Voisins anonymes (ballade)
Avec Ludovic Darras
Écriture : Kossi Efoui
Mise en scène : Nicolas Saelens
Costumes : Marie Ampe
Regard extérieur : Philippe Rodriguez-Jorda
Voilà déjà plusieurs années que le compagnonnage de Nicolas Saelens et Kossi Efoui, se déploie au cur de la Compagnie Théâtre inutile. L’écriture hantée de Kossi Efoui a rencontré avec bonheur l’imaginaire scénique de Nicolas Saelens et son sens du fantomatique, une co-inspiration magique ! Kossi Efoui articule les incantations, trace les signes et Nicolas Saelens dessine l’espace d’un nouveau rituel urbain de proximité capable de convoquer les esprits de la cité et de matérialiser les ectoplasmes poétiques de son théâtre, comme ce manteau de grisaille, improbable manteau couleur asphalte, manteau partenaire du comédien, tour à tour peau cartonneuse de pachyderme mal léché, surface lunaire d’un monde cosmique inaccessible, vêtement de SDF raide de crasse, habit habité Le gris de l’univers d’Éléphant man rencontre le rouge du spectacle et l’exhibition n’est pas si loin : Ludovic Darras, dans sa redingote pourpre de magicien, convoque une absence et nous prend par la main, tel un lutin sautillant et léger, qui joue de toutes les facéties, de toutes les faces humaines. Ludovic Darras provoque ce manteau raide de grisaille comme un toréador qui dans l’espace sacrificiel ne vient pas mettre à mort l’animal, mais pourfendre l’indifférence. Vivre dans la rue, c’est disparaître sous le bitume, se fondre dans le décor de béton, disparaître du champ humain dans un magma d’impossibilités et d’incompréhension, c’est se métamorphoser en monstre, se déshumaniser. Et c’est tout ce jeu de métamorphoses tragiques que donne à voir la mise en scène de Nicolas Saelens qui joue du manteau comme d’une marionnette ou d’un pantin, qui joue du théâtre aussi. Marie Ampe n’a pas réalisé là un costume, mais un décor à habiter, un habit-habitat-habitacle, vêtement scénographique, manteau-trottoir, magique et monstrueux à la fois, le masque terrible et cabossé que sécrètent les sociétés urbaines oublieuses de l’humain. Un petit spectacle à jouer partout, que nous avons eu la chance de découvrir sur le plateau du musée Dapper, ce 12 mai 2012, tout près de la magnifique exposition Mascarades et carnavals lors d’une après-midi consacrée à Kossi Efoui, mais que vous pourrez retrouver au détour d’une cage d’escalier ou d’un hall d’immeuble, scènes furtives des cités où s’invite le Théâtre Inutile. Alors si en rentrant chez vous, vous croisez un petit bonhomme tout de rouge vêtu à côté de son manteau-qui-tient-tout-seul, soyez prêt pour une expérience TTT (Théâtre Tout Terrain).
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