La plume de Jean Roger Essomba

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Né au Cameroun en 1962, Jean Roger ESSOMBA a longtemps travaillé dans l’administration française comme inspecteur des finances sans pourtant mettre de côté son amour pour la littérature. Un amour qui prend sa source dans son enfance. Auteur de neuf romans, il s’est entièrement concentré à l’écriture et l’édition depuis qu’il a pris sa retraite de fonctionnaire. Son compatriote, l’écrivain et journaliste Grégoire Blaise Essono passe en revue son œuvre littéraire.

Si pour le parnassien Théophile Gauthier, «… Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne sert à rien… » et que « …Tout ce qui est utile est laid…», une manière de donner la priorité à la forme d’un texte au détriment de son fond, Victor Hugo, l’empereur du romantisme, en pense autrement. Pour lui, la grandeur et la beauté de la Littérature se trouvent dans l’art de savoir manier les mots pour en faire un bon message : « …Des fautes de langue ne rendront jamais une pensée, et le style est comme le cristal : sa pureté fait son éclat… ». C’est donc sous cette bannière qu’il faut ranger l’écriture de Jean Roger Essomba. Sa prose est particulièrement rythmée par des personnifications, des hyperboles, des images et des caricatures. Tout ceci donne, le plus souvent, un ton humoristique à ses textes qui sont généralement des tragédies. L’esprit du lecteur est donc loin d’être surmené pour le décontenancer dans sa quête du message, comme on le constate chez certains écrivains. Au contraire, ces figures de styles, mêlées au suspens que notre auteur sait bien créer, permettent d’aérer la conscience du lecteur et le tiennent en haleine jusqu’au dénouement de l’intrigue, instant crucial pour mieux saisir le fond d’un discours littéraire. 

Deux extraits, tirés de ses livres Une Blanche dans le Noir et Le Dernier Gardien de l’Arbre, mettant en exergue pour l’un une hyperbole et pour l’autre une image, nous permettent d’avoir une idée claire de notre argumentation :

 «… Elle fut prise de vertiges et dut s’asseoir pour ne pas tomber. Mais l’émotion était si intense que, même assise, elle avait l’impression d’être sur un bateau qui tanguait sur une mer houleuse. » 

et 

« … Tu es de ces gens qui veulent manger le miel, mais qui laissent aux autres le soin de chasser les abeilles…». 

De plus, l’univers africain, aussi mystique que mystérieux, qui est en majorité constitutif de la plume de Jean Roger Essomba, demeure encore incompréhensible pour bon nombres de personnes y compris certains africains eux-mêmes. Afin d’ébranler ce mur et permettre au lecteur de saisir sans ambivalence les réalités de ce monde, l’ancien inspecteur des finances use de la focalisation zéro. C’est avec minutie qu’il met en relief les faits et gestes de ses personnages, les événements passés, présents et à venir jusqu’à plonger dans les consciences de ses protagonistes. De ce qui précède, on peut donc justifier que la langue de Molière trouve en J.R. Essomba un de ses fervents innovateurs du XXI siècle, à en croire cette technique d’écriture particulière qui lui permet d’adapter les mystères d’Afrique dans cette langue qui est totalement étrangère à sa culture.

Engagement politique

Jean Roger ESSOMBA est aussi un fervent critique de la politique, africaine en particulier. Il ne manque donc pas, dans ses textes, de tirer à boulets rouges sur ce champ. Sa première satire va tout droit sur l’État post-colonial en Afrique. Selon lui, celui-ci s’y est implanté au détriment des réalités locales. En effet, dans l’Afrique précoloniale, existait une structure politique savamment bien établie qui fit les beaux jours de ce continent. 

Les grands Empires tels que ceux du Ghana, du Mali ou encore du Kanem-Bornou, où est issu Abraham Petrovitch, l’arrière grand-père d’Alexandre Pouchkine, le plus grand auteur russe, le témoignent à merveille. Mais la colonisation a tôt fait de mettre en branle cet establishment en créant ses propres structures y compris une nouvelle classe politique selon le modèle des colons. J. R. Essomba pense donc que c’est cet état des choses qui va faire naître un conflit, qui fait piétiner son continent, entre l’ancienne et la nouvelle classe politique. L’ancienne, cherchant à se repositionnée, éprouve une profonde répugnance à l’égard de la nouvelle qu’elle taxe de tous les noms d’oiseaux. Un extrait du livre de notre auteur, Le Destin volé, nous explique mieux ce conflit :

 «… Mon père, un homme qui pratiquait à outrance le culte de sa noblesse perdue, n’était qu’un modeste chef de service au ministère de la fonction publique. Il se savait au faîte de sa carrière et ne le supportait pas. Lui, le digne descendant d’Effala, noble au dessus de tous les nobles, se faire commander, comme il le disait, sur ses propres terres par des rats palmistes sortis il ne savait trop de quel trou de brousse. Il ne le supportait vraiment pas et nous en pâtissions… ». 

La nouvelle classe politique africaine, quant à elle, de peur de perdre ses privilèges, ce qui peut arriver ou arrive souvent par un renversement politique, souvent encouragé par les néocolons, préfère plutôt céder au chantage de ces derniers au détriment de leurs populations. Un chantage qui s’appuie sur une machination savamment orchestrée que notre auteur met en exergue : 

«… De temps en temps, tu l’entendra à la télévision ou à la radio nous donner des leçons de démocratie et fustiger notre façon de gouverner, ne t’étonne pas et ne t’offusque surtout pas, ça fait partie du folklore, ce n’ai jamais que de la poudre qu’il jette aux yeux de ses électeurs […] De toute façon, tu comprendras bien vite les mécanismes, les commissions sur les ventes d’armes, les concessions pétrolières et autres marchés publics, l’aide qu’on nous accorde grassement avec la garantie qu’une partie retournera alimenter la caisse noire d’un parti politique européen après un cheminement tortueux. Tu comprendras pourquoi ceux-là même qui se plaignent, indignés, devant caméras et micros, que l’aide n’arrive pas aux principaux destinataires, continuent à donner à tour de bras… », Idem. 

Résultat des courses, un pillage inédit des richesses du sol et du sous-sol du continent tandis que les populations végètent dans une misère ambiante sans précédent.

Engagement social

La particularité des artistes engagés est d’être sensibles à leur environnement. Ainsi, à travers leurs œuvres, ils ne manquent pas de mettre en exergue les tares qu’ils y voient ou qu’ils y vivent eux-mêmes. Jean Roger Essomba ne déroge pas à ce comportement. Au contraire, son chef-d’œuvre est plutôt beaucoup plus centrée sur les problèmes auxquels font face les populations qui partagent le même espace géographique que lui. C’est donc dans ce sens qu’il dénonce, avec véhémence, la misère de ses compatriotes. En effet, l’État en Afrique manque de jouer son rôle régalien. Les gouvernants sont plutôt occupés à s’en mettre plein les poches pour donner un mieux être uniquement à leurs familles et leurs proches. Pendant ce temps, les citoyens ne bénéficient d’aucun suivi de l’État qui est censé leur donner un bien être social. Ceux-ci sont alors obligés de se démerder eux-mêmes pour survivre. Une telle situation crée, ipso facto, le manque d’infrastructures et la corruption que notre auteur fait ressortir d’une manière pathétique : 

« […] Lorsque j’atteignis enfin l’amphithéâtre II de la faculté des sciences, véritable étuve aux effluves fauves, une accablantes vague de dépit s’abattit sur moi : toutes les places assises étaient prises, même dans les escaliers et les allées […] L’amphithéâtre II avait été conçu pour accueillir cinq cents personnes, mais c’était deux mille étudiants qui essayaient chaque jour d’y suivre un cours […] Les touristes étaient des étudiants qui avaient perdu toute chance de réussite scolaire. Leur assiduité était devenue sans faille depuis qu’elle obéissait à des impératifs bassement mercantiles. Ils arrivaient très tôt, occupaient les meilleures places et les revendaient ensuite aux plus offrants. Cela ne choquait personne, se débrouiller, dans notre république, était une règle admise et pratiquée par tous à des degrés divers [… ]», Idem. 

Outre le manque d’infrastructures et la corruption qui gangrènent sauvagement sa société, notre penseur fait aussi ressortir d’autres maux comme le tribalisme et les injustices sociales. Une des caractéristiques de la société africaine est l’altruisme qui a longtemps été un élément essentiel pour la stabilité de ce continent. Mais afin de mieux régner, ce fut avec la tactique du Divide Impere que les colonisateurs s’imposèrent. Les ethnies furent souvent dressées les unes contre les autres. Après le départ de ces derniers, la classe politique africaine qui accède au pouvoir va continuer dans la même lancée. Aujourd’hui, certains individus sont parfois victime de discrimination simplement à cause de leur appartenance tribale. Ce qui est parfois à l’origine de certains embrasements socio-politiques. Par ailleurs, « On est quelqu’un derrière quelqu’un. », peut-on souvent entendre dans des milieux africains. Cette boutade n’est pas anodine, elle y connote la nature des relations sociales. Celles-ci sont basées sur les rapports de force qui, eux-mêmes, dépendent de votre statut social. La loi dans ce continent est donc un instrument au service des plus forts.

Critique de la culture africaine

La spiritualité africaine est l’élément fondamental de sa culture. Elle a longtemps régulé cette société en y maintenant la paix, la prospérité et le bien être social. En d’autres termes, en cas d’un problème social tel que la famine, une maladie grave ou un litige qui n’avait pas d’issue, par le truchement de certains rites, on aboutissait, sans faille, à la solution idéale. Mais aujourd’hui, J.R. Essomba pense que cette spiritualité ne joue plus son rôle d’antan. Qu’elle sert désormais les intérêts particuliers. Que les héritiers de cette tradition l’ont détournée de son vrai chemin pour leurs intérêts personnels. C’est donc à tort et à travers qu’ils usent de celle-ci. Des fois même, admet notre auteur, ces héritiers utilisent cette culture comme un instrument de chantage contre leurs populations. Et celles-ci en deviennent donc traumatisées. Tel est le cas de la foudre, autrefois utilisée pour rendre justice, mais aujourd’hui, ses héritiers s’en servent pour s’enrichir. Ainsi nous révèle-t-il dans Les Lanceurs de foudre

« […] De son temps, rendre justice à qui le méritait était un acte gratuit. Mais ce temps-là était désormais révolu, les lanceurs de foudre étaient devenus d’avides chasseurs de primes. Même Ikem, totalement désintéressé jusque-là, ne s’était pas opposé à cette dérive [… ] Au cours des dix dernières semaines, le nombre de morts par suicides et infarctus avaient triplé dans la ville de Toubéra et de ses environs. Chaque gros nuage qui passait provoquait une panique indescriptible chez toutes les personnes à la conscience trouble. ». 

Un autre pilier bafoué de cette culture et qui n’est pas des moindres est le matriarcat. Entendu comme système d’organisation sociale où l’homme et la femme pensent ensemble leur société, chacun avec ses rôles bien déterminés, cette structure a vu la femme joué un rôle prépondérant dans le rayonnement de certaines communautés africaines. Mais aujourd’hui, souligne Essomba, celle-ci est reléguée au rang de sous être, utile uniquement pour la reproduction et les tâches ménagères. Elle est donc vue comme quelqu’un qui ne peut rien apporter d’essentiel à l’homme. Au contraire, ne pouvant s’épanouir sans ce dernier, elle doit plutôt le remercier pour tout le bonheur qu’il lui procure :

 « […] Henri Amougou avait fini sa sieste. Son insatiable appétit sexuel momentanément assouvi, il se préparait à retourner à son travail. Sa femme, toujours très prévenante, lui tendit un imperméable en disant : Mets-le maintenant. La pluie va sans doute commencer à tomber pendant que tu seras dans la voiture. Le procureur de la république obtempéra, mais comme souvent, ne jugea pas utile de remercier sa femme. Dans l’esprit de l’abominable personnage, on n’avait pas à remercier une femme alors qu’elle ne faisait que ce pour quoi elle était faite. Prototype de cette culture patriarcale qui reléguait la femme au second plan, il considérait qu’il lui offrait déjà une vie de rêve et que si quelqu’un devait être remercié, c’était lui. », Idem.

En guise de floraison, la littérature de Jean Roger Essomba est une œuvre atemporelle. Une œuvre sur laquelle le burin du temps ne pourra jamais marquer un trait de vieillissement car elle traite des problèmes relatifs à l’être humain et son environnement. Lesquels problèmes demeureront aussi longtemps que l’humain et son environnement existeront. Un tel engagement nous laisse donc croire que les générations futures pourront s’en inspirer.

Grégoire Blaise Essono


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