La consommation cinématographique :

Les plaisirs du cinéma en Tunisie au tournant de 1956

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Dès l’accession à l’indépendance, le 20 mars 1956, le gouvernement tunisien s’attache à planifier les chantiers qui attendent le nouvel État. Dans une brochure publiée en 1957, le secrétariat d’État à l’Information pose la question du cinéma, dont il entend faire un volet dans l’entreprise de rénovation du pays :

La Tunisie s’était bornée, dans le domaine du cinéma, à n’être, jusqu’ici, qu’un débouché pour la production étrangère. […] La Tunisie s’est trouvée placée au cœur d’un paradoxe. Celui d’un pays qui possède ses traditions et sa sensibilité propre, mais qui s’accommode néanmoins de l’image des problèmes de la jeunesse américaine et applaudit aux réussites des plus « classiques » vaudevilles du cinéma français.
L’histoire de la Tunisie avec le cinéma prendrait-elle pour point de départ 1956 ? Certes, la production, soumise aux multiples contraintes engendrées par la situation coloniale, est alors quasi inexistante. Mais les chiffres de fréquentation attestent la place essentielle du loisir chez les Tunisiens : la pratique cinématographique est, à cette époque, bien ancrée dans le mode de vie des citadins. Il est difficile, aujourd’hui, d’imaginer la centaine de cinémas qui couvraient le pays, plus encore de se représenter les petites salles de Grombalia, Mateur, Menzel Temime, Nabeul ou Mahdia, offrant à la foule des spectateurs des rêves venus d’Hollywood, du Nil voire de Bombay. Nous tenterons ici de faire l’état des lieux des salles de cinéma et autres lieux de projection ainsi que celui de la consommation cinématographique dans les premiers temps de l’indépendance. Poser la question de l’exploitation, n’est-ce pas poser la question même des origines et de la formation initiale des premiers réalisateurs tunisiens comme simples spectateurs des salles obscures ? Il convient également de s’interroger sur la composition et les goûts des publics, à un moment où les milieux intellectuels et artistiques – parfois, politiques – formulent avec de plus en plus d’insistance la demande d’un cinéma national. L’étude des infrastructures est un premier moyen d’appréhender la diffusion du spectacle cinématographique sur un territoire marqué par les disparités régionales. La fréquentation de ces salles est, en revanche, plus difficile à évaluer, faute de statistiques précises quant aux entrées et recettes. Les témoignages des spectateurs nous permettent, toutefois, d’identifier quelques tendances. Si l’exploitation commerciale bénéficie d’une plus grande visibilité, elle ne doit pas faire oublier le rôle crucial du secteur non commercial, symbolisé notamment par les ciné-clubs, dans le développement d’une culture cinématographique en Tunisie.
La diffusion du cinéma sur le territoire tunisien
À l’aube de l’indépendance, le cinéma représente encore la principale distraction de la Tunisie urbaine. Il s’agit donc d’un secteur particulièrement lucratif qui a attiré depuis longtemps le regard de l’administration : les exploitants payent, de fait, un lourd tribut à l’impôt. Mais les salles de cinéma ne sont pas seulement une ressource précieuse pour le Trésor public : celles-ci font l’objet d’une surveillance particulière des autorités depuis les années 1930. La question du cinéma apparaît tellement essentielle à la politique coloniale en Afrique du Nord que la création du Centre cinématographique marocain (8 janvier 1944) et du Centre cinématographique tunisien (13 juin 1946) précède celle du Centre national de la cinématographie (25 octobre 1946) en France. Si ces questions de sécurité et de propagande sont loin de disparaître dans les années 1950, nous observons que l’infrastructure cinématographique du pays tend à devenir un enjeu de développement.
L’éclectisme des lieux de projection
À l’indépendance, le nouveau secrétariat d’État à l’Information (1957, 8-9) recense 95 salles de cinéma (dont 31 équipées en 16 mm). En 1958, elles sont 101 (dont 39 en 16 mm), offrant près de 40 000 places (1). Les cinémas connaissent, en effet, une expansion régulière durant les années 1950. La dynamique vient moins désormais de la capitale que du reste du pays, où le cinéma connaît une formidable expansion. Ainsi, les salles se multiplient dans la périphérie de Tunis. En 1951, les frères Dario et Victor Lahmi, qui possèdent déjà le Ciné-Théâtre à La Goulette, inaugurent le Rex. Mais le mouvement est loin de s’arrêter à la banlieue. En 1955, alors même que le pays marche vers l’indépendance, un exploitant français ouvre le Paris à Bizerte. De toute évidence, le marché cinématographique continue de représenter un secteur lucratif, y compris pour les exploitants européens.
Le phénomène le plus marquant est sans doute l’apparition de cinémas dans des villes qui n’avaient connu que des projections itinérantes. Le nombre de villes touchées par le cinéma (Le Kef, Béja, Mateur, Grombalia, Kairouan, etc.) ne laisse pas d’étonner quand la vingtaine de salles qui existent aujourd’hui se concentre essentiellement sur la zone littorale. La croissance semble plus particulièrement concerner les projecteurs 16 mm, un format peu coûteux, utilisé notamment pour le cinéma éducatif et de propagande et qui équipe surtout les cinémas ambulants ou les petits centres urbains, dans des lieux de projection improvisés. Ainsi, dans les régions rurales ou désertiques, comme les gouvernorats de Grombalia, Souk el-Arba (2), Sbeïtla (3), Gafsa, Tozeur et Médenine, le nombre d’appareils 16 mm dépasse largement celui des 35 mm. Dans le gouvernorat de Souk el-Arba, six salles sont équipées en 16 mm mais aucune ne dispose du format standard (4).
La Tunisie reste encore marquée par l’éclectisme des lieux de projection. Ce sont évidemment les salles les plus visibles. La plupart ont été construites dans l’entre-deux-guerres à l’exemple du Royal ou du Colisée de Tunis, toujours en activité (5). Elles gardent de multiples usages qui traduisent l’étroitesse des espaces de réunion dans les anciennes villes coloniales. Des combats de boxe, des représentations théâtrales, des concerts continuent d’y être organisés. Ainsi, le Palmariumaccueille The Platters, Yves Montand ou Dalida (6). Ce sont également d’importants lieux de rassemblement pour les syndicats et les partis. Habib Bourguiba, lui-même, y prononce régulièrement des discours. L’intervention surprise du président au Palmarium, le 15 décembre 1972, en présence du colonel Mouammar Kadhafi, est restée inscrite dans les mémoires des Tunisiens (Belkhodja, 1998).
Mais ces établissements en dur sont loin d’être les seuls intermédiaires du film. Dans la région de Tunis, par exemple, et malgré l’abondance des cinémas de toutes catégories dans la capitale et sa banlieue, de nombreuses séances sont données dans les cafés – c’est le cas à Tébourba, au Mornag, à L’Ariana, etc. – les salles municipales ou salles des fêtes (Tébourba, Radès, La Mornaghia, etc.), au Cercle du viticulteur de Sidi-Tabet, et même dans un ancien magasin de céréales à Saïda (7). À Soliman, le réalisateur Omar Khlifi se souvient avoir regardé des films égyptiens dans un garage (Ben Farhat, 2006, 225). Ces projections sont pour la plupart le fait d’exploitations ambulantes qui, loin de disparaître, semblent connaître au contraire une grande prospérité dans les années d’après-guerre. La diffusion du 16 mm, la banalisation du cinéma ainsi que l’exemple des camions cinématographiques de la Résidence générale donnent un réel dynamisme à ces projections itinérantes. Les déficiences de la politique d’électrification coloniale jouent également en faveur de ces exploitations. À Houmt Souk, sur l’île de Djerba, où l’électricité est distribuée à tour de rôle par quartier, le cinéma ambulant est contraint de se déplacer chaque soir avec ses spectateurs à la quête du courant (8). D’autres installations fonctionnent grâce à des groupes électrogènes. En 1957, nous relevons l’existence d’une « Caravane du Sahel » qui se produit à Monastir et Moknine (Secrétariat d’État à l’Information, 1957, 9). Dans le seul contrôle civil de Tunis, ce sont au moins six exploitants qui, dans la première moitié des années 1950, parcourent les zones peuplées par les colons (9). Il serait donc faux de réduire le cinéma ambulant à un phénomène rural. Celui-ci paraît viser en priorité les zones urbaines et périurbaines, resserrant le maillage autour de grandes villes pourvues de salles en dur, avant de s’enfoncer plus avant dans les terres. Les circuits commerciaux ont d’abord quadrillé la Tunisie littorale et les campagnes du nord habitées par les Européens.
Malgré la variété des lieux de projection, la fréquentation cinématographique apparaît d’abord comme un fait urbain, dans un pays qui reste encore rural. Les films réalisent approximativement la moitié de leurs recettes et de leurs entrées dans la seule ville de Tunis (10). Celle-ci compte, pourtant, 23 salles, soit moins du quart des cinémas de Tunisie – mais près de 40 % des places (11). S’y ajoutent les 17 salles de banlieue qui engrangent également des entrées importantes. Ainsi, La Goulette et Le Kram, stations balnéaires plébiscitées par les Tunisois dès les beaux jours, présentent le ratio remarquable d’un fauteuil pour 16 habitants. Suivent Sfax, Sousse, Bizerte et Menzel Bourguiba (anciennement Ferryville). Ces deux dernières villes constituent un cas un peu spécifique, dû à la présence de la Marine française et de l’arsenal de Sidi Abdallah – les ouvriers et les militaires ayant toujours constitué un public de choix pour le spectacle cinématographique. Menzel Bourguiba est d’ailleurs, avec Tunis, la seule ville à disposer d’une salle de plus de 2 000 places, le Rex, ouvert en juillet 1948. Les villes de l’intérieur sont plus défavorisées, comme en témoignent les statistiques pour Gafsa (108 habitants/place) ou Kairouan (60 habitants/place). Le cinéma non commercial aurait-il davantage contribué à diffuser le film dans les profondeurs du pays ? C’est ce que nous examinerons plus loin.
Un paysage cinématographique relativement stable
Le paysage cinématographique est alors dominé par des exploitants d’origine italienne (naturalisés ou non français) et juifs (tunisiens, italiens ou naturalisés français). L’investissement de ces deux communautés intermédiaires dans l’industrie du spectacle date des premières années du siècle. Il est intéressant de relever que les Tunisiens musulmans, dominants en nombre, et les Français, dominants politiquement, se sont peu impliqués dans ce secteur. Comme dans la plupart des pays « mosaïques », le développement du cinéma est d’abord le fait des minorités (12). La situation socio-économique comme politique est, de toute évidence, défavorable aux exploitants musulmans, même si plusieurs exceptions existent comme Nouri, grand propriétaire sfaxien et patron du Nour (13). Le poids des traditions a peut-être aussi joué, eût égard à la réputation quelque peu douteuse qui précède le divertissement cinématographique dans la première moitié du siècle.
La situation relativement marginale des juifs dans la société tunisienne les prépare au contraire davantage aux métiers marqués d’un certain stigmate social (14). C’est ainsi que des activités aussi « suspectes » que la musique ou le théâtre ont longtemps été réservés aux juifs. Mais cet investissement dans les activités les plus modernes du temps s’inscrit également dans le mouvement des juifs de Tunisie en direction de la France. Il y a là une manière à la fois d’affirmer sa modernité face au colonisateur et de se distinguer de la majorité musulmane. Le cinéma représente certes une occupation peu prestigieuse, pour ne pas dire un peu bohème, mais il s’agit d’un secteur neuf qui n’a pas encore été pris dans les rigidités du système colonial. Si l’élite de la communauté juive de Tunisie se tourne vers les carrières libérales (avocat, médecin, pharmacien, architecte), nous pouvons facilement imaginer que, pour une frange moins éduquée (15), le secteur du cinéma ait pu représenter une véritable opportunité. Il en va de même pour la communauté italienne qui, dans la première moitié du XXe siècle, alimente surtout un prolétariat industriel et agricole. Ces « minorités » juives et/ou italiennes sont capables de mobiliser les capitaux nécessaires, mais elles peuvent également compter, dans leurs entreprises, sur leurs relations avec l’Europe tout comme sur un fort ancrage local. Les juifs twânsa, notamment, maîtrisent l’arabe, un atout quand il s’agit de commercer des films égyptiens.
Le nouvel État s’intéresse bien vite à ce secteur de l’exploitation. Conscients du fossé entre la Tunisie littorale et le reste du pays, les fonctionnaires choisissent d’évaluer le nombre d’habitants par place en ne tenant compte que de la population des principales villes, aboutissant au ratio d’une place pour 25 habitants (16). Si l’intention politique est évidente, ce curieux calcul retranscrit surtout le caractère urbain du spectacle. Nous retrouvons, d’ailleurs, des opérations similaires en France dans le Bulletin d’information du Centre national de la cinématographie. Au-delà de ces jeux avec les nombres, il importe de souligner la place du cinéma dans les statistiques officielles : l’équipement cinématographique est désormais considéré comme un indicateur de développement.
Les salles jouent, par ailleurs, un rôle clé dans la diffusion des documentaires et des actualités du secrétariat d’État à l’Information, La Tunisie aujourd’hui (produite par la société El-Ahd el-jadid). Le premier numéro est présenté le 10 juin 1956 au Colisée, en présence de Bourguiba lui-même (Zalila, 2004, 288-289). La projection des actualités tunisiennes n’est rendue obligatoire qu’en 1964 (arrêté du secrétaire d’État aux Affaires culturelles du 20 avril 1964) mais le gouvernement ne montre pas moins un intérêt sourcilleux au sort de ces films. Le 20 février 1957, les autorités décident de fermer pendant un an le Paris de Bizerte. Louis Muracciole, copropriétaire et directeur, est accusé pêle-mêle de fraudes sur les billets et d’hostilité au nouveau régime : il aurait refusé de montrer les actualités tunisiennes et censuré un passage sur Habib Bourguiba dans les Actualités Françaises (17). René-Philippe Millet, consul général de France à Bizerte, s’inquiète de la sévérité de la mesure : les copies des actualités tunisiennes sont encore peu nombreuses et leur projection n’est pas officiellement obligatoire (18). Les irrégularités de gestion – courantes chez les exploitants – ne seraient jamais punies par des fermetures. Le consul général est, en revanche, bien en peine pour excuser les propos vexatoires de Louis Muracciole, « impotent (plus qu’à demi paralysé), irascible et Corse de surcroît », à l’égard du gouvernement tunisien et du premier ministre Bourguiba (19). Si l’anecdote a des relents de Clochemerle, elle n’en illustre pas moins l’enjeu politique que représentent les salles de spectacle. Les tensions sont particulièrement vives à Bizerte où la France conserve une importante base militaire.
La presse corporative n’évoque quant à elle que rarement les événements politiques (20). La perspective de l’indépendance pose pourtant question dans un commerce où la part des étrangers est importante, si ce n’est prépondérante. Les trajectoires des exploitants après 1956 nous sont très peu connues. Si Adrien Salmieri (2004) évoque un important gérant de cinémas italien devenu simple projectionniste en France, les premières années de l’indépendance semblent marquées par une relative stabilité. La véritable rupture se produit dans les années 1960, suite à la crise de Bizerte et aux débuts de la planification. À Menzel Bourguiba où l’arsenal a été pris d’assaut, Bernard Giliberti et sa famille se résolvent à partir, abandonnant la gérance de l’Olympia (21). Les frères Boralevi, véritables figures de l’exploitation tunisoise depuis les années 1920, ont vendu leur société la même année – quelques mois, toutefois, avant les affrontements (mai 1961) (22). Il est vrai qu’Alexandre et Albert Boralevi sont alors âgés de 73 et 69 ans. Certains exploitants restent, à l’image de la famille Lombardo au Kram qui, après quelques jours de fermeture en juillet 1961 (23), continue à exploiter le Ciné Vog jusqu’en 1985. La question du départ se pose également pour les Tunisiens juifs. La Guerre des Six jours (1967) et les tensions suscitées dans le pays par le conflit israélo-arabe provoquent une importante vague d’émigration. Victor et Dario Lahmi continuent, toutefois, d’exploiter le Rex jusqu’en 1974 (24). Ce n’est d’ailleurs qu’en 1967 que Tahar Cheriaa, alors chef du service du cinéma au secrétariat d’État aux Affaires culturelles et à l’Information, s’inquiète de l’arabisation des noms de salles dans une lettre qu’il adresse, le 20 juillet, à tous les exploitants (25). Sans guère de succès, puisque plus de quarante après, le Colisée, l’ABC, le Mondial ou le Parnasse déploient encore leurs enseignes sur les grandes artères de Tunis.
Le public cinématographique
Si l’exploitation n’est pas exempte de déséquilibres régionaux, nous avons pu souligner le nombre et la diversité des lieux de projection. Cette carte des cinémas ne renseigne, toutefois, que partiellement sur la fréquentation. Les nombreuses plaintes des exploitants de l’intérieur montrent que ceux-ci ont plus de difficultés que les Tunisois à remplir leurs salles. Le cadre de cette étude ne suffirait pas à rendre compte des publics tunisiens et de leurs goûts. Il s’agit donc davantage, ici, de donner un aperçu sur l’évolution de la fréquentation, l’importance du cinéma comme loisir ainsi que la mobilité des spectateurs.
L’évolution de la fréquentation
Les statistiques de fréquentation concernent presque exclusivement la ville de Tunis. En 1946, les salles tunisoises accueillaient environ 6 000 000 de spectateurs (26). En 1949, on ne comptabilise plus que 4 686 000 entrées, un chiffre qui ne devait cesser de décliner les années suivantes, descendant jusqu’à 3 388 000 entrées en 1952. Les troubles politiques ont sans doute joué un rôle, la population hésitant de plus en plus à sortir le soir.Face aux mots d’ordre de boycott, au couvre-feu et à la peur des attentats, l’exploitation nord-africaine plonge dans le marasme. Dans certaines régions d’Algérie, la plus touchée, les recettes peuvent chuter de 40 %. La location au forfait, disparue en 1941, refait soudain son apparition (Garçon, 2006, 209). Dans l’atmosphère chaotique de cette fin de règne, le contrôle strict sur les recettes apparaît, en effet, de plus en plus aléatoire.
L’argument politique ne peut, toutefois, suffire. En 1957, alors que les salles de cinéma reprennent leurs activités après une difficile année 1956, le nombre d’entrées à Tunis n’excède toujours pas 3 356 000 (sur un total de 6 242 000 entrées pour l’ensemble du pays) (27). En 1958, il est de 3 330 000. La proclamation de l’indépendance n’enraye donc pas le déclin de la fréquentation.Est-ce une conséquence du départ progressif des Européens, qui ont formé une part importante du public – en particulier dans les salles du centre-ville ? Pour la première fois, en 1954, le nombre des retours dépassait, pour les Français, celui des arrivées (Martin, 2003, 171). Ce mouvement n’explique, pourtant, que partiellement les chiffres de 1957 et 1958. La baisse du nombre d’entrées commence, en effet, bien avant la première vague de départs. Alors que les cinémas tunisois perdent plus d’un million de spectateurs en moins de 10 ans, la population continue, d’ailleurs, de s’accroître. On recense 364 596 habitants à Tunis-Ville en 1946, 410 000 en 1956, une croissance qui touche principalement la population musulmane (Sebag, 1998, 501-502). Elle s’explique principalement par l’exode rural qui draine à Tunis une population pauvre, qui ne trouve souvent à s’employer que comme journalier. Ces nouveaux venus, qui vivent parfois dans les « gourbivilles » aux marges de la cité, s’initient plus lentement à un mode de vie urbain. Leur situation économique les prive de loisirs comme le cinéma.
L’augmentation du prix des places joue, en effet, un rôle dans l’évolution de la fréquentation, même si elle n’est pas déterminante. En Tunisie, le cinéma reste un divertissement cher, loin d’être accessible à l’ensemble de la population urbaine. Une enquête de IBLA menée en 1956 par l’animateur de ciné-club Robert Couffignal et le père blanc Michel Lelong montre que l’argument financier joue largement au sein de la jeunesse étudiante tunisienne, qui n’est pourtant pas la plus défavorisée (28). Les spectateurs sont encore plus affectés par l’inflation des tarifs dans les petits centres urbains. Si le public ne déserte pas les salles, il se rend moins souvent au cinéma.
Pour Claude Forest (1997, 192), l’effritement de la pratique cinématographique est un phénomène structurel qui peut être observé à l’échelle du monde occidental. Les arguments avancés par l’auteur s’appliquent plus difficilement à la Tunisie, où les effets de substitution (l’apparition de la télévision (29)) ou de dissuasion (l’orientation des dépenses des ménages vers des biens d’équipement durable comme les automobiles, les réfrigérateurs ou les radios) ont un impact moindre. La place prise par le cinéma non commercial a pu également jouer un rôle dans ce déclin, mais de manière marginale. Les séances éducatives ou les ciné-clubs attirent de nouveaux spectateurs au cinéma, plus qu’ils ne les en détournent.
Au final, le déclin de la fréquentation cinématographique est sans doute à la conjonction de ces différents phénomènes : troubles politiques, augmentation du prix des places, modification des structures sociales de la population citadine, développement des ciné-clubs, évolution des habitudes de consommation. Le cinéma n’en reste pas moins le divertissement le plus populaire comme en attestent les recettes des spectacles dans les grandes villes du pays : à Tunis et Sfax, le cinéma totalise plus de 80 % des recettes des spectacles ; à Bizerte et Sousse, il en réalise plus de 90 % (30). À titre de comparaison, le cinéma ne compte que pour 51 % des recettes des spectacles à Paris en 1950 (Benteli, Jay, Jeancolas, 1978, 28). Ces chiffres lèvent le voile sur une offre culturelle encore peu diversifiée. Si le cinéma perd de son audience, il demeure le principal, presque l’unique, spectacle proposé aux habitants de Tunisie. Bien que déclinante, la consommation cinématographique reste importante et le succès massif du cinéma, en particulier chez les nouvelles générations, ne fait pas de doute.
Les goûts du public
Les films projetés dans les salles tunisiennes sont quasi exclusivement étrangers. Il s’agit d’abord de films américains, puis français, l’Italie et l’Égypte se disputant la troisième place, comme durant tout l’après-guerre. En 1957, ont été projetés 355 longs-métrages américains, 171 Français, 41 Italiens, 25 Franco-Italiens, 18 Égyptiens ; en 1958, 229 Américains, 162 Français, 56 Égyptiens, 44 Italiens, 17 Franco-Italiens (31). Le cinéma égyptien soulève le plus d’interrogations car son commerce a longtemps été entravé durant l’occupation française, les films égyptiens transitant presque systématiquement par Paris (Corriou, 2011, 363-376). Il y a bien un effet de rattrapage par rapport à l’année 1957, mais celui-ci reste limité : en 1951, 78 films égyptiens étaient projetés dans les salles tunisiennes (Lepidi, 1953, 25). Il est vrai que l’Égypte, qui produisait une moyenne de 54 films par an depuis 1946, a connu une brève chute de production en 1956 et 1957 (Abou Chadi, 1995, 28-29). Le film hollywoodien continue de dominer (entre 53 % et 39 % des films en 1957 et 1958) contre environ 30 % pour la France – le rapport était de 47 % et 25 % en 1952 (Lepidi, 1953, 25). Il ne semble donc pas y avoir de rejet du film français. Le cinéma tunisien reste le grand absent des écrans, cependant que des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent, réclamant la naissance d’une production nationale.
En 1970, Tahar Cheriaa, devenu sous-directeur au ministère de la Culture, offre un bilan très pessimiste sur une situation d' »aliénation culturelle » qui n’a pas évolué depuis 1956 : il dénonce « l’impérialisme du fric international et du néocolonialisme occidental » et décrit la Tunisie comme un pays « vivant prétentieusement au rythme d’un marché européen surdéveloppé » (32). Faut-il, pour autant, parler de colonisation culturelle ou encore d’acculturation ? C’est oublier que certains genres cinématographiques ont une réelle capacité à transcender les frontières et à mobiliser un vaste public. C’est négliger surtout l’aptitude des spectateurs à se réapproprier les œuvres, telle qu’évoquée par Michel de Certeau parlant des « braconnages » du public (33). L’importance du cinéma américain et français sur les écrans tunisiens ne permet guère, d’ailleurs, de juger leur popularité. L’exemple français est, à cet égard, révélateur : si le film américain domine les programmes, ce sont les films français qui réalisent le plus d’entrées jusqu’au milieu des années 1980 (F. Montebello, 2005, 40). Notre recherche bute, ici, sur l’absence de chiffres de fréquentation qui nous empêche d’évaluer les préférences des spectateurs tunisiens.
L’enquête menée, en 1956, par Robert Couffignal et Michel Lelong atteste du succès du cinéma français et italien auprès de la jeunesse étudiante. Sont cités Si Versailles m’était conté, French Cancan, Nana, Les Diaboliques, Les Héros sont fatigués, Les Grandes Manœuvres (34). Les enquêteurs soulignent également la préférence accordée par ces jeunes Tunisiens aux films « à thème social » – et donc au néoréalisme italien -, qui feraient écho à leurs propres difficultés : « Il est incontestable que ces films qui évoquent des réalités parfois si proches, si quotidiennes, trouvent ici un écho particulièrement profond. » C’est, en effet, dans une optique sociale que Robert Couffignal et Michel Lelong interrogent les pratiques cinématographiques des lycéens et étudiants Tunisiens. Ils entendent percer les aspirations de cette jeunesse du « Tiers-Monde » face aux défis du développement. Ils relèvent donc l’intérêt des spectateurs pour les questions de la reconstruction, du chômage, de la pauvreté qui pèsent sur l’Italie de l’après-guerre comme sur la Tunisie nouvellement indépendante. Mais le public étudié dans IBLA est un public éduqué, familier des ciné-clubs où règnent sans partage les fanatiques de Vittorio De Sica. Il importe donc de ne pas circonscrire le succès du cinéma italien aux seules œuvres néoréalistes et de souligner la prospérité de films comme le péplum La Reine de Saba (35),ou La Fille du fleuve (36),qui donne la part belle à Sophia Loren.
En 1957, c’est le film Trapèze de Carol Reed, avec Gina Lollobrigida et Tony Curtis, qui réalise le plus d’entrées à Tunis. Si le cinéma américain apparaît quelque peu en retrait dans l’enquête de IBLA, il domine pourtant les souvenirs des témoins. Tarzan et Zorro comptent notamment parmi les héros les plus populaires chez les enfants. Le « film de cow-boy » est le plus spontanément évoqué dans les entretiens, les mémoires ou sur les forums Internet. La barrière de la langue n’affecte guère, en effet, ce genre extrêmement codifié, gouverné par les scènes d’action, qui a tout l’heur de plaire à un public non francophone. La réception de ces westerns a été plus particulièrement étudiée pour l’Afrique subsaharienne (37). Odile Goerg montre l’impact de ce genre auprès d’un public « d’adolescents et de jeunes hommes qui y trouvent à la fois un répertoire de comportements ou de choix vestimentaires et une grille d’interprétation du monde, voire de modernité ». En Tunisie également, ces films s’adressent à un public masculin qui prend pour modèle la figure virile du cow-boy. Mais les jeunes gens se reconnaissent aussi de plus en plus dans les figures rebelles et provocantes incarnées par James Dean, Elvis Presley ou Brigitte Bardot. La jeunesse de Tunisie s’identifie à ces nouvelles idoles en révolte contre leurs aînés. Comme en Espagne, au Japon ou en Pologne, note le père Michel Lelong (1957, 382), les Tunisois se laissent saisir par la fureur de vivre, le « chandail rouge et les blue-jeans de James Dean ». Au Kram, dans la banlieue sud de Tunis, le Ciné Vogbénéficie de la proximité du stade qui attire la jeunesse du coin. B. C., qui a alors une quinzaine d’années et qui est employé comme aide opérateur, encourage son « vieux » patron à projeter tous les films d’Elvis Presley, très populaire parmi les adolescents (38).
La part du cinéma égyptien sur les écrans ne traduit pas l’engouement que suscitent les sorties les plus importantes parmi les Tunisiens juifs et musulmans. Le succès de ces films – comme plus tardivement du cinéma indien – illustre l’importance des échanges culturels entre ces pays qu’on commence à appeler du « tiers-monde ». Plusieurs facteurs entrent en jeu : proximité de la langue et du mode de vie, popularité de la chanson égyptienne diffusée par la radio. Sous le protectorat, le cinéma égyptien a pu symboliser une contestation nationaliste et panarabe. Le genre reste pourtant tenu en dédain par les élites intellectuelles. Ces films séduiraient un public plus conservateur, plus féminin et souvent moins éduqué. Les autorités françaises relèvent ainsi l’attrait du cinéma égyptien chez les populations de l’intérieur, peu francisées. Les milieux plus traditionalistes semblent également privilégier le genre. C’est notamment le cas des étudiants de la mosquée Zitouna interrogés par IBLA (Couffignal et Lelong, 1956, 219). Au contraire, la jeunesse tunisienne issue de l’enseignement « moderne » tiendrait en moindre estime cette production de langue arabe.
Il importe, toutefois, de se garder de certaines généralisations et ne pas opposer un public religieux et conservateur, acquis au cinéma égyptien, à un public réformateur, ouvert à l’Occident, plébiscitant le cinéma américain. Les spectateurs tunisiens font de fréquents allers-retours. 40 % des jeunes zitouniens interrogés par Michel Lelong et Robert Couffignal (1956, 220) déclarent s’intéresser aussi bien au cinéma américain, italien et français. C’est le cas de A. B. qui,avec deux autres camarades de la Zitouna, est un « permanent » du Midi-Minuit, une salle de l’avenue Habib-Bourguiba spécialisée dans le film italien. Il marque une préférence pour le « cinéma vérité, le cinéma réaliste » et professe sa passion pour Silvana Mangano et Gina Lollobrigida (39). L’amour du cinéma « occidental » et du cinéma égyptien ne paraît pas vécu comme une contradiction par les spectateurs. Le public tunisien est, en effet, caractérisé par sa mobilité. Chaque individu se déplace en fonction des circonstances (fête religieuse, sortie du samedi soir, etc.), de son âge – une coupure se produit fréquemment à l’adolescence – de la personne qui l’accompagne (famille, amis, etc.) et du film qu’il souhaite voir. Une exception, toutefois, se fait jour dans cette mobilité du public : il s’agit des femmes qui fréquentent dans de moindres proportions les salles et qui semblent davantage cantonnées aux films égyptiens.
Ce tableau sommaire de la fréquentation cinématographique au tournant de l’indépendance montre un loisir qui, tout en perdant des spectateurs, consolide son rôle dans l’animation culturelle des villes – il est souvent la seule attraction du lieu. Le cinéma ponctue symboliquement de nombreuses étapes de la vie et participe à la construction d’une identité (la première découverte du cinéma à l’occasion d’une fête religieuse ou familiale, le rendez-vous régulier qui soude une bande de copains, la sortie, plus ou moins dissimulée, en couple).
L’impact du cinéma non commercial
Si les salles commerciales sont sans doute les plus visibles, elles sont pourtant loin d’être les seuls vecteurs d’une culture cinématographique en Tunisie. Il convient de prendre en compte l’action des ciné-clubs, les projections organisées dans les salles des fêtes, les écoles, les syndicats (en particulier à l’Union générale des étudiants de Tunisie). Pour Claude Forest (1997, 184) qui a étudié le cas français, « l’exploitation – dans son acceptation habituelle, c’est-à-dire l’ensemble des salles diffusant exclusivement des films, ceux-ci étant de format 35 mm – a toujours été minoritaire en nombre, si ce n’est en influence dans la diffusion des images animées ». Le cinéma non commercial a également joué un rôle primordial dans la diffusion de l’image animée sur le territoire tunisien.
Le rôle de l’école et du corps enseignant
L’école et le corps enseignant sont les piliers du cinéma non commercial en Tunisie. Nous trouvons encore, dans certaines cours d’école, de vieilles installations cinématographiques (40). Le collège Alaoui semble avoir joué un rôle précurseur durant l’entre-deux-guerres (41). « Toutes les écoles de quelque importance sont dotées d’un appareil », affirme la direction de l’Instruction publique à la fin des années 1940 (42). Quelques documents d’archives attestent en effet l’organisation de séances cinématographiques pour les élèves mais ne permettent pas d’évaluer précisément le maillage géographique à l’aube de l’indépendance.
Par ailleurs, des camions cinématographiques vont chercher les spectateurs parmi les populations les plus isolées. Ces caravanes, chargées de la propagande française, sont nées sous le régime de Vichy (43). L’expérience n’a pas survécu à la disparition du Centre cinématographique tunisien en 1948, mais la direction de l’Instruction publique n’hésite pas à monter, en 1952, son propre camion cinéma qui projette dans les villages « des films d’hygiène très simple ou des films de technique élémentaire sur l’élevage et le jardinage » (44). Le camion est envoyé dans les « douars isolés » afin de projeter ces films instructifs « aux populations les plus arriérées ». L’outil, quelque peu délaissé par les services d’Information, est donc récupéré par les éducateurs, à un moment où la jeunesse s’impose comme le grand enjeu de la bataille pour la Tunisie. La perspective de l’indépendance incite la Résidence générale à réinvestir plus directement ce vieil instrument. En 1955, alors que le pays accède à l’autonomie interne, une caravane est brièvement remise en service par le Haut-commissariat : il s’agit désormais de célébrer l’amitié franco-tunisienne. Parmi les sujets d’actualités figurent, ainsi, en bonne place la réception du président du Conseil Tahar Ben Ammar à l’Élysée, son voyage dans le centre et le sud tunisien, les œuvres charitables de la famille beylicale ou les activités diverses du haut-commissaire, le général Pierre Boyer de Latour du Moulin, dont une visite dans un bidonville (45).
L’idée est très rapidement reprise par les autorités tunisiennes sous le nom de ciné-bus. En juin 1956, le haut-commissaire de France accepte de prêter le camion cinéma du service de Presse et d’Information au nouveau secrétariat d’État à l’Information du royaume. La première tournée se déroule entre septembre et octobre 1956 dans la région du nord-ouest. Dès la fin des années 1960, le secrétariat d’État à l’Information ne possède pas moins de 26 ciné-bus (Zalila, 2004, 289). Tahar Cheriaa (2010, 170-171), directeur du cinéma au secrétariat d’État aux Affaires culturelles et à l’Information entre 1962 et 1970, a décrit l’organisation de ces tournées qui, sous couvert de divertissement, doivent à la fois informer et éduquer (hygiène, soin aux animaux, entretien des puits, prévention des accidents dans les mines, etc.). Les séances se déroulent le plus souvent dans les écoles primaires et les lycées mais sont destinées à l’ensemble de la population. Elles sont animées par des instituteurs ou des professeurs. Ceux-ci constituent, en effet, des médiateurs de premier ordre, à la fois proches de la population locale, rompus au discours officiel et à la pratique pédagogique. Dans un contexte historique tout à fait autre – les équipes de cinéma ambulant qui parcourent les campagnes ouzbeks dans les années 1920 – Cloé Drieu (à paraître) a mis en valeur ce rôle spécifique de l’enseignant, chargé d’encadrer l’espace de liberté du spectateur face à l’écran.
L’exemple du ciné-club
Ces séances de propagande et d’éducation ont permis d’initier de très nombreux ruraux au cinéma. Les ciné-clubs se sont adressés à un public plus restreint. Ils ont, toutefois, participé à une véritable révolution dans la manière de consommer les films. En 1954, la Résidence générale recense trois groupements de ciné-clubs : les Amis de la cinématographie française, la Fédération tunisienne des ciné-clubs (FTCC) et le Ciné-club étudiant (46). Le tout regrouperait plus de 2 000 adhérents. Le mouvement est inauguré par la création d’un ciné-club à Tunis en octobre 1949 (M. Lelong, 1957, 389) (47). À la fin de l’année 1950, les statuts d’une Fédération tunisienne des ciné-clubs sont déposés par le professeur André Raymond, alors enseignant au collège Sadiki (48). Le mouvement se développe rapidement. La FTCC regrouperait, en 1957, plus de 4 000 adhérents, Tunisiens et Européens. Se distinguent, notamment, le ciné-club Georges Méliès à Tunis (dont les séances se déroulent au Paris (49)), le Louis Lumière à Sfax, le Jean Vigo à Menzel Bourguiba. Les ciné-clubs tunisiens suivent de près un modèle né en France, « constituer des fiches filmographiques, organiser des débats, former des animateurs » (Montebello, 1997, 157).
La place prise par les ciné-clubs dans l’espace public semble constituer, toutefois, une spécificité tunisienne. Nejib Ayed (Khélil, 2002, 409) n’hésite pas à parler d’un « esprit ciné-club » qui survivrait encore chez ceux de sa génération. Les ciné-clubs jouent un rôle d’autant plus exceptionnel que l’éducation n’est pas généralisée et que l’analphabétisme reste important. Nous relevons donc chez ceux qui ont la chance de faire des études une survalorisation de l’école mais aussi du ciné-club comme lieux de formation de l’individu. Ceci est particulièrement prégnant dans le témoignage de Tahar Cheriaa (2010), originaire d’un petit village du Sahel (Sayada), qui échappe à son destin de tisserand grâce à une bourse du collège Sadiki, dans la plus pure tradition républicaine. Sa passion pour les ciné-clubs est intrinsèquement liée à sa soif de savoir.
Cette tendance est encouragée par les animateurs des ciné-clubs, majoritairement issus de l’enseignement. La composition du conseil d’administration du ciné-club de Sousse en offre un exemple caractéristique : deux professeurs, un instituteur et un inspecteur de l’enseignement primaire côtoient un ingénieur des travaux publics (50). En Tunisie, comme en France, ces animateurs sont généralement des militants de gauche, dont une proportion notable de communistes. À Sousse, le délégué du Haut-commissaire va même jusqu’à dénoncer dans le ciné-club un « instrument discret de propagande communiste, tant par le choix des films ou des sujets de conférences que par les commentaires insidieux qui s’y développent » (51). Dans les faits, les discussions n’ont pas encore pris cette tournure contestataire que nous retrouvons, notamment, dans les années 1970. Le public des ciné-clubs, formé au débat et à la discussion, n’en est pas moins très politisé.
Les bonnes intentions de ces militants de la démocratisation culturelle résistent, toutefois, peu à une cruelle réalité sociologique : les Tunisiens musulmans sont largement minoritaires dans des groupements conduits par des Européens ou des Tunisiens juifs. Les ciné-clubs restent encore réservés à une intelligentsia d’enseignants, d’avocats, de médecins et de pharmaciens. Les étudiants et lycéens eux-mêmes y sont peu nombreux. A. B. se rend de temps à autre au ciné-club de Bizerte, entraîné par un ami du quartier. À Tunis où il est étudiant, cet amoureux du cinéma italien se contente, en revanche, de regarder le ciné-club de loin :
À Bizerte, j’étais attiré par quelqu’un. Parce que, vous savez, les ciné-clubs, c’est comme un cercle fermé, ce n’est pas pour tout le monde. Il faut qu’on soit, d’abord, motivé par le film, être dans une ambiance amicale plutôt, conviviale. Je n’aime pas me sentir étranger. Mais, là, quand je suis épaulé, encouragé, j’y vais.
Les ciné-clubs n’attirent guère les jeunes générations passionnées de cinéma
Cette prise de conscience préside à la naissance, en 1954, du Nâdî al-sinimâ al-šabâb bi-?fâqs, le Ciné-club des Jeunes de Sfax (CCJS), destiné à la jeunesse scolaire de la ville et dont les activités se font exclusivement en arabe. Cette création prend place dans le contexte plus général des années 1950, où l’on assiste à une « tunisification » du mouvement associatif, longtemps dominé par les Français, et à l’autonomisation de sections tunisiennes (Belaïd, 1999a, 358). L’émergence du CCJS marque un pas important dans la prise de parole des jeunes Tunisiens. L’idée se répand progressivement dans les autres villes du pays (Gabès, Sousse, Kairouan, etc.). Le Ciné-club des jeunes est l’occasion d’attirer un public qui dédaigne les ciné-clubs traditionnels et de le faire réfléchir et discuter, en arabe, sur des films soigneusement choisis par des enseignants engagés. Les lycéens sont intégrés dans le bureau du CCJS et participent à l’animation des séances. Afin de lever toute prévention, les parents – les pères, dans la pratique – sont invités à assister en compagnie de leurs enfants aux projections qui se déroulent au cinéma Nour. Les professeurs incitent, par ailleurs, leurs élèves à rameuter tous ceux de leurs camarades qui n’ont pas la chance de fréquenter le lycée dans le but d’ouvrir les séances au plus grand nombre.
Une nouvelle manière de « consommer » les films
La volonté didactique est prégnante comme l’illustre ce tract distribué en 1956 : « En vous souhaitant la bienvenue et en vous promettant son application et son zèle à vous instruire, le CCJS vous demande d’être sérieux et disciplinés ainsi que la même application et le même zèle à apprendre (52). » Tahar Cheriaa (2010, 166), alors professeur d’arabe au lycée de Sfax et principal animateur du groupe, compare à plusieurs reprises les séances du ciné-club à une classe :
Lorsqu’en octobre 1954, j’ai lancé avec mes copains le Ciné-club des Jeunes, pour les lycéens, il m’est venu l’idée, pour ne pas dépayser les élèves, d’y continuer le travail que l’on faisait au lycée : on a des documents de référence, des textes à expliquer, des cours sur la vie de tel poète ou de tel écrivain, ils font des rédactions. Je me suis dit que le Ciné-club des Jeunes devait être comme ça, comme une classe.
Il n’est pas étonnant de voir le CCJS programmer L’École buissonnière, un filmqui met en exergue la figure d’un instituteur aux méthodes révolutionnaires (53). Les lycéens eux-mêmes sont appelés à participer et donner leur avis. À chaque séance, une petite fiche imprimée leur est distribuée avec une courte présentation du film et des questions. Les meilleures réponses sont récompensées, notamment par des abonnements à des revues de cinéma.
Derrière cet évident souci pédagogique, perce le désir de former le nouveau citoyen tunisien. Tahar Cheriaa ne manque pas de lier son investissement dans le mouvement des ciné-clubs à ses convictions nationalistes. L’utilisation de l’arabe dans les présentations et les débats est, pour lui, une exigence non négociable. Les ciné-clubs ont fonctionné traditionnellement en français, langue commune aux animateurs, également maîtrisée par les lycéens. En imposant l’arabe, Tahar Cheriaa entend redonner la première place à sa langue maternelle, trop souvent étudiée comme une langue étrangère. Il n’hésite pas à passer des films égyptiens, boudés des cinéphiles européens, avec pour but avoué de lutter contre les préjugés et de faire reconnaître le talent d’une nouvelle génération de réalisateurs comme Salah Abouseif – dont Le Monstre (54),adapté de Naguib Mahfouz, est présenté en 1956 – ou Youssef Chahine. Le CCJS donne Frontières invisibles qui dénonce la condition des Afro-Américains ou encore La Bataille du rail, le célèbre film de René Clément sur la résistance, qui ne peut rencontrer qu’un fort écho dans la Tunisie de 1955 (55). Des films soviétiques comme Un été prodigieux, qui se déroule dans un kolkhoze, sont aussi projetés (56). Le cinéma néoréaliste – et l’œuvre de Vittorio De Sica au premier chef – occupe également une place importante dans la programmation du CCJS. Durant la seule année 1956, sont projetés Umberto D., Miracle à Milan et Sciuscia (57). Les questions elles-mêmes orientent le débat sur des sujets sociaux. Ainsi, à la suite de la projection de Miracle à Milan le 2 décembre 1956, il est demandé aux lycéens de réfléchir sur ces thèmes :
1- Êtes-vous convaincus du « message » de ce film, c’est-à-dire êtes-vous plus « optimiste » quant à la résolution prochaine de ces problèmes sociaux des chômeurs et des sans-logis ?
2- Quelle est selon vous la pensée de V. de Sica à ce sujet (58) ?
Tahar Cheriaa n’a pas non plus peur de bousculer certains préjugés religieux en programmant Demain il sera trop tard, décrit par Jean Tulard (1995) comme un « plaidoyer en faveur de l’éducation sexuelle », et Elle n’a dansé qu’un seul été (59). Ce film suédois fait scandale dans les années 1950 à cause d’une courte scène de nudité, jugée audacieuse pour l’époque. Dans une longue tirade, l’un des protagonistes condamne sévèrement le puritanisme de la société suédoise à la suite du décès tragique d’une jeune fille. Tahar Cheriaa reproduit et distribue ce discours aux lycéens, ce qui n’est pas sans susciter du remous dans la ville (60). Ainsi, le ciné-club s’impose, dès ses jeunes années, comme un espace de débat et de controverses.
Nous avons voulu mettre en valeur, ici, la diversité des lieux et des pratiques de consommation du film en Tunisie au tournant de 1956. L’exploitation cinématographique se divise en deux pôles qui ne s’opposent pas systématiquement : les projections commerciales, d’une part, et les séances éducatives ou culturelles, parmi lesquelles se distingue l’activité des ciné-clubs. Malgré une large diffusion sur le territoire, grâce notamment aux exploitations ambulantes, le spectacle s’impose comme un phénomène urbain. À l’aube de l’indépendance, l’amour du cinéma est, plus que jamais, associé à cette jeunesse citadine qui tente de faire entendre sa voix dans une société nouvelle. Le mouvement des ciné-clubs ne s’ouvre pourtant encore qu’à sa frange la plus éduquée. Longtemps décrit comme l’activité par excellence des analphabètes – rappelons la célèbre tirade de Georges Duhamel (2003, 39), au début des années 1930, blâmant un « divertissement d’ilotes, un passe-temps d’illettrés » -, le loisir cinématographique apparaît, ici, très lié à la scolarisation. Il suppose, en effet, quelques ressources financières et la maîtrise du français qui reste la langue principale des films, même après 1956 (61). Nous avons, par ailleurs, relevé le lien, presque intrinsèque, entre le corps enseignant et le mouvement des ciné-clubs. Ceux-ci prennent part à cette « étonnante révolution […] dans la consommation cinématographique » évoquée par André Bazin (cité par Loyer, 1992, 45), favorisant la définition d’un cinéma de qualité, mais aussi l’épanouissement d’un regard critique sur la société. Ils devaient ainsi devenir le symbole d’une certaine culture cinéphilique et le berceau de nombreux réalisateurs et producteurs tunisiens (62).
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1. Annuaire statistique de la Tunisie, 1958.
2. Aujourd’hui Jendouba.
3. Aujourd’hui gouvernorat de Kasserine.
4. Annuaire statistique de la Tunisie, 1958.
5. Le premier, devenu Le Rio, est situé 92, rue de Yougoslavie, le second au 43, avenue Habib-Bourguiba.
6. Cf. le témoignage de Marianne Benacin. « Maurice Sitruk du Palmarium », in Jean Belaisch, Nostalgies ensoleillées, 2010. Disponible sur :  [http://nostalgies-ensoleillees.blogspot.com/2010/09/marianne-sitruck-benacin-maurice.html] (consulté le 14 avril 2011).
7. Centre des archives diplomatiques de Nantes (CADN), Protectorat Tunisie, 2e versement, n° 2710 « Contrôle de Tunis : fêtes du Trône, spectacles, théâtres, cinéma, presse, radiodiffusion » et n° 656 « Cinéma, radio, télévision ».
8. Entretien avec M. T., Tunis, 10 février 2009.
9. CADN, Protectorat Tunisie, 2e versement, n° 2710.
10. CADN, Protectorat Tunisie, 2e versement, n° 656, dossier « Cinéma » : note du 24 mars 1954.
11. Annuaire Statistique de la Tunisie, 1958.
12. C’est notamment le cas du Nigéria où les Libanais ont joué un rôle important dans l’exploitation des salles de cinéma (Larkin, 2002 ; Burns, 2006).
13. Il exploite des champs d’olivier, des immeubles et un café (entretien avec Tahar Cheriaa, Ezzahra, 31 juillet 2008). Cf. également les souvenirs d’internautes sur Tunecity.net « Retour à Sfax 11 », in Tunecity.net, 2005. Disponible sur : [http://www.tunecity.net/fr_art_retour_a_sfax_11=1225.html] (consulté le 16 juin 2011) ; « Quelques photos récentes de Sfax », in Tunecity.net, 2005. Disponible sur : [http://www.tunecity.net/fr_art_quelques_photos_recentes_de_sfax=39.html] (consulté le 16 juin 2011).
14. Il y a là un parallèle à faire avec l’étude fameuse de Neal Gabler sur les « juifs qui ont fondé Hollywood », Le Royaume de leurs Rêves (2005, 15-16).
15. La correspondance des directeurs de salle tunisois avec l’administration française montre que la plupart de ceux-ci ont une éducation relativement sommaire (Corriou, 2011).
16. Annuaire statistique de la Tunisie, 1957.
17. CADN, Protectorat Tunisie, 2e versement, n° 701, dossier « Cinéma Le Paris de Bizerte » : télégramme chiffré du haut commissariat de France en Tunisie. Louis Muracciole avait supprimé la relation filmée de la visite rendue par Habib Bourguiba et Tahar Ben Amar au président du Conseil Edgar Faure en août 1955 (n° 37 des Actualités françaises).
18. CADN, Protectorat Tunisie, 2e versement, n° 701, dossier « Cinéma Le Paris de Bizerte » : lettre du consul général de France à Bizerte à l’ambassadeur, envoyé exceptionnel de France en Tunisie, Bizerte, 22 février 1957.
19. « Ce sont là les fautes les plus impardonnables et, malheureusement, les moins contestables. Il est bien probable, en effet, que M. Muracciole, impotent (plus qu’à demi-paralysé), irascible et corse de surcroît, ait tenu devant des amis et devant son personnel, à l’égard du gouvernement tunisien et peut-être du président Bourguiba lui-même, des propos regrettables » (CADN, Protectorat Tunisie, 2e versement, n° 701, dossier « Cinéma Le Paris de Bizerte » : lettre du consul général de France à Bizerte à l’ambassadeur, envoyé exceptionnel de France en Tunisie, Bizerte, 22 février 1957).
20. Cf. Denis, 2004, 35-56.
21. Échanges de courriers électroniques avec Michel Giliberti, décembre 2010.
22. Collection Rim Temimi, Gammarth : déclaration aux fins d’inscription modificative, 13 mai 1961.
23. Entretien téléphonique avec B. C. (né en 1942), 12 novembre 2010.
24. « Tunes célèbres de Tunisie », in www.harissa.com. Disponible sur : [http://www.harissa.com/D_celebres/celebrestunisie.htm] (consulté le 23 juin 2011).
25. Collection Rim Temimi, Gammarth : déclaration aux fins d’inscription modificative, 13 mai 1961.
26. CADN, Protectorat Tunisie, 1er versement, n° 1799, dossier n° 3, fol. 908 : « La mise en valeur de la Tunisie. Situation à la fin de 1946 (année de la deuxième tranche du plan de mise en valeur) ».
27. Annuaire statistique de la Tunisie 1957-1958, 171.
28. Né en 1937, IBLA est la revue de l’Institut des belles lettres arabes, centre d’études sur la Tunisie et l’Islam dirigé par les pères blancs (cf. Bendana, 1992, 73-83). L’enquête est menée auprès d’élèves du secondaire, d’étudiants de la mosquée Zitouna et de l’Institut des hautes études de Tunis.
29. La télévision tunisienne est inaugurée en mai 1966 (Houidi et Najar, 1983, 110).
30. Annuaire statistique de la Tunisie 1956, 1957.
31. Annuaire statistique de la Tunisie 1957-1958, 171.
32. « La Tunisie est une espèce de « monstre » insatiable dont la boulimie filmique est démesurément disproportionnée avec ses moyens aussi bien économiques que techniques. Les 114 cinémas tunisiens consomment annuellement plus de 300 longs métrages nouveaux… alors que les 2 000 cinémas bulgares se suffisent de 100 ! », Tahar Cheriaa, Inventaire du cinéma en Tunisie en 1970, Tunis, 1970. Ce rapport est présenté lors du premier séminaire sur l’inventaire du cinéma dans les pays francophones, organisé du 20 au 24 novembre 1970 par l’Agence de coopération culturelle et technique à Dakar.
33. « En réalité, à une production rationalisée, expansionniste, centralisée, spectaculaire et bruyante, fait face une production d’un type tout différent, qualifiée de « consommation », qui a pour caractéristiques ses ruses, son effritement au gré des occasions, ses braconnages, sa clandestinité, son murmure inlassable, en somme une quasi-invisibilité puisqu’elle ne se signale guère par des produits propres (où en aurait-elle la place ?) mais par un art d’utiliser ceux qui lui sont imposés » (Certeau, 1990, 53).
34. Si Versailles m’était conté, de Sacha Guitry, France, 1953 ; French cancan, de Jean Renoir, France, 1954 ; Nana, de Christian-Jaque, France-Italie, 1954 ; Les Diaboliques, de Henri-Georges Clouzot, France, 1954 ; Les héros sont fatigués, de Yves Ciampi, France, 1955. Avec Yves Montand ; Les Grandes Manœuvres, de René Clair, France, 1955. Avec Gérard Philipe, Michèle Morgan.
35. La Regina di Saba, de Pietro Francisci, Italie, 1952. En une semaine, le film attire 14 400 spectateurs à Tunis (CADN, Protectorat Tunisie, 2e versement, n° 656, dossier « Cinéma » : note du 24 mars 1954).
36. La Donna del fiume, de Mario Soldati, Italie, 1955.
37. Cf. Burns, 2002, 103-117 ; Gondola, 2009, p. 75-98 ; Goerg, à paraître.
38. Entretien téléphonique avec B. C., 12 novembre 2010.
39. Entretien avec A. B., Tunis, 18 août 2009.
40. Dans l’école primaire de la rue Charles de Gaulle à Tunis, un écran était installé au fond du préau. Des draps noirs tendus entre les poutres permettaient de faire l’obscurité et de projeter des films aux élèves.
41. « Le Cinéma à l’école », Cinédafric, octobre 1934, n° 7, p. 27.
42. Archives nationales de Tunisie (ANT), SG2 182 – 9, fol. 8.
43. Cf. Belaïd, 1999b.
44. CADN, Protectorat Tunisie, Postes du Sud, n° 609 : lettre de l’inspecteur général des Contrôles civils aux contrôleurs civils et chefs de bureaux des Affaires indigènes, 17 juillet 1952.
45. CADN, Protectorat Tunisie, Postes du sud, n° 609 : « Circuit Gabès et TST, programme des séances », 1955.
46. CADN, Protectorat Tunisie, 2e versement, n° 656, dossier « Cinéma » : note du 24 mars 1954.
47. Une précédente tentative aurait déjà eu lieu en 1946 (Le Cinéma nord-africain, décembre 1946, n° 3).
48. CADN, Protectorat Tunisie, 2e versement, n° 2693 : lettre du contrôleur civil au directeur des services de sécurité, Tunis, 23 décembre 1950.
49. 27, avenue de Paris.
50. CADN, Protectorat Tunisie, 2e versement, n° 701, dossier « Ciné-club de Sousse » : « Composition actuelle du conseil d’administration », 1955.
51. CADN, Protectorat Tunisie, 2e versement, n° 701, dossier « Ciné-club de Sousse » : lettre du délégué du haut commissaire à Sousse à Roger Seydoux, haut commissaire de France à Tunis, 30 novembre 1955.
52. Archives personnelles de Tahar Cheriaa, Ezzahra.
53. L’École buissonnière, de Jean-Paul Le Chanois, France 1949. Avec Bernard Blier.
54. Al-Wa?š, de Salah Abouseif, Égypte, 1954.
55. Lost Boundaries, de Alfred Werker, USA, 1949. Avec Mel Ferrer ; La Bataille du rail, de René Clément, France, 1945.
56. Shchedroe leto, de Boris Barnet, URSS, 1950.
57. Umberto D., de Vittorio De Sica, Italie, 1951 ; Miracolo a Milano, de Vittorio De Sica, Italie, 1951 ; Sciuscia, de Vittorio De Sica, Italie, 1946.
58. Archives personnelles de Tahar Cheriaa, Ezzahra.
59. Domani è troppo tardi, de Leonide Moguy, Italie, 1950 ; Hon dansade en sommer, de Arne Mattson, Suède, 1951.
60. Entretien avec Tahar Cheriaa, Ezzahra, 1er août 2008.
61. Omar Carlier a observé, pour l’Algérie de l’entre-deux-guerres, le développement conjoint de la scolarisation et de la fréquentation des salles.
62. Cf. les témoignages de Nouri Bouzid, Abdellatif Ben Ammar ou Ahmed Attia dans Khélil (2002).
///Article N° : 11176

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