En fin d’année 2018, la collection L’Harmattan BD publiant en français La pesadilla de Obi, brulot satirique et corrosif du dessinateur équatoguinéen Ramon Ebale qui a valu à celui-ci un séjour en prison dans son pays d’origine. Le OFF du Festival International de Bande dessinée d’Angoulême a honoré cette démarche en décernant à cet album le prix « Couilles au cul », distinction créée dans la foulée de l’attentat de Charlie hebdo (sous la mention à l’époque du « Prix du courage ») en 2015. En quatre années d’existence, ce n’est pas la première fois que le continent reçoit ce prix (la Tunisienne Nadia Khiari en 2016 avec Willis from Tunis), ce qui démontre bien l’engagement des artistes et dessinateurs du continent en faveur de la liberté de critiquer et de créer. Retour sur les conditions de création de cet album avec la postface présente dans l’ouvrage du Directeur de collection de L’harmattan BD, Christophe Cassiau-Haurie.
Il y a des albums dont on est fiers, qui donnent du sens à notre action, notre travail. Celui-ci en est un. Le cauchemar d’Obi a été publié pour la première fois en 2014 sous le titre espagnol La Pesadilla de Obi, grâce à un financement de l’ONG EG Justice. Une version en langue anglaise a suivi, dans la foulée. Il est l’œuvre de Chino et Tenso tenso au scénario et de Ramon Ebale aux dessins. Cet album dénonce et caricature ouvertement Téodoro Obiang Nguema, président actuel de la Guinée équatoriale, petit pays pétrolier divisé entre une partie continentale et une partie insulaire. Mais le terme « pays pétrolier » n’est pas le plus juste pour qualifier ce pays, on devrait plutôt parler de « monarchie pétrolière ». Depuis l’indépendance en 1968, ce petit pays, le seul de langue espagnole en Afrique, n’a été dirigé que par une seule famille : les Nguema. Ce fut tout d’abord, Francisco Macias Nguema, qui fit régner la terreur tout au long de ses 11 années de règne absolu. A certains égards, son régime a pu paraître aux yeux des observateurs extérieurs comme ubuesque, voire comique. Durant cette période, les citoyens avaient l’obligation d’appeler le président « Miracle unique de la Guinée équatoriale », la capitale fut baptisée Macías Nguema Biyogo, le port de chaussures fut prohibé, le chemin de fer démantelé, la principale centrale électrique de la capitale fut fermée, Nguéma prétendant pouvoir alimenter la capitale grâce à ses pouvoirs magiques. Dans le même ordre d’idées, ancien fonctionnaire à la poste, Macias Nguema fit émettre plus de 1500 timbres entre 1968 et 1979, alors que le pays était replié sur lui-même…
A cette époque, l’auteur de ces lignes habitait Douala, ville portuaire camerounaise située en face de l’île Bioko et une toute autre rumeur circulait sur ce pays, dont on pouvait apercevoir la silhouette de loin, toujours dans la brume. On y parlait de milliers d’exécutions[1], d’hôpitaux et d’écoles supprimés, de médecins et d’enseignants espagnols expulsés, de l’effondrement de la pêche et de la culture du cacao – pourtant l’une des principales ressources de l’île – et enfin d’une grave crise alimentaire, aggravée par l’arrêt des importations de médicaments et autres produits de première nécessité. Toute une population mourrait de faim, littéralement, sans pouvoir s’échapper du pays. En 1979, son neveu, Teodoro Obiang Macias, personnage central de cet album, prend le pouvoir et fait exécuter son oncle. Si son règne est moins sanglant que celui de son oncle, il n’en est pas moins vrai que les droits de l’Homme y sont bafoués, les opposants emprisonnés et torturés et toutes revendications sociales, économiques ou politiques systématiquement muselées. De fait, la Guinée équatoriales est toujours une dictature, l’une des plus dures qui soit en Afrique, et où la corruption règne en maître, en particulier au plus haut sommet de l’Etat. Malgré une importante richesse du pays liée aux ressources pétrolières, les inégalités restent considérables. Alors que alors que le peuple de Guinée Équatoriale manque de tout, Téodorin Obiang, fils du président, est au cœur d’une affaire des « biens mal acquis » et condamné par la justice française en première instance à de la prison avec sursis et à plusieurs millions d’euros d’amende.
Si les deux scénaristes signent d’un pseudonyme (Chino et Tenso Tenso) afin de rester anonymes, il n’en est pas de même du dessinateur de cet album. Ramon Esono Ebalé (dont le nom d’artiste est Jamon y queso) est un ancien caricaturiste pour des magazines espagnols (La Gaceta de Guinée Equatoriale, Hola, El Patio, Okume) et quotidiens nationaux (La verdad et La razon à ces débuts), Ramon est également auteur de BD, quasiment le seul dans son pays. Il a également travaillé pour le film animé, Un día vi 10.000 elefantes. Enfin, Ramon a participé à plusieurs albums collectifs et revues. Son travail a été présenté au Festival de BD d’Angoulême en 2003 dans le cadre de l’exposition Vues d’Afrique ainsi qu’à plusieurs autres Festival et salons à travers le monde (FIBDA d’Alger, Bologne, la biennale d’art contemporain de Madrid, le FESCARY de Yaoundé, etc.). Depuis 2011, il alimentait un blog qu’il avait créé et dans lequel il émettait et dessinait des commentaires critiques sur le président Obiang Nguema et le gouvernement équato-guinéen, avant que celui-ci ne soit bloqué par les autorités.
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Il s’était exilé avec sa famille en Amérique du sud (Paraguay) il y a quelques années. De passage dans son pays d’origine afin de faire renouveler son passeport, Ebalé, a été arrêté avec deux amis le 16 septembre 2017. Ces derniers, tous les deux ressortissants espagnols, ont été libérés rapidement alors que Ramon a été incarcéré le jour même à Malabo à la prison de Black Beach et n’en est ressorti que près de six mois après avec une assignation à résidence dans son pays d’origine. Une mobilisation internationale a permis cette issue heureuse. Début novembre 2017, Cartoonists Rights Network International lui a décerné le prix Courage dans le dessin de presse, cette récompense est décernée à un ou plusieurs « dessinateurs humoristiques ayant fait preuve d’un courage et d’une abnégation exceptionnels dans l’exercice de leur profession et du droit à la liberté d’expression ». Il y a eu également la création d’une page facebook, d’une pétition, d’appel à la libération de différentes organisations comme Reporters sans frontières, Cartooning for peace, etc. Ramon a payé cher son indépendance d’esprit. Il disait, il y a une dizaine d’années, lors d’un entretien sur le site Africultures : « Parce que dans des pays comme le mien, ce sont les rêves qui nous maintiennent en vie. La réalité nous fatigue tellement, qu’elle finit par nous tuer. » C’est la raison pour laquelle, il nous a semblé important d’éditer en français Le cauchemar d’Obi, afin que la voix de ces hommes courageux se fasse entendre le plus possible.
Christophe Cassiau-Haurie,
[1] De nos jours, on estime ce nombre à 50 000 pour une population inférieure à 300 000 à la fin des années 60.