Le nouveau président de la Fédération panafricaine des cinéastes (la Fepaci), Charles Mensah, par ailleurs directeur du Centre du cinéma gabonais, dresse ici un état des lieux des cinémas africains et des perspectives de travail de la Fepaci. Il revient sur la diversité des cinémas et le prix à payer pour toucher les publics africains.
Depuis l’élection du nouveau bureau lors du » Sommet du film africain » de Tshwane en avril 2006, la Fédération panafricaine des cinéastes connaît un renouveau. Quelles sont les nouvelles perspectives ?
En fait, » renouveau de la Fepaci » est effectivement le terme approprié, parce que l’Afrique du Sud essaie de bâtir toute son action sur le concept de la renaissance africaine. Je crois qu’on peut également l’appliquer à la Fepaci. Les autorités sud-africaines ont permis aux cinéastes du continent de se retrouver pour faire le point de la situation à travers ce sommet dont l’objectif était d’aboutir à des résolutions à transmettre à nos États à travers l’Union africaine et le Nepad. Donc, pendant trois jours, nous avons débattu de différentes questions liées à la production, la distribution et l’exploitation. Il en est sorti une série de recommandations. Le dernier jour a eu lieu le congrès de la Fepaci, le premier depuis sept ans. Ce sommet nous a donc donné l’opportunité de réorienter notre action mais également de renouveler les instances dirigeantes de la fédération.
Aujourd’hui, nous avons un exécutif : le président le secrétaire général et le trésorier et un comité directeur composé de deux représentants par sous région y compris la diaspora Europe et la diaspora Amérique-Caraïbe. Le comité directeur est chargé de l’orientation de l’action que devra conduire le bureau exécutif. Nos priorités sont aujourd’hui de donner des réponses aux questions du jour. La Fepaci a été quasiment créée dans la décennie qui a suivi le premier film africain et a fonctionné sous différents modes. Elle avait alors été un pourvoyeur d’idées et a joué le rôle d’interface avec les pouvoirs publics des pays africains mais également des organismes internationaux. On ignore souvent que c’est grâce à la Fepaci que certains mécanismes de financement existant dans le Nord ont pu voir le jour. Mais les choses ont bougé. Il y a de plus en plus de cinéastes, bon nombre d’entre eux vivent hors du continent. Les enjeux ne sont plus les mêmes mais nous sommes restés sclérosés dans notre approche qui est celle d’un autre temps. Beaucoup de cinéastes notamment les plus jeunes ne se reconnaissent plus dans la Fepaci.
Notre mission sera donc de tenter de répondre aux nouveaux enjeux. Ils se posent bien sûr en termes de diversité culturelle : dans un monde de plus en plus globalisé, il importe pour nous d’exister tels que nous sommes avec notre propre regard. En d’autres termes que l’image de l’Afrique proposée de par le monde soit une vision de l’intérieur qui exprime la réalité d’aujourd’hui sans complaisance aucune. L’autre enjeu vient du fait que, malheureusement, le cinéma a été considéré durant ces dernières décennies comme un luxe ou une activité marginale. Nos autorités n’ont pas toujours pensé qu’il pouvait être un outil de développement à part entière et qu’il fallait à tout prix l’intégrer dans les programmes parce qu’il peut également créer de la richesse, qu’il intervient directement dans la formation des hommes, facteur premier de développement. Notre mission sera donc également de proposer des outils et des mécanismes à nos gouvernants pour une meilleure prise en compte du cinéma comme facteur de développement.
Il y a urgence : les choses vont très vite
En fait, dans un premier temps, nous avions été dérangés par le mélange des genres généré par cette profusion d’images tournées à la va-vite. Cela fournissait le prétexte, là où il n’y avait pas de véritable volonté politique, de refuser de donner des moyens aux cinéastes puisque preuve était faite qu’on pouvait faire des films avec trois francs six sous. Mais, à quelque chose, malheur est bon. Le numérique a revigoré la production d’images sur le continent. On le voit au Nigeria, au Ghana, et dans une moindre mesure dans certains pays francophones où des jeunes qui n’ont quasiment pas de formation s’emparent de la caméra et font des films. Je crois que ça va obliger les cinéastes confirmés dépositaires d’un certain savoir faire à se remettre en cause. Tout mouvement, tout changement, toute révolution vient toujours de la rue, jamais de l’establishment. Cela dit il appartient à des instances comme la Fepaci ou des structures nationales d’encadrer ces mouvements et de canaliser toutes ces énergies pour que cela n’aille pas dans tous les sens et que ça n’aboutisse surtout pas à la fin d’un cinéma de création où la recherche de l’excellence est de mise.
N’est-ce pas un problème difficile à gérer pour la Fepaci, qui représente les cinématographies nationales ? Comment entend-elle représenter la diversité du cinéma ?
Je dois reconnaître que nous avons été bousculés par la déferlante de cette nouvelle vague. D’ailleurs les Nigérians devaient représenter quasiment le quart des 200 participants au Sommet. Il y avait certes des gens comme Ola Balogun, tenant d’un cinéma plus classique mais également toute cette jeunesse vidéaste, si on peut les appeler ainsi, qui n’a pas hésité à prendre la parole souvent avec véhémence pour nous faire entendre leur point de vue, à telle enseigne que dans le bureau actuel de la fédération, l’un des secrétaires régionaux est justement des leurs. En ce qui me concerne, je ne peux que me réjouir de les avoir avec nous. Cela donnera, je pense, du sang neuf à la fédération et peut-être pourrions-nous mieux répondre aux attentes des cinéastes et partant de notre public.
L’enjeu aujourd’hui n’est-il pas de maintenir une production malgré les problèmes de diffusion ?
Oui absolument, et je crois que les Nigérians ont trouvé la réponse. Ils tournent dans la semaine un long-métrage, dans la semaine suivante la postproduction est faite et le surlendemain, le marché est saturé de DVD du film ! Ils sont déjà dans une logique d’un cinéma produit de consommation qu’on vous sert à domicile, comme on livre une pizza. À la limite ils n’ont pas de soucis de salles. On peut maintenant discourir sur la qualité de ces films. Le plus important pour moi est de trouver un public, donc d’exister. Ces films connaissent un véritable succès populaire et je pense que c’est une bonne chose car cela va créer une demande auprès d’un public africain qui, il faut le reconnaître, était formaté pour n’apprécier qu’un cinéma hollywoodien voire bollywoodien. À nous maintenant de surfer sur cette vague et de proposer à un public désormais disponible un cinéma certes plus créatif voire plus difficile mais dans lequel il se retrouve.
Un cinéma plus créatif est aussi un cinéma qui dérange
La Fepaci avait des relations conflictuelles avec les dirigeants.
Ne perdons pas de vue que la Fepaci avait fonctionné dans un espace où les libertés étaient restreintes. Le vent de la démocratie est passé par là. Les pays ne peuvent plus se fermer à un mouvement mondial qui réclame plus de libertés et de démocratie. La plupart de nos États ont compris que la pensée unique, n’est plus de mise. En même temps, il nous appartient d’être plus fins, plus stratèges, plus créatifs. On peut parfois arriver à de meilleurs résultats en prenant des chemins détournés plutôt que de livrer des batailles frontales.
Je crois que là où la Fepaci aura un rôle important à jouer, ce sera envers le Nepad et l’Union africaine. L’un des projets phare de l’ancien bureau était la mise en place d’une commission du cinéma qui serait une sorte d’agence spécialisée de l’Union africaine, pour trouver sur le continent des moyens de financement de notre cinéma à la fois en termes de production et de diffusion. Il faut un véritable discours avec les pouvoirs publics : il faut arrêter de les traiter d’incultes et de corrompus. Il nous faut un vrai discours responsable, parce qu’on le veuille ou non, il ne faut pas se faire d’illusion : ce sont nos gouvernements qui signent les accords, par exemple pour le financement de l’Europe. Nos auteurs sont suffisamment subtils et fins pour savoir qu’on peut tout à fait dire ce que l’on pense sans pour autant tenir des propos susceptibles de fermer définitivement les portes. Les cinéastes iraniens par exemple qui ne sont pas plus libres que nous savent très bien le faire. Les pamphlets n’ont rien d’artistique.
Le cinéma populaire ne risque t-il pas de tuer le cinéma plus exigeant ?
Pas du tout. Bien au contraire. Le cinéma populaire fait le lit d’un cinéma d’auteur qu’il finance et qu’il suscite. Tout producteur a besoin pour son prestige d’avoir dans son catalogue des films ayant une plus value artistique. Il en est de même pour les États qui tirent un bénéfice en termes de rayonnement lorsque le film de l’un de ses cinéastes a obtenu une distinction dans un festival.
Comment s’est passé le changement de bureau ?
Il y avait des tensions au sein de la Fepaci. Lors des précédentes instances qui devaient réélire le bureau, les choses se sont faites un peu par défaut. L’intérêt du Sommet de Tshwane est qu’il a permis d’aborder toute la problématique du cinéma africain durant les trois jours précédant les élections. Cela a permis d’aborder la question du renouvellement du bureau avec davantage de sérénité. Les Sud-africains ont organisé ce sommet et ils ont obtenu le Secrétariat général. Cela semble déranger certaines personnes qui posent le problème en termes d’opposition francophone/anglophone. Cela n’a pas de sens, il ne faut pas le voir comme ça. Il faut le voir en termes de cinéma d’Afrique, de cinéma du sud, plutôt que de nous opposer. Il nous faut travailler, organiser le marché, le développer et exister à travers nos différences, qu’elles s’expriment à travers le maximum de films que nous pourrons produire. Aujourd’hui nous avons un bureau avec un président de l’Afrique Centrale, du Gabon, un secrétaire général de l’Afrique du Sud, un trésorier exécutif du Nigeria. Il y a autour un comité directeur avec deux représentants par sous-régions, donc je pense que personne n’est lésé dans l’affaire.
Derrière l’opposition francophone/anglophone, n’y a-t-il pas deux types de cinématographies ?
Qu’à cela ne tienne ! Cela va aussi nous obliger à revoir notre copie. On ne peut pas rester comme ça, enfermés, il faut bouger, évoluer, aller dans un sens ou dans un autre. Quoi qu’il en soit, je pense que plus un individu est composite et nourri à la source de plusieurs cultures, plus cet individu est riche, plus il est fort. Le mode cinématographique de l’Afrique francophone vaut ce qu’il vaut, il a donné des uvres majeures mais il nous faut reconnaître qu’il est aussi à bout de souffle et qu’il peine à rencontrer son public. Peut-être que l’arrivée des jeunes cinéastes qui utilisent le numérique dans tous les sens, influencés par la culture du clip et du hip-hop, fera bouger les choses ? Ou bien cela viendra-t-il d’une mise en commun de nos ressources avec des pays anglophones, comme l’Afrique du Sud, qui nous obligeront à apporter des notes et des saveurs différentes à nos productions ?
J’ai été subjugué quand j’ai appris qu’en Afrique du Sud, tout opérateur économique qui veut créer un grand centre commercial est obligé d’y installer un multiplex d’une dizaine de salles. Johannesburg doit disposer ainsi de près d’une centaine d’écrans. Il y a dans ce pays une véritable volonté politique de faire avancer les choses. Chacun doit préserver son style mais peut-être pouvons-nous trouver une manière de faire pour que les Sud-africains, les Mozambicains, Kenyans et autres se retrouvent dans nos histoires, dans notre façon de les raconter, et si c’est le prix à payer pour atteindre un public où il y a un marché de plus de deux cents salles, moi je dis arrêtons de tergiverser, fonçons !
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