Jihan El-Tahri (L’Afrique en morceaux, Les maux de la faim) sait allier dans ses documentaires un matériel de haut niveau (entretiens avec les plus hauts responsables ou les plus pertinents, archives d’images) et un montage d’une absolue clarté appuyé par un commentaire qui sans être omniprésent n’hésite pas à donner le la. En bref, de l’efficace et une démonstration sans incertitude.
C’est ici à l’Arabie saoudite qu’elle s’intéresse, pour éclairer la relation complexe que les Etats-Unis entretiennent avec elle, et partant avec le monde arabe. Le film montre ainsi à force d’arguments historiques combien la monarchie saoudienne a toujours considéré les USA comme le principal appui de sa stabilité et de son maintien au pouvoir.
Les 15 Saoudiens terroristes ayant participé aux attentats du 11 septembre sont bien sûr restés en travers de la gorge des Américains. Comment des ressortissants de ce pays allié pouvaient-il ainsi s’attaquer à leur protecteur et soutien ? Pour le comprendre, Jihan El-Tahri remonte à l’alliance des Saoud avec les Ikhwans, intégristes wahabites du désert, qui leur permit de conquérir la péninsule mais les enfermait dans un passéisme déconnecté. Pour moderniser l’Arabie, il durent s’allier contre les Ikhwans aux Oulémas, leur accordant en 1927 le pouvoir de sanctionner la politique en émettant des fatwas. Encore fallait-il les acclimater à l’arrivée des compagnies étrangères pour obtenir les mannes du pétrole. Le contrat passé avec les Américains sera du pétrole pas cher contre leur protection face à leurs ennemis, un pacte qui s’étend vite à l’ensemble du Golfe.
Les Américains construisent ainsi la base de Dhahran qu’ils utiliseront librement, notamment durant la guerre du Golfe. Leur présence est mal ressentie en terre musulmane mais le chewing-gum fait des émules. Pour moderniser, les Saoud continuent de négocier avec les Oulémas : éducation des filles contre surveillance des programmes scolaires, télévision contre diffusion audiovisuelle du Coran, et aujourd’hui le débat sur l’internet
C’est un véritable suspense que Jihan El-Tahri arrive à susciter en racontant cette histoire. La clef en est bien sûr Ben Laden, qui se situe dans la lignée des Ikhwans. Le boom pétrolier exacerbe les tensions entre une modernité importée pour une population qui s’habitue à ne plus travailler, laissant tout faire par la main d’uvre étrangère, et notamment les gigantesques travaux d’infrastructure. La dramatique et sanglante occupation de la grande mosquée de La Mecque en 1979 témoignera de la naissance d’un mouvement violent d’opposition islamiste s’opposant à l’américanisation.
Lorsque Sadam Hussein envahit le Koweït et menace l’Arabie saoudite qui l’avait pourtant soutenu dans sa guerre contre l’Iran, une fatwa des Oulémas permet au roi Fahd de demander leur soutien aux Etats-Unis. Ils le feront payer au prix fort : 17 milliards de dollars, plus le kérosène consommé par l’armada.
Aujourd’hui, le prince Abdallah a presque 80 ans et les bombes des islamistes radicaux d’Al-Qaida menacent la stabilité du Royaume. Les Saoud sont à nouveau en danger, un nouveau suspense se met en place
///Article N° : 3458