L’Amazone candidate

De Sanvi Panou

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Rien n’est plus délicat pour le cinéma, fût-il documentaire, que de prendre directement le jeu électoral pour sujet : il est aussitôt soupçonné de partialité. Déjà, l’Algérien Malik Bensmaïl avait suivi dans Le Grand jeu (2005, 90 min.) la campagne électorale aux présidentielles 2004 d’Ali Benflis, ancien Premier ministre et secrétaire général du FLN, challenger du président sortant Abdelaziz Bouteflika. Le cinéaste marquait une évidente sympathie pour son sujet, ce qui avait déplu au point qu’il fut déprogrammé par deux chaînes de télévision françaises qui l’avaient pourtant préacheté : LCP-AN et TV5Monde. LCP-AN estimait que le réalisateur aurait dû suivre tous les candidats à l’élection au lieu de s’attacher au seul Benflis. Chez TV5, on s’est contenté d’annuler la diffusion deux fois de suite : à cause du festival de Cannes puis au moment des changements d’équipe au sein de la chaîne. Les chaînes ne souscrivaient donc pas au regard subjectif sur le réel, en cinéma direct assumé, d’un réalisateur qui s’attachait justement à ce candidat car il essayait de remobiliser un électorat qui se détournait de la vie politique.
Avec L’Amazone candidate, Sanvi Panou colle lui aussi aux talons d’un candidat à la présidence, cette fois au Bénin et avec une différence sensible : Maître Marie Elise Gbedo est une femme. L’expérience française de 2007 montre combien il faut du caractère pour s’imposer à un tel niveau dans un monde d’hommes. Du caractère, Mme Gbedo n’en manque pas. Démissionnaire du gouvernement Kerekou où elle était ministre du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, et déjà candidate aux présidentielles de 2001, elle s’est représentée en mars 2006 en dépit de son score à un chiffre. Cette avocate est une vraie pasionaria, sensible aux injustices et au sort des déshérités, soucieuse de renouveler la vie politique. Sa liberté de ton révèle un véritable jeu politique dans ce pays qui avait initié le cycle des conférences nationales et réalisé ainsi son retour vers la démocratie.
Sanvi Panou se concentre sur la personne, la filme en famille autant qu’en campagne, laisse parler ses proches. En laissant largement de côté les problématiques sociales qu’elle peut développer et dans lesquelles elle inscrit sa candidature pour se concentrer sur son discours de « femme debout » encourageant les autres femmes à l’être avec elle (en votant pour elle), Panou privilégie le côté amazone du personnage. Agressée puis criblée de quatre balles dans le corps dans les années 90, Mme Gbedo est un véritable mythe et son histoire une épopée. Panou la filme ainsi dans toute sa gloire, en héroïne des temps modernes, à l’image de ces guerrières qui méprisent les discriminations pour prendre leur place en bousculant les patriarches. On retrouve la guerrière, lance à la main, juchée sur le dos d’un cheval cabré, de l’Etalon de Yennenga, grand prix du Fespaco. Interdite de mariage par son père le roi, Yennenga avait été chargée de guerroyer dans des terres lointaines. Son cheval s’emballe au cours d’un combat et l’emporte à la rencontre de Rialé, un chasseur solitaire qui lui porte secours. De leur union naîtra le grand héros Ouédraogo, qui signifie étalon, fondateur de l’empire des Mossis. L’amazone candidate est dans la caméra de Sanvi Panou comme l’Etalon de Yennenga un symbole de résistance, que le cinéaste solitaire, distributeur et producteur engagé, s’emploie à maintenir bien vivante. Il fallait cette référence au mythe pour servir Mme Gbedo et à travers elle la vision d’une Afrique debout.

///Article N° : 5929

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