l’égérie du Mali

Entretien de Samy Nja Kwa avec Rokia Traoré

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Que signifie Wanita ?
C’est un prénom imaginaire d’un personnage, d’une voix qui est en moi, qui me dit que je suis capable de réaliser l’impossible. Cette voix m’encourage, me dis que j’arriverai au sommet de cet arbre qui se trouve là bas. J’arriverai à grimper cette montagne parce que ma volonté se trouve au sommet de cette montagne. Il n’y a que deux choses que je ne contrôle pas : la vie et la maladie. Je ne sais pas si je resterai vivante assez longtemps pour y arriver ou si je serai toujours en bonne santé. Wanita m’a donc poussé et j’ai surmonté des situations difficiles – c’est de cela qu’est née cette chanson. En somme, c’est le pouvoir de la volonté que j’ai appelé Wanita.
Ton premier album, Mouneïssa, a été bien accueilli par le public occidental. Comment a-t-il été reçu au Mali ?
Au Mali, c’était plutôt une découverte : lorsque l’album est sorti là bas, il a plutôt surpris, il a fallu toute une année, afin que le public comprenne cette manière de chanter, d’utiliser les instruments traditionnels et ne pas forcément faire une musique qui se danse. L’album sortait des normes dans lesquelles était installée la musique malienne. Des gens me disent ne pas comprendre ce que je chante, qu’ils doivent l’écouter plusieurs fois. Je chante en bamanan, c’est mon dialecte, mais je n’ai pas grandi dans mon village et ça les surprend. Ce n’est qu’il y a deux ans que le public a commencé à apprécier cet album – il a été plutôt bien accueilli.
Tu es donc pour le Mali une chanteuse atypique. Est-ce que le fait que tu ne sois pas griotte y est pour quelque chose ?
Plus que ça, parce qu’il faut savoir qu’au Mali, il y a des griots, des griottes et des chanteurs qui ne sont pas forcément griots. Par exemple dans le sud du Mali, d’où vient Nahawa Doumbia, Oumou Sangaré, Coumba Sidibé, il y a d’autres chanteurs qui ne sont pas griots. Je crois que c’est surtout parce que je n’ai pas appris à chanter comme on le fait au Mali, j’ai un autre style, carrément nouveau, qu’il a fallu du temps pour comprendre. Et aussi du fait que je sois plus jeune, et mon cheminement moins traditionnel. A l’époque, on me connaissait parce que je faisais du rap au lycée : j’ai donné des spectacles, on me connaissait sous cette étiquette. On me voyait continuer sur cette lignée.
Comment as-tu composé Wanita ? As-tu repensé à ton premier album ?
Non, je n’y pensais plus, parce que entre temps, j’ai vécu d’autres expériences. J’avais envie de faire des choses nouvelles. Heureusement, sinon, je ne serais pas là à nouveau. Par contre, j’ai mis moins de temps pour faire cet album. Il y a bien entendu des chansons que j’avais composé à l’époque de mon premier album mais qui n’avaient pas été retenues. Il y en a deux, que j’ai retravaillées parce que les mélodies d’antan ne m’intéressaient plus. Je n’ai pas du tout été influencé, mais j’ai dû m’accrocher pour ne pas trop m’éloigner du premier album.
Tu chantes aussi en français, et ça surprend.
Peut être, mais ça ne choque pas, parce que j’ai travaillé dans ce sens. Surprenant d’accord, parce que cette chanson se trouve au milieu d’autres en bamanan, mais ce qui est intéressant c’est que je voulais une chanson en français qui ne soit pas choquante, je voulais une chanson pensée en bamanan et chantée en français. Qu’elle suive les autres chansons, qu’elle ne paraisse pas comme « un cheveux dans la soupe », qu’il y ait une harmonie avec les autres parties.
La charge émotionnelle qu’on ressent dans tes chansons et ton sens de la poésie te viennent-ils d’un milieu traditionnel ?
En réalité, je ne pense pas tenir tout ça d’un milieu. Par tradition, au Mali, on ne chante pas uniquement pour chanter. Je m’explique : les chansons ont un sens, ce sont des conseils, on chante la vie, pour donner des exemples aux autres. Selon un thème qu’on développe, il y a l’émotion transmise par la voix. Il y a cette culture traditionnelle que j’aime beaucoup, et quelque part très loin dans mon éducation, il y a une influence qui est forcément là qui s’est installée, relative à ma manière de parler. Lorsque j’écris, c’est naturel et ce naturel, je l’ai acquis à partir d’une éducation qui dépend d’une culture. Ce qui revient à dire que l’influence de la tradition est là en réalité, mais qui revient sous une autre forme.
A la suite de ton premier album, tu as fait des émules. Les jeunes viennent-ils te voir afin de profiter de ton expérience ?
Oui, il y en a beaucoup, ils s’accrochent. Au Mali, on me dit que je travaille trop. A mes début, j’amenais toujours ma guitare en cours parce qu’ensuite j’allais travailler avec des musiciens à l’Institut national des arts. Et aujourd’hui, je suis un exemple pour d’autres, à qui je dis que j’ai eu beaucoup de chance, mais que j’ai surtout travaillé.

///Article N° : 1371

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