La solitude du caricaturiste en Guinée Équatoriale

Témoignage de Ramon Ebale (1)

Propos recueillis par Christophe Cassiau-Haurie
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« Il n’existe pas réellement de dessinateurs en Guinée Équatoriale. Je crois que ce phénomène est lié à la situation qui affecte la bande dessinée dans toute l’Afrique : il n’y a pas de moyens de subsistance pour les dessinateurs et le manque d’appui de la société et des autorités compétentes à l’art en général se fait ressentir. Il existe un nombre incalculable de talents dans tous les pays, en particulier chez les jeunes, qui tendent à développer leur créativité dans un maximum de domaines. Ils en sont conscients car ils ont voyagé et ont constaté que d’autres gens explorent d’autres modes d’expression. Cela n’est pas toujours facile, mais chaque individu réalise ainsi que « son » monde n’est pas aussi limité que certains voudraient le démontrer.
Dans mon pays, je suis le seul et unique dessinateur qui souhaite faire carrière dans ce métier avec des ouvrages que j’aurais moi-même dessinés. Voilà plusieurs années que j’essaye de créer une petite école de formation et une petite maison d’édition pour essayer de sensibiliser les gens à la BD… Mais c’est très dur. L’essentiel de mon matériel de travail se limite à un crayon, des mines A4 et des feutres. J’ai parfois recours au logiciel Corel Painter 9, pour gagner du temps, mais cela coûte cher : n’ayant pas d’ordinateur personnel, je dois en louer un.
Je ne pourrai pas citer des noms de dessinateurs de mon pays, tout simplement parce que selon mes sources d’information il n’en existe pas. Je ne connais qu’un jeune homme qui rêve aussi de travailler dans la bande dessinée et les dessins animés à la télé, mais c’est tout.
La Guinée Equatoriale est encore jeune dans bien des domaines et nous sommes confrontés à de nombreux de problèmes liés à la faiblesse de la presse, aux limites de la liberté d’expression, au manque de bibliothèques, d’imprimeries, de ministères compétents, de sens commun et de milliards de choses encore. Comment se pourrait-il qu’un pays âgé de 40 ans, qui a subi la cruauté d’une colonisation mal gérée, une dictature sanglante et une totale corruption (2), puisse avoir une solide histoire en matière d’art plastique et pictural ?
Ma carrière en tant que dessinateur de presse a été courte. Je critiquais la situation lamentable de certains secteurs sociaux de notre pays (comme le manque d’électricité dans un pays de moins d’un million d’habitants, qui produit plus de 500 000 barils de pétrole par jour). Les journaux n’acceptaient pas mes dessins craignant d’avoir des problèmes avec les autorités. Moi je faisais la critique d’un système que je trouve « dictatorial »… Dans une revue nationale, on m’a par ailleurs défendu de continuer à publier des dessins. Cela s’appelle de la censure.
Il n’y a que deux journaux indépendants vendus sur place : La gaceta (édité en Espagne) et Ebano. Les autres sont les journaux du PDGE (parti au pouvoir) comme La voz del pueblo et La razon. Je ne sais pas où est passé La verdad, éditée par le principal parti d’opposition, le CPDS. J’ai travaillé pour La gaceta et pour La verdad. Le rédacteur en chef de La gaceta m’a dit qu’il ne pouvait plus continuer à publier mes travaux, jugés trop dangereux, et La verdad, a disparu après la caricature que j’avais faite du président et du maire de la capitale suite à des incendies.
J’ai été le premier à caricaturer le président dans un journal issu de l’opposition, et ce geste a failli coûter son poste à mon père. Il faut vivre ici pour comprendre tout ça… Il faut noter que les journaux sortent de façon épisodique tous les mois ou tous les deux mois, alors quand je proposais un dessin, le thème n’était plus d’actualité.
La vérité c’est qu’on ne peut comprendre ce qui se passe dans ce pays que si l’on y voyage, en observant comment cette société se meut.
On comprend mieux alors pourquoi la Guinée Equatoriale n’a ni dessinateurs de presse, ni bédéistes, ni éditeurs, aujourd’hui comme hier. Je continue de m’étonner du manque de respect de certains, qui se disent du « vieux continent » et qui viennent en visite avec des informations de premier ordre. Quand on les croise, ils nous parlent comme à des « idiots » des grands progrès de l’actuel régime. C’est un manque de respect, qui démontre clairement que nous allons devoir affronter de grands défis, afin de faciliter le chemin de nos enfants. La Guinée Équatoriale ne possède rien qui puisse apporter une vision plus optimiste du domaine artistique et culturel. Nous sommes encore immergés dans l’univers de Mortadelle et Philémon (3).
Je suis allé aux États-Unis en mars 2009, invité pour un évènement autour de l’art contemporain africain. J’ai découvert avec plaisir et étonnement que selon les organisateurs de cette manifestation, Ramon Esono Ebalé était l’une des références guinéennes en matière d’art contemporain. Un tel profil d’artiste en devenir laisse présager que la nouvelle génération de ce pays ne pourra exister que si des « talents » comme moi sont considérés et respectés dans leur propre pays. J’ai donc pu parler de l’activité culturelle de mon pays. J’ai aussi exposé mes dessins, mes planches et quelques illustrations.
Depuis tout petit, je rêve d’éditer une bande dessinée. Voilà déjà 30 ans que je porte ce rêve et à mesure que le temps passe, je réalise qu’il me faudra suivre un chemin que je n’avais pas envisagé et que le moment est peut-être venu de quitter le pays, malheureusement, pour aller tenter ma chance en Europe. Mais le rêve de cette condition sociale est freiné par les problèmes liés à la régularisation, qui font qu’un Africain ne se sent pas chez lui en Europe.
Comme la majorité des jeunes hommes de mon pays actuellement, si j’obtiens un travail dans une entreprise pétrolifère américaine implantée en Guinée, je mettrais le dessin de côté pendant un moment et il est possible que l’envie se perde. Parce que dans des pays comme le mien, ce sont les rêves qui nous maintiennent en vie. La réalité nous fatigue tellement, qu’elle finit par nous tuer. »

1. On peut avoir une idée de son parcours dans l’article La BD en Guinée équatoriale sur le site d’Africultures (n°6918).

2. Le président équato-guinéen Theodoro Obiang Nguema fait partie des trois chefs d’Etat d’Afrique centrale sur le patrimoine desquels un juge français a décidé d’enquêter en mai 2009.

3. Célèbre série espagnole de bandes dessinées des années 70.Propos recueillis par Christophe Cassiau-Haurie et traduits par Amande Reboul.

Œuvres visibles de Ramon Ebale :
Africa comics 2005-2006, Ed. Lai Momo (Italie)
La BD conte l’Afrique, Ed. Dalimen (Algérie), 2009
– Dans la revue en ligne Para Jaka ! : http://kis90bd.free.fr/les_zamignoufs/pages/webzine_para_jaka_page_01.php///Article N° : 9066

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