En septembre 2010, Images d’ailleurs aurait eu 20 ans. Qui n’est pas allé se faire une toile, souvent africaine, dans une des deux salles du centre culturel La Clef ? Ce cinéma du 5e arrondissement était accessible mais un peu isolé. Sans doute est-ce là son histoire qui se solde tristement aujourd’hui par la fin de son bail et une cessation d’activités, la liquidation ayant été prononcée le 29 mai 2009 par le Tribunal de Paris. Quelle mobilisation imaginer pour une nouvelle dynamique ? Une conférence de presse est organisée le 11 juin à 10 h 30 à l’Espace St Michel à Paris.
Accessible, certes, au centre de Paris, avec des places au prix modique, Images d’ailleurs n’en était pas moins isolé. Géographiquement décentré des regroupements de salles, assis sur un strapontin dans une profession méfiante d’une initiative associative et militante et qui ne faisait que la tolérer, Images d’ailleurs a été la tentative de créer et faire perdurer dans le maelström parisien un espace de cinéma dédié aux cultures noires et de la diversité. Et a réussi à se faire classer cinéma d’art et d’essai en première catégorie (A). Car si la spécificité africaine était marquée par la projection systématique sur une durée que n’offre aucune autre salle des derniers films africains sortis, la force tranquille d’Images d’ailleurs ne tenait pas dans un ghetto mais bien au contraire dans la diversité : son équipe sélectionnait en fonction de ses goûts et de ses engagements des films de tous les continents, privilégiant ceux qui permettent la découverte et l’interrogation culturelle.
Lieu d’accueil d’initiatives multiples, Images d’ailleurs agissait comme centre culturel. Son festival annuel était un grand moment d’approfondissement et de rencontres. Les projections de films hors circuit faisaient de la rue de la Clef un lieu nécessaire aux cinéastes et associations de toutes origines.
Mais faut-il donc en parler à l’imparfait ? L’enjeu du débat actuel est de savoir sur quelle dynamique bâtir un nouveau projet, forcément bilan de 20 ans de lutte et intégration des nouvelles donnes.
A la base d’Images d’ailleurs, un homme têtu, déterminé, qui ne lâche pas (cf. [ entretien n°1347]). Un homme-orchestre : comédien à l’origine, poète et metteur en scène, devenu producteur (Orisha Films) et distributeur, le Togolais Sanvi Panou est également passé à la réalisation en s’essayant au court métrage (Pressions, 1999), au documentaire (Beauté, grandeur nature, 2005, sur les Nana Benz de Cotonou, et L’Amazone candidate, 2007, sur Marie Elyse Gbédo, la dame de fer béninoise, alors qu’elle se présentait pour la deuxième fois aux élections présidentielles) et à la série télévisée (Deuxième bureau, 2008).
Sous sa houlette, Images d’ailleurs a tenu le coup 20 ans, non sans tanguer à tous moments : pas facile de maintenir un tel lieu entre de faibles recettes et des aides incertaines. Après d’âpres négociations, Panou a pu faire baisser de moitié en 2002 le loyer de 24 000 euros par an du centre culturel La Clef. Reconnaissant l’importance d’un tel lieu, la mairie de Paris l’a soutenu par une subvention annuelle sans laquelle l’équilibre n’aurait jamais pu être atteint. L’ouverture permanente du lieu exigeait une double équipe et une rénovation générale du lieu aurait été nécessaire.
Le propriétaire, le comité d’entreprise de la Caisse d’Epargne de Paris, avait investi récemment, renouvelant les fauteuils et changeant les cabines. Paradoxalement, il a pourtant notifié par huissier de justice la non-reconduction du bail avec un simple préavis de trois mois, forçant le cinéma à interrompre ses projections à la fin mai 2009, indiquant vouloir vendre les lieux.
Choqué par cette procédure cavalière, Sanvi Panou lance une pétition et un comité de soutien (cf. [ murmure n°5007]). Une solution d’achat du lieu aurait pu être recherchée s’il avait disposé du temps nécessaire, mais les relations avec le Comité d’entreprise n’étaient pas bonnes. Un pourcentage sur la billetterie devait permettre au CE d’entretenir la salle, ce qu’il ne faisait qu’insuffisamment selon Sanvi Panou. Par ailleurs, il était nécessaire d’attendre le versement de la subvention de la mairie de Paris pour s’acquitter du loyer annuel, ce qui conduisait à des tensions sur les délais.
Ses interlocuteurs reprochent à Sanvi Panou de ne pas les avoir informés de ses difficultés. Sans doute par peur de remettre en cause la subvention de l’année dans le contexte de tension dû à la crise, la Mairie de Paris n’a été prévenue qu’une fois la fermeture accomplie, n’ayant plus le temps de pouvoir se retourner pour chercher une solution alors même que le maintien d’un cinéma et d’un centre culturel lui sont fondamentaux. Quant au Comité d’entreprise propriétaire, il n’était pas au courant de ses problèmes de trésorerie qui le conduisaient à être en observation judiciaire. Panou espérait que l’autorité de justice, consciente de l’engagement de l’équipe, adopte un plan de reconduction d’activités qui permette de prolonger l’exploitation. Le Comité d’entreprise ne l’apprit que lors d’une réunion infructueuse que le CNC avait convoquée le 6 mai pour tenter de sauver cette salle d’art et d’essai. Il se pressa alors d’écrire aux juges pour leur indiquer la fin du bail, ce qui fut pour Panou « un coup de couteau dans le dos ».
Dégoûté, Panou cherche une autre solution : un autre lieu pour un nouveau départ. Le vide laissé par la fermeture d’Images d’ailleurs se fera vite sentir, tant au niveau de la diffusion des films d’Afrique que de l’accueil d’initiatives associatives et cinématographiques. Il y a quelques années, une initiative citoyenne tentait de monter une maison de l’Afrique à la périphérie nord de Paris, mais les démarches ne purent aboutir. Elle était pourtant excellemment pensée comme un lieu de ressources administratives et en locaux pour les artistes africains autant que comme un lieu de présentation de leurs travaux. Fondamentalement, ce n’est pas d’une maison de l’Afrique bling-bling dont les artistes engagés ont besoin, même si toute présentation bien médiatisée des uvres sert la reconnaissance globale d’une culture. Alors qu’à la suite de l’arrêt de la Biennale des films arabes qu’organisait Magda Wassef à l’Institut du monde arabe, des festivals de films maghrébins ont vu le jour (notamment le festival du cinéma tunisien hébergé par
Images d’ailleurs), les cinématographies d’Afrique noire ne disposent à Paris d’aucun lieu spécifique.
Non qu’il faille créer un ghetto paternaliste mais parce que notre époque est encore trop marquée par les préjugés réducteurs issus de la période coloniale : sans lieux spécifiques, c’est encore l’absence et le vide, et donc l’impossibilité de prendre en compte l’apport des cultures africaines. Qu’on en juge par les télévisions : notre page [« l’Afrique à la télé »] recense systématiquement les émissions portant touchant à l’Afrique et ses diasporas. Elles se concentrent sur quelques chaînes, surtout France Ô et Arte. Dans le reste du PAF (paysage audiovisuel français), c’est le désert, malgré les beaux colloques organisés sur les écrans « pâles » (cf. [article n°3361]).
Vieux projet marqué par les impasses, la question d’un nouveau lieu pour les cultures africaines ne se résoudra pas en un jour mais à force de traîner, le vide se fait et « dans l’espace, on n’entend pas crier ! » Il est à souhaiter que la fermeture d’Images d’ailleurs relance effectivement le processus. L’expertise de programmation cinématographique d’une équipe engagée est disponible : ne la laissons pas tomber !
Communiqué d’Africultures :
Partenaires d’Images d’ailleurs que nous soutenons par la mise en exergue de l’information sur son programme et ses événements, nous sommes bien sûr choqués d’apprendre que cette équipe soit expulsée d’aussi expéditive et inélégante façon !
Nous ne pouvons qu’appeler les responsables à chercher d’urgence une solution qui pérennise le travail essentiel fait par cette équipe engagée dans des conditions souvent héroïques.
Images d’ailleurs permet depuis 20 ans aux Parisiens de voir notamment ces films d’Afrique qui souffrent de visibilité dans le circuit commercial.
Il est important de sauvegarder Images d’ailleurs. Non parce qu’il faudrait de la compassion ou du paternalisme pour les expressions artistiques africaines, mais parce que nous sommes encore à une époque où elles sont marginalisées par la force des préjugés issus de la perpétuation des représentations coloniales.
Nous nous battons pour que cela change à l’avenir mais aujourd’hui, sans ce type de niches, les cultures africaines seraient vite absentes et effacées. Images d’ailleurs a su en faire une spécificité et non un ghetto, ouvrant sa programmation à tous les films qui leur semblaient défendre un cinéma ouvert sur le monde et son lieu à toutes sortes d’événements citoyens.
Alors que beaucoup d’efforts sont consacrés à la mise en exergue de la richesse de la diversité pour la société française, la fermeture d’Images d’ailleurs est un grand pas en arrière.
Nous sommes persuadés que notre société a besoin de s’ouvrir aux imaginaires africains contemporains pour mieux comprendre sa complexité et construire son avenir.
Et appelons donc à oeuvrer à une solution qui pourrait être aussi un nouveau départ.///Article N° : 8699