Décès d’Henri Lopes: l’enfant de Poto-Poto s’en est allé

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Henri Lopes, l’un des représentants les plus connus de la littérature africaine moderne, lauréat du Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1972 pour Tribaliques et du Grand Prix de la Francophonie en 1993 pour Le Pleurer-rire, Le chercheur d’Afriques et Sur l’autre rive, est décédé ce 2 novembre 2023 à l’âge de 86 ans. Il a également été Premier Ministre de la République du Congo de 1973 à 1975 et ambassadeur en France de 1998 à 2015. La romancière et critique littéraire Annie Ferret lui rend hommage.

Je me lève ce matin et apprends la mort de mon ami Henri Lopes. Je repense à nos derniers déjeuners parisiens, à nos derniers échanges, je repense à ces paragraphes dans le livre-testament qu’il a publié en 2018, Il est déjà demain. Il y raconte sa vie de jeune garçon, ses études en France et les années qu’il passe à la Cité universitaire, le retour au Congo, ses débuts dans la politique et les années de la diplomatie, il y raconte aussi sa première rencontre avec l’immense poète Birago Diop :

« Mais le poème par lequel Birago Diop atteint les sommets de la littérature universelle est sans conteste Souffles. Des vers dont la puissance égalent (sic) La Ballade des dames du temps jadis de François Villon. Ils valent beaucoup de prières, ils aident au recueillement, je les ai lus moi-même, à voix haute, à l’occasion d’enterrements, notamment lors des funérailles du poète Tchicaya U’Tamsi. Je les ai entendus récités quelquefois par des gens qui ne savaient de quel pays était leur auteur. Ils sont aujourd’hui transcrits et audibles sur la toile. Un poème en forme de litanie, une complainte animiste, qui dépasse l’animisme et fait la jonction avec toutes les religions. Un poème qui affirme que « les morts ne sont pas morts ».

« Ceux qui sont morts ne sont jamais partis
ils sont dans l’ombre qui s’éclaire
et dans l’ombre qui s’épaissit,
les morts ne sont pas sous la terre :
ils sont dans l’arbre qui frémit,
ils sont dans le bois qui gémit,
ils sont dans l’eau qui coule,
ils sont dans l’eau qui dort,
ils sont dans la cave, ils sont dans la foule :
les morts ne sont pas morts »

L’auteur de cette prière universelle était là, humble, calme, souriant devant moi. Je ne savais que lui dire, je craignais que mes mots, même pour louer le poète, ne fussent dérisoires. J’ai peu parlé. Par la suite, nous nous sommes revus. Quand j’étais à l’Unesco, il ne passait jamais à Paris sans m’annoncer sa présence, nous déjeunions ensemble. La rencontre avec les auteurs ne nous apporte rien, est souvent gênante, ne donne lieu qu’à des propos insignifiants. À moins d’être un journaliste, un professeur, un thésard, qui a étudié les écrits du maître et a préparé l’entretien de manière professionnelle. La véritable rencontre se fait avec l’œuvre. Dans l’intimité d’un échange qui tient à la fois de l’indicible et de l’envoûtement. » (p. 405-406)

Ce matin, je ne suis pas tout à fait d’accord avec mon aîné Henri Lopes. La rencontre avec les auteurs n’apporte pas rien. Il a raison de dire que c’est l’œuvre qui compte, l’œuvre affrontée, relue, redite et méditée dans l’intimité, mais le contact avec la chair de l’homme, la voix inoubliable d’Henri, tout cela n’est pas rien, non, tout cela, sans consoler, réconforte un peu et permet de poursuivre sous les ombres de Tchicaya U’Tamsi, de Birago Diop, et maintenant la tienne, cher Henri, tout cela permet de poursuivre : non, les morts ne sont pas morts, ils sont dans la main que l’on serre, le baiser et les mots que l’on échange pour se dire au revoir et sans savoir que c’est pour la dernière fois, à toi, désormais, de nous faire sentir malicieusement ta présence depuis ce lieu où tu as rejoint les poètes.

 

Annie Ferret, 3 novembre 2023

 

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