nord. Sa gestuelle est lente, elle se familiarise avec l’espace avant de laisser faire la robotique.
Durant les deux premières semaines de répétitions, l’équipe s’est concentrée sur la technique ainsi que sur la sécurité de la comédienne. Ainsi, chaque position du socle imaginée par Kristian Frédric a été testée pour qu’Amélie découvre ses futures conditions de jeu et pour que les techniciens résolvent chaque problème technique avant le travail sur le texte, prévu lors de la troisième semaine. Ils se sont d’ailleurs armés de patience à plusieurs reprises pour être plus forts que les nouvelles technologies. Démontage, remontage, transformation du mécanisme de sécurité, renforcement du socle, ajouts de nouveaux éléments de décor, autant de taches à effectuer pour préparer la machine et la comédienne au combat imaginé par Kristian Frédric. Lors de ces deux semaines, l’équipe a assisté à la naissance de ce décor, à son déploiement dans l’espace, à des moments de suspension où personne ne savait qui de la machine ou de la comédienne allait prendre le dessus.
Il s’agissait des premiers instants de cette création, néanmoins, une odeur de confrontation a déjà commencé à envahir la scène du théâtre des Deux Mondes.

1. Koffi Kwahulé, Jaz, éditions théâtrales, 1998, p 57
2. Ibid p 81
3. Kristian Frédic, Voyage au centre d’une création, éditions lézards qui bougent,2009, p51
4. Koffi Kwahulé, Jaz, éditions théâtrales, 1998, p 57
Pour lire le deuxième portrait :[ici]

Pour lire le troisième portrait :[ici]///Article N° : 9771

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© Angélique Bailleul
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