Tirailleurs de Mathieu Vadepied

Les sortir de l'oubli

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Après La Vie en grand, le scénariste et directeur de la photographie français Mathieu Vadepied, qui fut également directeur artistique d’Intouchables, revient en tant que réalisateur pour un deuxième long métrage. Tirailleurs sort le 4 janvier 2023 dans les salles françaises. Il avait fait l’ouverture de la section exigeante Un certain regard au dernier festival de Cannes. Il a été présenté par Mathieu Vadepied et Omar Sy, qui s’est largement investi dans la production du film, en avant-première le 20 décembre 2022 à 20h au cinéma Pathé de Dakar avant sa sortie le 6 janvier dans les salles du Maghreb et de l’Afrique francophone.

« Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort / Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ? / Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux / Je ne laisserai pas – non ! – les louanges de mépris vous enterrer furtivement. / Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur / Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France.

Léopold Sédar Senghor, poème liminaire à Hosties noires, avril 1940

On ne peut que se réjouir de voir les tirailleurs sénégalais de la Première Guerre mondiale enfin abordés par le cinéma de fiction. Si Camp de Thiaroye (Sembène Ousmane, 1988), Les Enfants du pays (Pierre Javaud, 2006) et Indigènes (Rachid Bouchareb, 2006) traitent des tirailleurs de 1940-45 et des promesses non-tenues, il n’y avait guère jusqu’ici qu’Adama, beau film d’animation de Simon Rouby (2015) à représenter ces soldats oubliés de 1914-18 à travers le regard d’un enfant.

Vadepied et son coscénariste Olivier Demangel (qui avait co-écrit Atlantique de Mati Diop), ont passé six ans à écrire ce film. Ils ne tournent pas autour du pot : ils montrent que les tirailleurs étaient recrutés sous la menace et servaient de chair à canon. Tourné en France et au Sénégal en territoire peuhl, coproduction franco-sénégalaise soutenue par le FOPICA (fonds d’aide sénégalais au cinéma) mais avec des techniciens essentiellement français, le film relate l’histoire d’un père. Bakary Diallo est sobrement interprété par l’acteur engagé et mondialement célèbre Omar Sy, également coproducteur, qui s’exprime en peuhl, sa langue paternelle, ce qui permet de mettre l’accent sur la diversité des langues. Il s’enrôle volontairement en 1917 pour rejoindre et ramener Thierno, son fils de 17 ans (Alassane Diong), recruté de force. Ils se retrouvent ensemble sur le front mais les efforts répétés de Bakary pour sortir son fils de cet enfer se heurtent à l’indépendance croissante de Thierno qui s’affranchit et s’engage avec un officier qui lui offre du galon et le convertit à l’illusoire idéal de gloire.

Bakary ne lâche pas. C’est sur la complexité de cette relation père-fils que se centre le film, au détriment des personnages secondaires. Tout semble construit pour leur duo, y compris le décor assez épuré d’un village des Ardennes où un bar accueille aussi les tirailleurs. Les brumes font le reste sur les champs de bataille. Alors que l’image semble issue des photos de l’époque, entre la dominante ocre des tranchées et le bleu des uniformes, la mise en scène autant que la musique d’Alexandre Desplat ont cependant tendance à rendre mélodramatique – et donc moins bouleversante – cette tragédie pourtant touchante et actuelle d’un père qui ne sait comment protéger son fils d’un monde en folie.

Il n’en reste pas moins que c’est la façon dont le sacrifice d’un père pour son fils résonne avec celui des « supplétifs » africains pour la France qui rend ce film nécessaire. Ils étaient près de 200 000 à combattre, 30 000 sont morts sur les champs de bataille de la Grande Guerre, beaucoup sont revenus blessés ou invalides, alors qu’en France la publicité « Y a bon Banania ! » s’étalait dès 1915 sur tous les murs, celle-là même que Senghor appelera plus tard à déchirer. Tirailleurs cherche clairement à faire résonner aujourd’hui l’engagement de ces Africains au service d’une cause qui n’était pas la leur, et à les inscrire dans un récit national dont ils restent exclus, si bien que Bakary s’exclame : « Ai-je ma place parmi vous ? Souvenez-vous de moi, souvenez-vous de nous ! »

 

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