Les clefs du succès d’Intouchables

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Chacun en parle et tous veulent le voir : Intouchables atteint les sommets du box-office et est déjà à mi-chemin de détrôner les 20 millions d’entrées de Bienvenue chez les Ch’tis. A ce niveau, le marketing est dépassé : c’est bel et bien le contenu du film qui en fait le succès. Ces orfèvres de la bonne histoire que sont les trois complices de Quad Productions le savent : Nicolas Duval, Yann Zenou et Laurent Zeitun avaient déjà emporté le gros lot avec les 3,8 millions d’entrées de L’Arnacoeur de Pascal Chaumeil en 2010. Le scénario d’Intouchables est ainsi le fruit d’une année de travail avec leurs scénaristes. Ce savoir-faire du récit bien huilé pour spectateur qui ne veut pas se prendre la tête fait des merveilles et tout s’agence idéalement pour que le film plaise : acteurs principaux et secondaires excellents, rythme et caméra efficaces, récit au scalpel, humour bien dosé et un gros fond de tendresse et d’humanité.
Mais la sauce ne prendrait pas aussi bien si chacun n’y trouvait pas un peu de son rêve secret, devenir intouchable, hors de portée des contrôles et des freins de toutes sortes. Intouchables débute ainsi par une scène où les deux compères appâtent la police en jouant les Fangio pour finalement se faire escorter alors qu’ils multiplient les infractions. Philippe est tétraplégique mais immensément riche tandis que Driss est mi-taulard mi-chômeur mais a la vie pour lui. L’un par l’argent, l’autre par la vitalité sont inatteignables, intouchables. Ce sont des sphinx (évoqué par un poème dans le film) mais aussi de fragiles Icare dont les ailes pourraient se décoller. Ils n’ont rien du héros de western imparable et sont en permanence au bord du gouffre mais tiennent debout par la force du récit. En outre, cette rencontre des extrêmes marche à tous les coups : dans cette grande métaphore improbable, cette triviale contradiction fait que la mayonnaise prend et que tous sortent émus.
C’est déjà pas mal pour assurer un succès mais ce n’est pas tout car Philippe, le petit aristocrate blanc pur talc, se rapproche de Driss, le grand Noir des banlieues. Et nous voilà dans un autre rêve, celui d’une société unie malgré ses différences et ses dissensions. De la banlieue nous ne saurons rien ou que des stéréotypes dans la rapide peinture de la famille de Driss : nombreuse et bruyante, père absent et mère se tuant à faire des ménages, ado partant à la dérive, tristesse des grandes barres des cités. De l’aristocratie de Philippe, nous n’aurons rien d’autre non plus que des visions surannées et des intérieurs de musée. Intouchables ne se revendique aucunement un film social, et encore moins réaliste. Il offre par contre l’image d’une France du passé qui se fige dans son fauteuil roulant tandis que dans les banlieues exploserait la vie. Et, ô merveille hallucinatoire du temps d’un film bien ficelé, la vieille France pactise avec l’immigration, rigole et y prend goût, tandis que celle-ci la prend généreusement dans ses bras.
Assiste-t-on ainsi à un pays qui fait la queue dans le froid pour rêver du contraire de ce que lui proposent ceux qu’il a élus pour mener son avenir ? Et donc de les dégommer pour passer à autre chose ? Les élections de 2012 vérifieront-t-elles la thèse d’un changement profond dans les tréfonds de la vieille société postcoloniale française que le succès d’Intouchables ne faisait qu’annoncer ? Quelques certitudes sont sans doute écornées mais l’accumulation de clichés du film fait douter de la réalité d’un tel retournement. Déjà, le mythique black blanc beur de la coupe du monde de football de 1998 n’a rien changé aux discriminations. Un film qui change les choses est un film qui dérange et qui fait mal. Le succès du doux consensus d’Intouchables ne fait que confirmer la profonde illusion d’une société qui se fantasme autre que ce qu’elle n’est.

///Article N° : 10507

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Les images de l'article
Omar Sy et François Cluzet
Anne Le Ny, François Cluzet, Omar Sy
Eric Toledano et Olivier Nakache, les réalisateurs





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