Depuis 1990, ce cinéma parisien s’est forgé une identité propre dans sa catégorie art et essai : la promotion des oeuvres issues des cultures noires et d’autres cultures en état de » sous-représentation « . L’initiateur du projet a, entre-temps, étendu ses activités à la réalisation, la production et la distribution de films. A l’approche de la dixième édition de son festival du film, il fait le point sur le chemin du militantisme parcouru.
Sanvi, pourriez-vous brièvement nous retracer votre carrière cinématographique ?
Cela fait une trentaine d’année que je fait ce métier. J’ai commencé par le théâtre qui est ma première vocation, ma première passion, et qui le reste d’ailleurs. J’ai commencé à faire du théâtre dans les écoles puis dans les universités, avant de regagner le cours René Simon, ici, d’où je suis sorti avec le Grand Prix Dramatique en 1966. Puis j’ai monté un certain nombre de pièces de théâtre, de Leroy Jones à Bertold Brecht… Aymé Césaire, Franz Fanon et d’autres textes littéraires militants. J’ai fait plusieurs films en tant qu’acteur, avec des premiers rôles. Le film qui m’a fait le plus connaître est Le sang du flamboyant. Ensuite, dans les années 90, j’ai décidé de mettre en place un espace qui soit un lieu privilégié pour la diffusion de films africains et de cultures noires : Images d’ailleurs. De là, mes activités cinématographiques se sont diversifiées, dans la distribution de films, la production et l’organisation d’un festival annuel avec toute l’équipe du cinéma. Voilà globalement ce que j’ai fait.
Quels seront le thème et les temps forts de cette dixième édition du festival?
Le thème de l’an passé était celui de Cinéma et résistance. Celui de cette année sera Cinéma et droits de l’homme. Cela rentre dans la logique des films de lutte que nous présentons. Ceux qui suivent régulièrement notre programmation savent que nous ne sommes pas un cinéma comme les autres, mais un espace de cinéma alternatif, ayant tendance à promouvoir des films portant les préoccupations des peuples de cultures noires. Pendant ces dix années de programmation, nous nous sommes toujours orientés vers des films qui ont à la fois des contenus esthétiques – ce qui est notre priorité en matière de cinéma – et une réflexion sur le social, le politique, et le combat au quotidien des peuples de cultures noires… et d’ailleurs.
Avez-vous privilégié certains axes de réflexion dans le traitement de ce thème ?
Nous avons tâché de développer ce principe : programmer dix films par continents, soit une cinquantaine de films sur différents supports, en 35mm, 16mm ou même en vidéo. Tous les genres y sont représentés, fictions ou documentaires. L’idée est de s’ouvrir sur les cinq continents, au travers de films traitant diversement de ce thème – et Dieu seul sait si c’est un thème qui devient d’actualité pour beaucoup de nations et de peuples déclassés ou en difficulté. Comme à l’accoutumé, nous accompagnons nos projections de différentes tables rondes. L’une d’elles sera consacrée aux étrangers et au droit de vote. Je pense qu’un festival, c’est aussi se réunir autour de l’image pour poser des problèmes de quotidienneté. Faisant partie de la branche créatrice et militante de la diaspora, il nous serait difficile de parler des droits de l’homme sans parler de ce qui préoccupe la grande majorité des étrangers, qui ont choisi de partager et de vivre la culture française, et qui sont exclus des élections les plus élémentaires telles que les municipales. Ce sera un temps fort du festival. Nous traiterons aussi du droit international. Cela m’intéresse particulièrement, au regard de l’impasse dans laquelle se trouve l’Afrique aujourd’hui, en terme de politique, de démocratie et de lutte sociale. Je n’y voit pas d’issue, exceptée la notion de droit international, en tant qu’ultime recours pour protéger à l’échelle mondiale les peuples exclus de la démocratie. L’exemple de Pinochet fait école et l’impunité des politiciens doit disparaître pour que la démocratie puisse progresser. Mais le droit international, c’est aussi la libre circulation des hommes et de la pensée. D’imminents spécialistes et des juristes viendront nous parler des évolutions dans ce domaine. Nous nous pencherons aussi sur les droits de l’enfant, sur les ONG qui combattent son utilisation abusive dans le monde. Des militants nous en feront un état des lieux. Un autre temps fort sera celui de la rencontre traitant du cinéma et de l’exclusion. Celle-ci s’opère dans le cinéma en termes économiques comme en termes d’idées ou de cultures. D’autres encore traiteront du droit au logement, de la place des noirs dans le cinéma mondial, du néolibéralisme, avec notamment la participation de Jean Druon. Des films spécifiques appuieront tous les débats.
Quelle est votre position, en terme d’universalité, sur le médium cinématographique et sur la définition des droits de l’homme ?
Ma réponse est de concevoir un cinéma porte-parole d’autres cultures et d’autres visions du monde. Le cinéma est effectivement aujourd’hui un outil universel pouvant servir le dialogue, le partage ou la lutte exprimés dans différents contextes. Cette vision de l’image universelle m’intéresse, tout comme développer ce que le cinéma ne fait pas, c’est à dire une vitrine de représentations culturelles. On se rend compte qu’aujourd’hui le cinéma a été beaucoup utilisé, notamment par les américains, à des fins culturelles et économiques. Je pense que l’Afrique est un continent très attendu sur le plan culturel, mais que, pour des raisons technologiques et autres, elle n’a pas su se promouvoir dans le domaine cinématographique. Les développements technologiques des médias, de l’internet sont une nouvelle chance que nous devons saisir. J’ai l’habitude de dire que la révolution que nous avons du mal à faire, nous en Afrique – j’appelle révolution une sortie du sous-développement et une adhésion au respect des droits de l’homme – cette révolution, la technologie est en train de la faire à notre place, grâce à son développement et à la mise en place de l’internet. Beaucoup de murs vont tomber, des murs de répression peuvent tomber parce qu’il y a une puissance de l’outil de communication qui sortira l’Afrique de son isolement.
Vous avez été le scénariste, le réalisateur et l’acteur d’un moyen métrage » Pressions « , sorti en 1999, avez-vous d’autres projets en gestation ?
Oui, c’était une manière de se préparer pour un long métrage. La réalisation et la production de Pressions répondait à la stratégie d’Images d’ailleurs qui tient en trois étapes. Mettre en place un lieu de projection aidant des films africains en difficulté, c’était la grande priorité. Pas plus de deux ou trois films africains sont distribués sur les dix réalisés chaque année. Ceux qui sortent restent à l’affiche quatre à six semaines et disparaissent pour de bon, alors qu’ils ont demandé en moyenne quatre à cinq ans de travail ! Nous les récupérons et les montrons dans une programmation de longue durée, et en dix ans, l’expérience et le lieu d’Images d’ailleurs sont devenus complètement identifiés. La deuxième étape est la mise en place d’une structure de distribution. Elle est indispensable car beaucoup de jeunes réalisateurs ignorent les difficultés qui les attendent après une réalisation déjà compliquée de leurs films. Ils se retrouvent coincés à ce stade pour trouver une personne qui sache négocier les passages en salle. C’est la raison pour laquelle nous avons créé Orisha Productions et Distribution qui a distribué quatre films : Au nom du Christ, Leïla ma raison, Vie et mort de Peter Tosh et Zaïre, le cycle du serpent. C’est alors avec bonheur que nous avons bouclé la boucle avec la production. Il s’agissait de créer une structure indépendante qui ne soit pas soumise au fonctionnement conventionnel du cinéma, au fait de devoir chercher quatre ou cinq ans le financement d’un film dans le monde entier. Pressions a été fait dans cet esprit et cela a aussi été pour nous une école. Ce n’est pas par plaisir de cumuler, de vouloir nécessairement tout faire, mais il s’agissait de créer un outil qui se prenne en charge et permette de créer à une cadence plus raisonnable que ce que l’on connaît. Je prépare donc un long métrage pour le Bénin qui s’intitule Les oubliés du bon Dieu, une adaptation du roman de Sony Labou Tansi L’antépeuple. Il devrait rentrer en production d’ici novembre 2000.
Vous nous racontez certaines difficultés du cinéma africain, qu’en est-il de celui des diasporas de l’immigration récente, y compris des jeunes générations nées en France ?
La plupart des cinéastes de cultures noires vivants en France, comme moi, ont d’abord dû s’exiler pour échapper au manque de structures de production et de distribution existant dans leurs pays d’origine. C’est un exil à la fois forcé et volontaire pour continuer à faire des films. Au bout de vingt ou trente ans, nous devenons malgré nous des cinéastes de la diaspora. Nous sommes bien obligés de nous inspirer de notre environnement quotidien. Ces oeuvres vont inévitablement enrichir le cinéma noir parce qu’il y a une réalité culturelle issue de l’immigration. Il y a un point de vue cinématographique à défendre qui sera complémentaire de ceux qui proviennent d’Afrique. Je suis conscient de cela. En ce moment, il y a des acteurs comme Hubert Condé, né ici, qui commencent à réaliser. Isaac de Bankolé aussi, il a fait le choix de vivre plutôt aux Etats-Unis qu’en France. Un garçon comme Owens fait des courts métrage et se cherche peut-être encore. Je comprend bien qu’il y ait une attente en la matière mais on ne peut pas encore parler d’un cinéma de la nouvelle génération, les difficultés de production restent toujours les mêmes, y compris pour ceux vivant ici.
Quels sont selon vous les principaux pôles de la création cinématographique noire d’aujourd’hui ?
Dans la communauté noire outre-Atlantique, depuis la révélation de Spike Lee, il y a un certain nombre de cinéastes qui ont commencé à filmer différemment, à réécrire leur propre histoire. Cela en accroît certainement l’influence. Pour ce qui est de l’Afrique, je pense à des exemples comme Chikin Biznis, ce film du sud-africain Ntshaveni Wa Luruli qui, avec beaucoup de dérision et d’humour, essaye de nous montrer une autre forme de narration cinématographique. Cela constitue pour nous quelque chose de radicalement différent. Le cinéma de Med Hondo s’est démarqué, dés son premier film, par son militantisme et continue malheureusement à rencontrer beaucoup de difficultés supplémentaires du fait de cela. Je compte beaucoup plus aujourd’hui sur une jeunesse pour dynamiser la création – je parle par exemple de Jean Odoutan qui a fait Barbecue Pejo – que sur les Sembene Ousmane, Souleymane Cissé, qui ont déjà beaucoup contribué, en terme d’idées et d’esthétique, au cinéma africain. Cette génération issue des nouvelles technologies, de l’internet sera peut être à même de renouveler le cinéma africain, mais elle n’en restera pas moins tributaire des moyens de production. Là aussi, elle se devra d’être inventive et réaliste car les avancées restent aujourd’hui limitées. Restons positifs, on se rend compte en voyageant que la culture africaine est l’une des moins promues et l’une des plus attendues. Cela dit, je me rends compte en voyageant en Afrique que les films africains n’y sont pas vus pour plusieurs raisons. Les contenus de nos films peuvent passer à coté des préoccupations des africains. Est-ce que le système de subventions de ces films détourne les cinéastes africains de leur public privilégié ? On ne pourrait pas pour autant tirer un trait sur ce qui fait le cinéma d’auteur et faire des films spécifiquement pour ceux qui ont été tenus à l’écart de sa diffusion. De toutes façons, la qualité première du cinéma restera toujours de savoir raconter une histoire. C’est ce qu’on retrouve dans la griotique propre à notre culture.
Quel avenir pour l’aventure d’Images d’ailleurs ?
Je considère cette expérience comme une petite goutte lâchée dans la mer, que c’est un acte symbolique plus qu’un acte d’une grande portée. Il devrait être répété ailleurs, dans les banlieues et aussi en Afrique. Des cinéastes africains commencent à considérer comme prioritaire le fait de disposer chez eux de lieux de diffusion. Cela a déjà été concrétisé au Cameroun et en Centrafrique. Pour notre part, nous envisageons d’ouvrir un nouvel espace en province. On pense que Marseille, pour l’importance de sa communauté africaine et maghrébine, aurait besoin d’un lieu permanent. Si cela fonctionne, pourquoi ne pas en étendre le principe à d’autres villes et dépasser le stade d’acte symbolique ? Par ailleurs, l’équipe d’Orisha se consacrera désormais à développer davantage la production de films, y compris de jeunes réalisateurs. Elle s’attachera à les sortir de leur isolement pour développer une programmation sensible à leurs préoccupations.
Cinéma Images d’ailleurs – 21, rue de la Clef – 75005 Paris
Festival Cinéma et Droits de l’Homme du 20 au 30 avril 2000 – rens. au 01-45-87-18-09///Article N° : 1347