Les Invincibles, de Frédéric Berthe

Le colonisé doit-il pointer ou tirer ?

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Comédie a priori anodine, en sortie le 18 septembre 2013 dans les salles françaises, Les Invincibles apporte sa pierre dans la prise en compte de la pluralité dans la société française.

Promotionné comme le Feelgood movie de la rentrée, Les Invincibles est effectivement fait pour plaire : si l’on passe sur la mollesse de la mise en scène et les ficelles par trop visibles du scénario, on jouira volontiers des succès de son héros qui après quelques déboires ne peut que vaincre à la fin. Sauf que ce héros qui triomphe est un Arabe. Pour ce faire, il a Jacky, un coach et mentor habile, auquel Gérard Depardieu prête son personnage de dur au grand coeur qu’il sait si bien faire, même si ses récentes provocations médiatiques ont sérieusement écorné son capital de sympathie et qu’il est moins sûr qu’il soit juteux de l’avoir à l’affiche. Mais qu’il aille encore chercher un autre passeport dans le film crédibilise finalement son personnage !

Avec un titre et une thématique aussi proches, Les Invincibles semble vouloir surfer sur le succès d’Intouchables. Qui ne rêve pas de devenir aussi invincible qu’intouchable ? Qu’un Arabe tienne la tête dans le monde ici largement fantasmé de la pétanque est le comble de l’ironie : difficile d’imaginer milieu plus franchouillard. Cela autorise les blagues les plus débilement racistes, qui pourront être contrées par le mépris d’une belle blonde au grand coeur : Caroline, qui prend la défense puis s’éprend de l’Arabe maltraité. Mokhtar Boudhali dit Momo (Atmen Kelif, à l’origine du scénario) est un as de la boule et arrive à se faire sélectionner pour l’équipe de France comme « alibi culturel » mais reste méprisé jusqu’à ce qu’il puisse démontrer l’excellence de son art.
Les deux films ont en commun de rêver en mobilisant les clichés plutôt que de retravailler le réel pour le faire progresser, et ainsi de poursuivre l’illusion du discours black blanc beur dans une société qui ne le met aucunement en pratique (cf. [Les clefs du succès d’Intouchables, analyse n°10507]). Dans les deux films, l’immigré prend sa place grâce à un ingénieux sauveur qui a son tour profitera de l’énergie de son poulain, bel échange idéal dans une société réunifiée.
Mais si Intouchables touchait vingt millions de spectateurs en remplaçant l’Arabe de l’histoire réelle qui l’a inspiré par un Noir plus aimable dans sa peau de bon sauvage, Les Invincibles ne fait pas ce cadeau au spectateur : c’est bien un Arabe qui gagne, et de plus un Algérien, et le comble est qu’il ne fait même pas gagner la France ! Vu l’image négative persistante de l’Arabe véhiculée par le cinéma colonial et répercutée jusqu’à aujourd’hui par les médias (le fourbe, le traitre, devenu le terroriste), c’est de la provocation. Certes, Momo vit d’arnaques au départ, mais il n’est pas le seul et son personnage est aussi généreux que chaleureux, au même titre que ceux et celles qui le soutiennent. Finalement, la France profonde n’a plus qu’à ravaler ses blagues dédaigneuses face à cette joyeuse bande immortalisée bras-dessus bras-dessous par l’affiche du film.
Dans Les Invincibles, l’intégration fonctionne sans se réduire à une uniformisation. « Quelle est la différence entre un Arabe et un pied-noir ? », demande en rigolant un des amis de Momo, pour répondre aussitôt : « L’Arabe est né en France ». Voilà une réjouissante façon de réécrire le récit national. L’invincible est ainsi celui qui oppose la débrouillardise à la connerie, la détermination au mépris, pour s’imposer par ses propres qualités en crevant le plafond de verre. Il pointe plutôt qu’il ne tire, mais n’hésite pas s’il le faut à tirer ! Le coup d’éclat final (que nous nous garderons bien de dévoiler) est un magnifique pied-de-nez à la mégalomanie française incarnée par le manager Stéphane Darcy (Edouard Baer, très à l’aise dans l’hyperbole).
Car en définitive, la question posée par Les Invincibles est de savoir si la société française va continuer à se masquer la face devant sa multiculturalité et sera enfin capable d’y voir la richesse qu’elle lui ouvre, clef de son dynamisme et de son aura internationale, au lieu de s’épuiser en tournant en rond sur une pensée réductrice d’elle-même. L’enjeu est d’inventer de nouvelles manières d’être ensemble dans la multiplicité des appartenances. Les enfants d’immigrés comme Atmen Kelif s’y attèlent : ils pointent pour trouver leur place près du cochonnet mais doivent parfois tirer face à l’exclusion et dégommer ainsi les boules rétrogrades !
Ainsi, Les Invincibles a beau nager dans le cliché et rester à ras des pâquerettes du cinéma, il a quelques bonnes réparties qui l’inscrivent dans ces films où les colonisés français pointent les fixations historiques et tirent dans le tas.

///Article N° : 11799

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