L’appel de Yamina Benguigui

"Françaises, les grandes oubliées"

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Écrivaine et cinéaste engagée, ministre déléguée des Français de l’étranger, Yamina Benguigui lance un appel pour que les femmes de l’immigration ne soient plus des « laissez pour compte » de la République.

Le statut des femmes est un baromètre implacable de l’état d’avancement d’une société. En France, les femmes ont conquis par un siècle de luttes et d’engagement politique un statut d’égalité qui leur permet aujourd’hui d’être des citoyennes à part entière. Pourtant, depuis des décennies, des Françaises, oubliées dans des territoires en souffrance, devenus aujourd’hui les sismographes de toutes les tensions sociales du pays, ont été les « laissées pour compte », dans leur rôle de femmes et de mères.
Qui sont ces grandes « oubliées » de l’histoire pourtant venues pour servir l’intérêt de la France ?
Les premières sont arrivées au moment du rapatriement des harkis, qui avaient combattu pour la France, à la fin de la guerre d’Algérie en 1962. Débarquées sur le territoire national, avec leurs maris, elles seront parquées dans des camps, organisés de manière à rendre impossible toute intégration à la société française : aucun contact avec la population environnante, l’éducation des enfants, à l’intérieur du camp, loin des écoles de la République.
Les deuxièmes sont arrivées en 1974, lorsque suite au premier choc pétrolier, le gouvernement Chirac, à la demande du patronat, décide de fixer sur place les travailleurs maghrébins, recrutés seuls dans les années cinquante, en les obligeant à faire venir massivement leur famille sur le sol français : ce sera le regroupement familial organisé pour des raisons strictement économiques. Une idée expérimentale avait germé au sein du patronat : créer à demeure une fabrique d’OS (ouvriers spécialisés dans un geste).
Commence alors une immigration de femmes, qui vont s’arracher à leur environnement et à leur famille pour faire le voyage forcé de l’immigration.
À leur arrivée, leur premier geste sera de ranger dans la valise le « foulard » qui leur couvrait la tête. En cela, elles avaient assimilé la République et la laïcité, et garderont leur foi à l’intérieur de leurs foyers.
Elles seront dirigées dans des terres industrielles, où leurs maris font corps avec leurs machines, d’abord dans des bidonvilles, puis dans les cités de transit et finiront par s’arrimer dans des « grands ensembles » désertés par la population européenne, déjà programmés pour la démolition, ou le béton s’effrite, le fer rouille, les ascenseurs ne fonctionnent plus, les petits commerces ferment les uns après les autres.
Dans ces territoires de « sous-France », marqués du sceau de la relégation, les mères vont s’enraciner là où leurs enfants vont naître et grandir. Malgré leur isolement, leurs conditions de vie et leur analphabétisme, elles auront à cœur de pousser leurs enfants vers l’école républicaine et la réussite scolaire.
C’est à ce moment-là que s’abat sur ces territoires et sur leurs maris le choc de la désindustrialisation qui va fossiliser sur place des milliers d’OS maghrébins. Le chômage et la précarité s’abattent inexorablement sur les familles.
L’instauration d’une république islamique en Iran, en 1979, jette alors sur le monde et la composante française issue de l’immigration, un voile de méfiance et de suspicion de la société à l’égard de ces Maghrébins de France en se demandant : « Comment ce musulman est-il rentré chez nous ? », en oubliant que sa présence fait partie intégrante de l’histoire de la France.
Dans les années quatre-vingt, une série d’actes racistes et l’apparition d’un apartheid insidieux s’abattent sur la génération de Français issus de l’immigration. Des jeunes gens, des jeunes filles, sortent de leur invisibilité et décident de marcher pacifiquement à travers toute la France, pour crier haut et fort « J’appartiens à ce pays ! J’appartiens à cette société ! Nous voulons plus de justice et d’égalité ! » Leurs cris iront mourir sous les frontons des mairies de la République.
Les mères vont prendre en main la survie de leur famille, elles désertent leurs foyers, au détriment de l’éducation des plus jeunes, pour aller à des dizaines de kilomètres, parfois avec de longues heures de transport, travailler comme techniciennes de surface dans les entreprises, les hôpitaux, les écoles, les aéroports. Peu à peu, elles deviennent chefs de famille et s’exposent à la violence des maris qui vivent très mal leur exclusion du monde du travail et perdent leurs repères.
Certaines mamans auront la fierté de voir leurs enfants devenir diplômés. Mais, à compétences égales, leur taux de chômage est trois fois supérieur à la moyenne nationale.
À la relégation sociale des familles va lentement se substituer la relégation raciale des enfants.
De modèles, les aînés deviennent contre modèles pour les plus jeunes. Beaucoup sombrent dans la délinquance et vont se retrouver dans des prisons surpeuplées. Ces jeunes Français en quête d’identité seront souvent la proie d’un islam radical importé qui va choquer les mères qui s’inquiètent et qui crient « ce n’est pas notre islam ».
Durant ces dernières décennies, des associations féminines vont se créer et soutenir ces mères et ces femmes, mais le politique restera sourd à leurs cris et à leurs inquiétudes.
Aujourd’hui, sur d’autres bouts de France, d’autres mères crient leur souffrance et leur détresse, face à tous les maux de la nouvelle désindustrialisation liée aux délocalisations, chômage, précarité, délinquance et redoutent de voir leurs enfants s’engager sur la voie des extrémismes, qu’elles soient du Pas-de-Calais, de la Seine Saint-Denis, du Gard, du Var ou de Toulouse.
Nous sommes aujourd’hui les héritières des pionnières de l’immigration devenues grands-mères, de ces « oubliées » de l’histoire.
Qu’elles aient été femmes de harkis, mères du regroupement familial, orphelines des acquis issus des luttes féministes, elles ont accompli seules, le chemin de leur émancipation et elles ont su nous inculquer, à nous leurs filles, les valeurs de la République et de la laïcité, elles ont fait de nous des Françaises à part entière.
Ces mères et ces femmes sont le pivot essentiel de l’équilibre républicain de la société.
C’est pour cela que leur parole doit être écoutée et valorisée.
C’est pour cela, qu’au nom de toutes ces femmes, nous souhaitons « Mahaba Bikoum » Bienvenue au Président du changement.

Pour voir cet appel en ligne : [http://francaiseslesgrandesoubliees.tumblr.com/]
Pour signer cet appel : [email protected]

Premiers signataires :
Yamina BENGUIGUI
Isabelle ADJANI
Rachida BRAKNI
Bertrand BLIER
Catherine FROT
Elsa ZYLBERSTEIN
Firmine RICHARD
BIYOUNA
Saida JAWAD
Farida RAHOUADJ
DJURA
mai 2012///Article N° : 10753

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