Le FEMI, 20 ans de cinéma en Guadeloupe

Entretien de Claire Diao avec Felly Sedecias

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En Guadeloupe, on recense une soixantaine de productions soutenues par la Région, un BTS Audiovisuel, des dispositifs d’éducation à l’image, mais surtout un festival qui fête cette année ses 20 ans : le FEMI. Interview de la directrice, Felly Sedecias.

Du 30 janvier au 8 février 2014, vous célébrerez la 20e édition du FEMI. Quel est le programme ?
Felly Sedecias : Notre compétition compte 32 films, longs-métrages, documentaires et courts-métrages, une section permanente consacrée au cinéma caribéen avec des films de Trinidad-et-Tobago, Cuba, Saint-Domingue et la Guadeloupe ainsi qu’une programmation internationale. Notre marraine sera la Baronne de Monaco, Cécile de Massy. Pour fêter cet anniversaire, nous avons souhaité revenir sur les éditions qui ont marqué la population guadeloupéenne, comme l’Inde, mise à l’honneur en 1997 et 2004. Dans le cadre de ces deux éditions, un changement de comportement de la population afro-guadeloupéene s’est opéré vis-à-vis des indo-guadeloupéens. Cela a été très positif et nous avons pensé qu’il était bien de revenir sur l’Inde. Nous ferons aussi un focus sur le Moyen-Orient et l’Afrique. À cela s’ajoutera une exposition photographique itinérante des personnalités qui ont contribué à donner au festival sa renommée : Danny Glover, Angela Bassett, Melvin Van Peebles, George Paul-Langevin, Christine Kelly, Euzhan Palcy, France Zobda…

En 1992, Patricia Lavidange et vous-même avez créé le festival Femmes et Cinéma devenu par la suite le FEMI. Quelle est la genèse de cette manifestation ?
Le projet était de faire connaître au public des films d’auteur car nous avions en Guadeloupe des films d’action et des films majoritairement américains. Nous souhaitions également faire connaître les films de femmes et notre première marraine a été Jacky Buet, directrice du Festival de films de femmes de Créteil. Puis, en nous ouvrant à l’Inde et au Moyen-Orient, nous avons eu des difficultés à trouver des réalisatrices. Donc, le festival s’est appelé à partir de 2005, Festival international et régional du cinéma de Guadeloupe, ce qui indiquait que le festival était ouvert à tous.

Créé en 2010, le Marché international du film et de la télévision caribéen accueille près de 80 films. Quel est son objectif ?
C’est un marché en construction. Nous l’avons centré autour des Caraïbes parce qu’en Europe, les marchés n’ont pas besoin de nous (rires) ! Depuis que la Région Guadeloupe a mis en place en 2005 une Commission qui donne des aides aux réalisateurs, beaucoup de films ont été produits. Le Marché a été créé pour donner une place plus importante aux professionnels du cinéma, développer un réseau et multiplier les opportunités du secteur. Alors qu’à une heure d’avion, nous sommes à Saint-Domingue, nous ne connaissons pas leur cinéma. Nous travaillons donc sur le sous-titrage pour permettre de mieux nous comprendre car pour faire venir les acheteurs, il faut que les films soient sous-titrés. Cette année, Canal Plus, Planète, et ARTE viendront tout comme TV5 Monde, dont ce sera la première fois.

Quel est votre public ?
Depuis 1995, nous avons eu tous les publics. D’abord des cinéphiles, puis des scolaires car nous avons créé la section FEMI Jeunesse avec les lycées puis les collèges. Nous nous sommes ensuite rendus en prison. Enfin, le fait d’avoir décentralisé le festival dans des communes – en plein air ou dans des petites salles – a permis d’amener le grand public car jusqu’à présent, nous avions un problème de transport. Lorsqu’il est 20h, les cars ne circulent plus. Et comme le festival se passait à Pointe-à-Pitre, si on habite à 50 km, les gens ne se déplaçaient pas. Donc nous avons pensé à aller vers eux. En 2013, notre fréquentation a atteint les 7000 spectateurs.

Parlez-nous de la production cinématographique guadeloupéenne.
Nous avons beaucoup de documentaires car il est très difficile de trouver des financements pour des longs-métrages. Trois beaux longs-métrages n’arrivent pas à voir le jour du fait du manque de financements, car l’Outre-Mer est toujours à côté. Le CNC a créé un Fonds Outre-Mer mais comme nous n’avons pas la TSA, c’est très difficile. Mais ça y est, après 15 ans de lutte, la TSA a été votée mais ne sera appliquée qu’à partir de 2015. Par rapport aux fonds que les réalisateurs peuvent toucher en France, nous avons un petit fond qui ne suffit pas.

Quelles relations votre festival entretient-il avec la métropole ?
Depuis quatre ans, le FEMI a développé un partenariat avec l’Hôtel de Ville de Paris pour organiser des projections pour les scolaires et le grand public chaque mois d’octobre. Nous présentons notre palmarès et cela s’amplifiera l’année prochaine car nous avons un projet avec d’autres salles (Saint-Denis, Sarcelles, Paris, Bonneuil-sur-Marne et Créteil) qui nous permettra de faire mieux connaître les films antillais en métropole. Les villes prévues sont Nous avons eu une seule opération avec la Cinémathèque Française qui n’a pas donné grand-chose. Nous sommes toujours à part.

Pourquoi ?
Ce qui bloque ? Mais c’est clair ! On a donné la réponse à Madame Taubira-Delannon ! Jusqu’à présent, pour moi, les Français ne nous connaissent pas. Nous sommes un peuple qui vient de l’esclavage. Je ne pense pas qu’ils le disent comme ça, mais c’est dans l’inconscient collectif. Nous n’avons pas vraiment notre place. Nous avons voulu des quotas, ils n’ont pas voulu. Donc je pense que la meilleure solution, c’est que les Noirs s’occupent de leurs affaires : ouvrent une chaîne de télévision à Paris… mais si on attend TF1… Une jeune réalisatrice a proposé un projet à TF1 il y a cinq ans, on lui a dit « Ni Noirs, ni Juifs, ni Arabes ». À France 2, on lui a demandé de le réécrire. On en est toujours à ce problème. C’est toujours un problème de connaissance de l’Autre.

Comment expliquez-vous alors qu’un film comme Ma première étoile de Lucien Jean-Baptiste (2009) ait dépassé le million d’entrées ?
Le succès de Ma première étoile, si vous voulez mon avis, est dû à la peau claire de la productrice et à ses entrées dans les télévisions. Elle s’est battue pour son film et a eu gain de cause. Bien sûr, le réalisateur a bénéficié de tout cela. Juste après est sorti Aliker de Guy Deslauriers qui est un très bon film historique mais il n’y avait plus personne. De toute façon, avec quinze ou dix-huit copies, on ne sort pas sur l’international. Comme en France, les premières semaines déterminent les sorties du film, quand on a dix copies, la semaine suivante on n’existe plus.

Que peut-on souhaiter au cinéma antillais ?
Que nous puissions faire de grands films et des adaptations de romans – car nous sommes bien lotis en littérature – et trouver des sources de financements un peu partout dans le monde, pas seulement en France.

///Article N° : 12052

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