Les Chevaliers blancs, de Joachim Lafosse

Le fantasme du droit d'ingérence

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Tourné au Maroc avec la communauté tchadienne locale, Les Chevaliers blancs prend pour socle la mésaventure de l’Arche de Zoé qui s’était mise en tête en octobre 2007 de sauver des orphelins du Tchad en guerre. Arrêtés avant de pouvoir quitter le pays avec 103 enfants, ses six membres seront rapatriés puis condamnés à 8 ans de travaux forcés au Tchad, commués en 8 ans de prison ferme en France. La grâce présidentielle tchadienne les libère en mars 2008 mais un procès s’ouvre ensuite en France qui prononce des peines plus légères. Sorti sur les écrans français le 20 janvier 2016, Les Chevaliers blancs s’attache à cerner ce qui a pu motiver ces hommes et femmes à jouer ainsi les chevaliers.

Il arrive encore de rencontrer en Afrique de ces « Humanitaires » engagés, prêts à se sacrifier pour sauver malades ou enfants, et finalement prêts à toutes les compromissions pour arriver à leurs fins. Ceux de l’Arche de Zoé étaient de cet acabit puissance maximum : un mensonge conscient « au nom du bien ». Ils avaient convaincu des parents en mal d’adoption de financer une expédition pour ramener 300 orphelins du Tchad, et mentaient délibérément aux Tchadiens en affirmant qu’ils s’occuperaient des enfants jusqu’à ce qu’ils aient 15 ans dans une école-dispensaire locale alors qu’ils affrétaient à leur barbe un avion pour les exfiltrer vers la France !
L’enfer est pavé de bonnes intentions : ce groupe va s’affronter sur les dangers et les approximations, puis se diviser pour ne plus regrouper que les jusqu’au-boutistes, emmenés par Jacques Arnault, le leader de l’ONG (intense Vincent Lindon) et sa compagne Laura (Louise Bourgoin). Ils vont organiser un rapt de masse qui connut heureusement le destin que l’on sait. Cette affaire fit du bruit et l’intérêt du film de Joachim Lafosse n’est pas de la reconstituer, auquel cas il n’apporterait pas grand-chose. S’il se détache, c’est qu’il en fait une étude de cas : une exploration par la fiction de l’imaginaire d’un groupe confronté au réel et qui refuse de le voir en face.
Le réel, c’est le terrain africain : un pays en guerre, un chef de village corrompu, l’absence de papiers permettant de vérifier le statut orphelin et l’âge des enfants, la pauvreté qui pousse des parents à confier leurs propres enfants, la nécessité de s’en remettre à des intermédiaires douteux, le facteur temps qui répond mal au délai imparti… Ce réel, Jacques et son groupe voudraient s’en affranchir mais le réel résiste, c’est même sa caractéristique première. Car ce réel, c’est aussi la résistance face à la manipulation, et là, l’Afrique a une grande expérience à sa disposition, ce que rappelle ce film avec bonheur.
Pour refuser de voir le réel en face, il faut une bonne dose de croyance. C’est là que le film s’impose : comment Jacques Arnault et son groupe resserré continuent de croire qu’ils sont investis d’une mission. La scène de communication skype avec une famille en attente d’enfant met une larme à l’œil de chacun des membres du groupe. Les blessures des enfants qu’on leur amène achèvent de les conforter dans leur rôle de Croisés. Les prises de risque successives emportent les décisions. Tous soudés pour réussir jusqu’au grand bluff final. Même, la journaliste (Valérie Donzelli), crédule au départ, se laisse entraîner dans une fibre adoptive en se battant pour qu’un enfant se remette à s’alimenter.
Que l’argent soit le nerf de la guerre ne rompt pas l’énergie du groupe : pour arriver à ses fins, Jacques achète tout, les enfants au chef de village, le silence du directeur de l’aéroport, celui de l’interprète (Bintou Rimtobaye), etc. Du moment que c’est pour la cause, l’argent n’a pas d’odeur… Cela ne veut pas dire que les choses ne se disent pas : Jacques poursuit le but fixé, énonce ses valeurs face au cynisme du logisticien local (Reda Kateb), élimine les non-orphelins, demande la confiance et un abandon des enfants à 100 %, essaye de convaincre. Il est un avocat du droit d’ingérence. Les autorités locales sont toujours mises de côté : c’est Jacques qui fait la loi, pour faire le bien des gens malgré eux, accompagné par son groupe qui chante en cœur le Ce n’est rien de Julien Clerc dans la chaleur du soir.
Eh bien non, ce n’est par rien de croire qu’on peut disposer des gens et des enfants comme on l’entend, ce n’est pas rien d’arrêter de penser pour que tout se déroule comme ce fut prévu au fond de son Landernau de départ. Pour ceux qui en douteraient encore, ce film est un bon antidote.

///Article N° : 13452

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© Fabrizio Maltese - Versus Productions - Les films du Worso
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